« Je comprends les paysans, car je sais ce que signifie dépendre du climat. Ça fait partie de l’expérience des deux tiers des Français de mon âge. Ils sont tous nés au sol. Depuis, le monde paysan s’est au fur et à mesure réduit », soulignait le philosophe Bruno Latour dans un entretien paru dans la revue Zadig en mars 2022. Le penseur du « nouveau régime climatique », né en 1947 et décédé en 2022, témoignait ainsi de l’éloignement des habitants des territoires ruraux de ceux des métropoles.

A cette fracture, s’est ajouté l’accroissement des contentieux. On date son démarrage au lendemain des trente glorieuses. Comment expliquer la montée en puissance des procédures ? « L’évolution des comportements individuels s’est accompagnée d’une crise du contrat et d’une remise en cause de la notion de responsabilité. Quand nos parents signaient un contrat ou donnaient leur parole, ils respectaient leurs engagements. Aujourd’hui, les gens refusent le risque et cherchent un responsable à tout prix », expliquaient Jean-Marie Gilardeau et Denis Rochard, maîtres de conférences et spécialistes du droit rural, dans un dossier spécial 60 ans de La France Agricole du 1er juillet 2005.

Des lois en cours

En pleine mutation, les campagnes ont tendance à se repeupler et les conflits d’usage se multiplient. « Le voisin est un animal nuisible proche de l’homme », disait Pierre Desproges. Un « animal nuisible » redouté des agriculteurs. Les querelles de clochers ou les chicanes à propos d’un coq chanteur ne les font plus sourire. Aujourd’hui, ces événements peuvent menacer la pérennité de leur exploitation.  

C’est l’amère expérience vécue par Vincent Verschuere condamné à des travaux sur sa ferme et à verser des dommage et intérêts à ses voisins se plaignant du bruit et des odeurs des vaches. L’agriculteur de l’Oise s’est pourvu en cassation. En raison des sommes réclamées (206 000 €), l’éleveur de 33 ans redoute de devoir cesser son activité.

Les conflits de voisinage sont loin d’être induits par les seuls néoruraux, mais plutôt « par un pays miné par l’individualisme et la judiciarisation », résumait Pierre Morel-A-l’Huissier dans La France Agricole du 4 novembre 2022. Le député a ouvert le débat avec sa loi du 29 janvier 2021 visant à reconnaître un patrimoine sensoriel des campagnes. Le texte doit être complété.

Le garde des Sceaux prépare également, pour septembre, un texte de loi en matière de trouble du voisinage visant à protéger les activités agricoles. « Un voisin ne pourra plus se plaindre de nuisances qui préexistent à son emménagement », a annoncé Eric Dupont-Moretti, le 3 mars 2023 au Salon international de l’agriculture.