L’histoire

Habiter en milieu rural n’implique-t-il pas de supporter les odeurs et les bruits générés par les exploitations agricoles ? Maxence gérait une exploitation agricole, située à l’entrée du village, dont l’objet principal était l’élevage de bovins, dans le cadre d’une EARL constituée entre son fils et lui. Au cours de l’année 2010, la société avait fait construire deux bâtiments pour accueillir les animaux. Maxence avait pu ainsi développer son cheptel. Mais, à la suite de plaintes des habitants voisins, la juridiction administrative avait annulé les permis de construire.

Le contentieux

Se plaignant de bruits, d’odeurs et de la présence d’insectes en provenance de l’exploitation, plusieurs habitants, situés dans des maisons voisines, avaient alors assigné Maxence et l’EARL devant le tribunal judiciaire en démolition des bâtiments et en paiement de dommages-intérêts. Ils avaient fondé leur demande sur le principe posé par la Cour de cassation en 1986 selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Par cette déclaration, la haute juridiction a dégagé un principe général de responsabilité pour les nuisances causées à son voisinage.

Pour les voisins de l’EARL, les odeurs et les bruits en provenance de l’exploitation de Maxence et en particulier de la salle de traite, dépassaient très largement les normes que chacun peut être en mesure de supporter. Les bâtiments, utilisés en tant que stabulation, avaient permis une augmentation importante du cheptel, occasionnant des nuisances insupportables, selon eux. En outre, ils avaient été édifiés à moins de cent mètres de la zone d’habitations, ce qui avait justifié l’annulation des permis de construire par la juridiction administrative. Les bâtiments abritant la stabulation devaient être démolis.

Pouvait-on supporter une telle installation en zone d’habitation du village ? Pour Maxence et l’EARL, les prétentions des voisins n’étaient pas acceptables. L’existence d’un trouble anormal de voisinage suppose la caractérisation d’une nuisance excédant la mesure habituelle inhérente au voisinage, compte tenu notamment de la nature de l’espace et du site environnant. Aussi la nature essentiellement rurale de l’espace où l’EARL poursuivait son activité agricole traditionnelle d’élevage permettait d’exclure l’anormalité des troubles allégués par les voisins, de sorte que leur demande était exorbitante et devait être rejetée.

Mais les juges se sont montrés sévères et n’ont eu aucun égard pour Maxence. Ils ont d’abord relevé que la nouvelle stabulation comportait une ouverture sur l’extérieur et que le cheptel de l’exploitation était passé d’un maximum de cent-soixante bovins à une moyenne de deux cent cinquante animaux.

Ils ont ajouté que la preuve était rapportée des troubles allégués, consistant, après la modification des conditions d’exploitation du fait de l’augmentation du cheptel et de la localisation des nouveaux bâtiments, en des odeurs nauséabondes, des bruits d’animaux, de machines, et aussi en la présence envahissante d’insectes. Enfin, les juges ont relevé que les bâtiments en cause se situaient en zone urbaine du village, au sein de laquelle sont interdites les installations dont la présence est incompatible avec la vie de quartier en raison des nuisances occasionnées par le bruit et les émanations d’odeur et de poussière.

Aussi, pour les juges d’appel, les nuisances en provenance de l’EARL de Maxence excédaient bien, par leur nature, leur récurrence et leur intensité, les inconvénients normaux du voisinage. La demande des voisins était bien fondée. Les juges ont condamné l’EARL à indemniser les voisins en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage arrêté au jour de la décision. En revanche, ils ont réservé la demande de démolition des bâtiments, dans l’attente du règlement de la discussion relative à l’existence de solutions techniques alternatives. La haute juridiction n’a pu que confirmer la solution retenue en se retranchant derrière l’appréciation concrète de l’anormalité des troubles.

L’épilogue

La décision est bien rude pour Maxence et sa société qui vont devoir engager des travaux importants pour limiter les conséquences de l’exploitation sur l’environnement de la commune. Pouvaient-ils imaginer que les voisins, ayant fait le choix de s’installer en zone rurale, viendraient se plaindre des inconvénients générés par l’exploitation, alors que celle-ci poursuivait son activité traditionnelle d’élevage dans un espace dont la nature était essentiellement rurale ? À cet égard, les lecteurs se rappelleront sans doute l’histoire du Coq Maurice !