J-2 avant le vote sur la loi de la restauration de la nature
La loi proposée par la Commission européenne imposant la restauration des écosystèmes aux États européens sera soumise au vote des députés dans deux jours. Retour sur un an de bataille politique.
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Les eurodéputés votent ce mercredi 12 juillet 2023 pour rejeter, ou pas, une loi sur la restauration des écosystèmes. Ce texte phare du pacte vert de l’Union européenne est devenu l’emblème d’une bataille politique à un an des élections européennes.
Le texte proposé à la mi-2022 par la Commission européenne imposerait aux Vingt-Sept d’instaurer d’ici à 2030 des mesures de restauration sur 20 % des terres et espaces marins à l’échelle de l’Union européenne, puis d’ici à 2050 sur l’ensemble des zones qui le nécessitent.
Cent milliards d’euros européens pour la biodiversité
Pollution, urbanisation, exploitation intensive… Selon Bruxelles, plus de 80 % des habitats naturels dans l’Union européenne sont dans un état de conservation « mauvais ou médiocre » (tourbières, dunes et prairies tout particulièrement), et jusqu’à 70 % des sols sont en mauvaise santé.
Concernant les terres agricoles, les États seraient tenus d’inverser le déclin des populations de pollinisateurs d’ici à 2030 puis de les accroître. Des critères seraient fixés pour les populations de papillons ou d’oiseaux des champs.
Le projet prévoit aussi l’extension de zones « à haute diversité » avec l’objectif indicatif qu’elles représentent 10 % des terres agricoles à l’échelle de l’Union européenne (et non pas par pays ou par exploitation). L’expression recouvre des réalités variées : haies, fossés, étangs, arbres fruitiers, mais aussi rotation des cultures.
Environ 100 milliards d’euros du budget pluriannuel européen seront disponibles pour la biodiversité, notamment les plans de restauration. Bruxelles estime que chaque euro investi rapporterait entre 8 et 38 euros, via les avantages d’écosystèmes sains (santé humaine, pollinisation et qualité des sols, moins d’inondations, atténuation climatique en capturant le CO2, populations de poissons préservées, etc.).
Le Parti populaire européen vent debout contre la loi
Fait exceptionnel, le Parti populaire européen (PPE, droite), première force au Parlement de Strasbourg, réclame le rejet complet du texte, mettant en avant l’impact potentiel pour l’agriculture, la pêche ou les énergies renouvelables.
La gauche et le centre dénoncent, eux, une posture électoraliste en vue du scrutin de juin 2024. Faute d’entente en commission parlementaire, l’ensemble des eurodéputés se prononceront en plénière sur une motion de rejet visant la loi « restauration de la nature ».
Si le rejet est entériné ce mercredi, la présidente du Parlement devra demander à Bruxelles de retirer formellement son texte.
« Il n’y a pas d’autre choix, la proposition sur la table est tellement mauvaise », tranche l’eurodéputé allemand Peter Liese (PPE), ex-rapporteur de l’ambitieuse réforme du marché du carbone.
Si l’essentiel du plan climat de l’Union européenne est désormais adopté, le PPE résiste sur le reste du pacte vert et exige notamment le retrait d’un autre texte réduisant drastiquement l’usage des pesticides. « Nous courons le risque de trop légiférer », a prévenu Peter Liese, en écho aux appels de plusieurs dirigeants européens à une « pause réglementaire » sur l’environnement.
Le vote de la loi « se jouera à quelques voix »
Si ce rejet est entériné ce mercredi, la présidente du Parlement devra demander à Bruxelles de retirer formellement son texte. « Ce serait ‘game over’. Personne ne sortira un projet alternatif d’ici aux élections », souligne Pascal Canfin, président (Renew, libéraux) de la commission de l'environnement.
Un électrochoc qui plomberait les discussions sur d’autres législations vertes. Une partie des élus PPE pourrait s’abstenir, mais le groupe Renew est lui-même divisé, avec un tiers d’élus opposés au texte. « Cela se jouera à quelques voix », estime Pascal Canfin.
Si la motion de rejet n’est pas approuvée, les eurodéputés examineront un compromis correspondant exactement à la position commune des États membres, adoptée le 20 juin 2023 par les ministres de l’Environnement.
Un choix « pragmatique » de Renew : partir de cette position adoptée par vingt États sur vingt-sept, et approuvée par une majorité des gouvernements contrôlés par le PPE, pourrait convaincre les eurodéputés conservateurs hésitants.
Suivraient les votes sur une centaine d’amendements, visant à amoindrir ou renforcer les dispositions du texte.
Le Parlement déterminerait ainsi sa position en vue des négociations avec les États pour finaliser le texte. « L’ambition pourrait être très profondément affaiblie, mais ce sera mieux que rien », estime Pascal Canfin.
Un « trumpisme européen » dénoncé
Le président de la commission de l'environnement Pascal Canfin dénonce « une position totalement idéologique, une opération politicienne » de Manfred Weber, chef du PPE, et fustige le rapprochement avec l’extrême droite (ID) et les eurosceptiques (ECR) dans un « trumpisme européen naturo-sceptique ».
« C’est caricatural ! Le débat est légitime et nécessaire […] Faire baisser la production agricole est criminel, cela met en danger notre résilience alimentaire », rétorque François-Xavier Bellamy (PPE), en référence à l’objectif de zones « à haute diversité » sur 10 % des surfaces agricoles.
Selon le texte, cet objectif à l’échelle de l’Union européenne (et non par exploitation) est pourtant simplement indicatif et peut être rempli via des haies, rotations de cultures ou plantations d’arbres fruitiers.
La campagne électorale commence.
Autres inquiétudes brandies par le PPE : la loi interdirait tout ramassage du bois mort au risque d’alimenter les feux de forêts, ou paralyserait les installations d’énergies renouvelables, menaçant notamment l’hydroélectrique au nom de la « continuité fluviale ».
Autant d’allégations réfutées en bloc par la Commission et les groupes parlementaires défendant le texte. Outre ONG et scientifiques, les fédérations de l’éolien et du solaire et d’importants industriels (Nestlé, Ikea, Unilever, H & M, Coca-Cola, Danone…) expriment aussi leur soutien au projet de loi.
Face au PPE, « la substance ne compte plus, c’est Don Quichotte combattant ses moulins à vent, des mythes et contre-vérités qui n’ont jamais figuré dans la proposition », soupire l’élu socialiste Mohammed Chahim. « La campagne électorale commence aux dépens de la nature mais aussi des agriculteurs, pour qui le grand danger demeure la crise de la biodiversité », insiste-t-il, s’agaçant du silence de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, elle-même membre du PPE.
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