Le désarroi de l’agriculture biologique face aux restrictions budgétaires
Moyens réduits pour la structuration des filières, baisse budgétaire sur la communication, l’agriculture biologique se voit chahutée par les annonces du ministère de l’Agriculture.
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« Si l’Agence bio ne suit plus, on va devoir revoir nos ambitions », s’inquiète Didier Dorin, producteur de plantes aromatiques biologiques en Charente-Maritime, contacté par La France Agricole le 23 mai 2025. L’agriculteur attend depuis cet automne la validation de sa demande de subvention via le fonds Avenir bio. Une enveloppe nécessaire pour que le groupement de producteurs Biolopam, qui réunit vingt-quatre agriculteurs, puisse répondre à la demande du marché et agrandisse ses capacités de production. « Si on ne répond pas à la demande de nos clients, ils importeront. »
Des projets en attente
Didier Dorin fait partie des porteurs de projet impactés par les dernières annonces de la ministre de l’Agriculture prévoyant de raboter près de 64 % du budget de l’Agence bio. Le 20 mai dernier, Annie Genevard a fait savoir qu’elle poursuivait « son soutien avec détermination » à l’agriculture biologique, tout en annonçant réduire le montant du fonds Avenir bio à près de 8 millions d’euros. Ce fonds géré par l’Agence bio subventionne des projets collectifs en agriculture biologique en finançant une partie des dépenses immatérielles et matérielles. Doté initialement de 8 millions d’euros par an, il avait été réévalué à 13 millions d’euros avec le plan de relance et exceptionnellement doté de 16,4 millions d’euros en 2024.
Une réduction budgétaire que l’Agence bio n’a pu anticiper. « Une fois payés les projets que nous avons engagés en toute fin d’année dernière, il nous restera trois millions d’euros à distribuer alors que les dossiers affluent, expliquait Laure Verdeau, la directrice de l’Agence bio, auditionnée par les sénateurs dans le cadre de la commission d’enquête sur les missions des agences de l’État, le 22 mai. Nous avons plus de 28 entrepreneurs qui ont déposé leurs dossiers et qui sont en attente. »
« Tout le monde participe à l’effort budgétaire, a justifié la ministre de l’Agriculture, le même jour, au micro de France Bleu. Qu’il y ait des inquiétudes, je le comprends. Mais on est dans une situation budgétaire difficile. Le bio ne payera pas un tribut plus important que d’autres filières. »
Une communication « tuée dans l’œuf »
Hasard du calendrier, les restrictions du budget alloué à l’agriculture biologique ont été annoncées moins d’une semaine avant les 40 ans du label, dont la célébration était prévue le 22 mai. Date à laquelle l’Agence bio devait aussi dévoiler sa nouvelle campagne de communication « C’est bio la France ».
Or, l’Agence bio se voit aussi supprimer une dizaine de millions d’euros pour sa communication. Une position qui va à rebours des recommandations formulées par la Cour des comptes en juin 2022. « L’Agence bio [..] ne dispose pas de moyens à la hauteur de ses missions, en particulier pour la communication », écrivait d’ailleurs l’organisation.
Sur les trois enveloppes annuelles de cinq millions d’euros promises dans le cadre de la planification écologique, seule une aurait été versée assure l’Agence bio. « Nous avions calibré notre campagne sur 15 millions d’euros sur trois ans, nous apprenons qu’elle s’arrête à un tiers du guet, a expliqué Laure Verdeau aux sénateurs. La campagne est tuée dans l’œuf avant même d’avoir produit des résultats. » Faute de budget, cela signifie que la campagne s’arrêtera en septembre prochain, avance Jean Verdier, le président de l’Agence bio.
Interrogée par France Bleu, la ministre de l’Agriculture se veut optimiste : « Grâce au fonds du ministère de l’Agriculture, l’Agence bio pourra, en 2025, développer sa communication. Nous allons l’aider à mobiliser des fonds européens pour poursuivre sa communication. » « La ministre a dit qu’elle allait nous aider dans la communication à aller chercher des fonds européens, on y va déjà », affirme de son côté Jean Verdier.
« On a besoin de ces fonds »
Alors que la loi d’orientation agricole adoptée au début de l’année a entériné l’objectif de 21 % de SAU en bio en 2030, plusieurs organisations agricoles et syndicats de producteurs dénoncent ces coupes budgétaires. Le Synabio et Forebio (1) parlent de « douche froide », la Maison de la bio et Natexbio (2) d’une « décision incompréhensible », « à rebours des attentes des Français ».
La Confédération paysanne estime ces annonces « démoralisantes pour toutes celles et ceux engagés en agriculture biologique ». Le syndicat regrette le « message délétère » que la ministre envoie en rabotant les aides à la structuration de la filière et à la relance de la demande en produits bio. « On a besoin de ces fonds », plaide de même Brice Guyau, président de la commission de l'agriculture bio de la FNSEA. « La communication vers le consommateur est le levier pour faire progresser les ventes », souligne-t-il, regrettant de tomber à nouveau dans les erreurs du passé en enlevant ces aides, et de voir annuler plusieurs projets faute de budget structurant.
Le Synabio et Forebio notent également « l’effet de levier » du fonds Avenir bio : « En moyenne, les opérateurs économiques mobilisent trois fois le montant des fonds perçus, grâce à des prêts bancaires et des investissements privés. » Ainsi après plusieurs années de crise, « au moment même où les acteurs économiques de la bio réinvestissent », la Maison de la bio craint « un coup d’arrêt brutal à la dynamique de reprise ».
Des incertitudes
L’Agence bio est désormais dans le viseur de Bercy. Ses missions, comme celles d’autres agences de l’État, pourraient être amenées à fusionner, cesser ou être mutualisés. « Deux solutions : soit on retourne en arrière et on invisibilise la bio ou alors on rectifie le tir et on considère que la bio est structurante pour les territoires, a défendu Philippe Henry, vice-président de l’Agence bio devant les sénateurs. Tant que nous n’aurons pas d’interprofession bio, l’Agence bio sera indispensable. »
Ces annonces semblent être par ailleurs de mauvais présages quant à l’arbitrage par la ministre de l’enveloppe non utilisée de l’aide à la conversion estimée à 257 millions d’euros. La Confédération paysanne et la Fnab (3) demandent que le reliquat soit réorienté vers le maintien des filières et les fermes engagées en bio, afin notamment « d’éviter les déconversions ». Le ministère de l’Agriculture devrait rendre ses conclusions d’ici à la fin du mois.
(1) Entreprises agroalimentaires et opérateurs économiques de producteurs bio.
(2) Natexbio fédère des organisations de producteurs, transformateurs, distributeurs et certificateurs bio.
(3) Fédération nationale d’agriculture biologique.
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