Chrisophe Hansen : « La souveraineté alimentaire est revenue au premier plan »
Budget de la Pac, nouvelles mesures de simplification, menaces douanières des États-Unis, réciprocité des normes… Le commissaire européen à l’Agriculture, Christophe Hansen, s’est confié à La France Agricole (1), lors de sa visite au Salon de l’agriculture.
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Que signifie votre visite au Salon de l’agriculture cette année ?
Je participe au Salon car c’est un très grand évènement qui rapproche les citoyens de la profession, ce qui à mon sens, est essentiel. Ramener l’agriculture dans la capitale est aussi important pour créer des liens avec les régions et les produits agricoles de qualité. Pour moi, c’est aussi l’occasion d’évoquer la vision pour le futur de l’agriculture et de l’alimentation que nous avons présentée la semaine dernière, qui est un changement de cap et d’approche pour le futur de la politique agricole commune, pour donner de la stabilité au secteur et aussi pour attirer plus de jeunes dans la profession. C’est d’ailleurs un grand défi démographique que nous devons affronter car nous avons moins de 12 % d’agriculteurs européens de moins de 40 ans et une moyenne d’âge de 57 ans.
Comment va se traduire ce changement de cap pour la politique agricole que vous évoquez ?
Nous misons beaucoup sur la compétitivité. Ces cinq dernières années, j’étais au Parlement européen et nous avions un peu l’impression que la compétitivité et la productivité étaient secondaires. Cette nouvelle vision met clairement en lumière que la souveraineté alimentaire est revenue au premier plan.
Beaucoup d’éléments demandés par les agriculteurs l’année dernière dans les rues font désormais partie intégrante de cette vision à long terme et notamment de meilleurs prix. Nous avons déjà livré deux propositions sur l’organisation commune des marchés et sur la directive sur les pratiques commerciales déloyales qui sont entre les mains des colégislateurs.
Nous allons aussi nous attaquer à la charge administrative qui est un fléau. Je vais sortir pour le mois d’avril un paquet simplification de la Pac actuelle. Des simplifications pour les petites et moyennes structures et pour la bio mais je pense aussi à la conditionnalité en général où il y a concurrence avec d’autres législations. J’ai déjà visité plusieurs États membres et rencontré les organisations des agriculteurs et la plupart des préoccupations ne relèvent pas forcément de la Pac comme les politiques sanitaires, environnementales et climatiques ou encore les lois nationales. Je vais me coordonner avec mes collègues commissaires. Je pense qu’il y a aussi du travail au niveau national.
Le budget est une inquiétude soulevée par les organisations agricoles avec le prochain cadre financier pluriannuel en vue. Que leur répondez-vous ?
Si les discussions autour du budget préoccupent les agriculteurs, elles me préoccupent aussi très clairement. Ma lettre de mission reprend les priorités de la présidente de la Commission qui dit que défendre les paiements directs aux agriculteurs est essentiel. Il y a aussi les conclusions du dialogue stratégique qui souligne le besoin d’un budget spécifique et à la hauteur du défi et que toute obligation supplémentaire devra venir avec un financement.
Sur cette base-là, je vais me battre mais je ne suis pas le seul chef dans la cuisine. Cela dépendra aussi de ce que les chefs d’État vont réclamer à la Commission européenne car il y a deux grandes politiques communes en Europe : la cohésion et la politique agricole qui représentent une partie importante du budget. Si nous devons partager les mêmes budgets entre plusieurs nouvelles priorités, toutes les priorités « auront faim » et c’est ce que nous devons éviter. Notamment parce que la souveraineté alimentaire, les gens la tiennent parfois pour acquis mais ce n’est pas le cas. Il faut éviter que l’on perde ainsi de nouvelles exploitations.
Le financement doit être plus ciblé vers ceux qui en ont le plus besoin comme les jeunes, les nouveaux entrants et ceux dans les zones les plus défavorisées. La demande des représentants agricoles que j’ai rencontrés aujourd’hui (le 27 février 2025, NDLR), est d’avoir un budget au moins à la même hauteur, avec une structure claire entre le premier pilier en paiements directs et le deuxième pilier pour le développement rural. C’est le message que je vais porter à Bruxelles. Mais la sécurité n’est pas seulement alimentaire.
L’imposition de droits de douane de 25 % à l’entrée des États-Unis pour les produits européens a été annoncée par Donald Trump. Comment appréhendez-vous cette situation ?
Nous avons déjà eu l’expérience des menaces douanières avec l’administration Trump où des produits français, entre autres, ont été ciblés. Je crois que nous avons besoin de filets de sécurité unitaires comme élaboré dans la vision pour l’agriculture. Car lors de tels chantages ou chocs géopolitiques, l’Union européenne est forte quand elle est unie. Lorsqu’il y a des taxes très spécifiques sur des produits français ou italiens, ça peut nous diviser et nous rendre vulnérables. Il faut aussi des négociations car simplement rétorquer, ne va aider ni nos agriculteurs, ni nos prix, ni ouvrir des nouveaux marchés pour les produits agricoles européens. Les États-Unis produisent des engrais. Pourquoi ne pas proposer de leur en acheter plutôt que des engrais russes ou bélarusses ? Ça ferait plus de sens. Donald Trump aime conclure des marchés et ça pourrait désamorcer la situation.
L’ouverture des frontières aux importations agricoles ukrainiennes a été beaucoup décriée. Qu’est-ce que la Commission envisage pour la suite ?
Les mesures commerciales autonomes ont créé beaucoup de perturbations dans un premier temps, surtout dans les pays limitrophes. C’est pourquoi il fallait mettre des clauses de sauvegarde, ce que nous avons fait. Ces mesures autonomes arrivent à échéance le 5 juin et le Conseil européen a été clair, il n’y aura pas de prolongation. Soit nous retombons dans les termes de l’accord commercial existant, ce qui ne sera pas en faveur de l’Ukraine, soit nous trouvons un accord plus stable dans le cadre d’un partenariat approfondi avec des quotas inférieurs aux mesures autonomes.
Mais ce sera aussi avec une adaptation graduelle des standards de production car ce n’est pas seulement la quantité qui préoccupe nos agriculteurs mais aussi les conditions de production. Avec la Banque européenne d’investissement, via des crédits à l’exportation, nous devons aussi aider l’Ukraine à retrouver ses marchés historiques qui ont été partiellement repris par la Russie, comme en Égypte. Nous pourrions aussi évoquer certains produits agricoles pour lesquels nous sommes dépendants des importations, comme les oléoprotéagineux, et demander à l’Ukraine de se tourner vers ces productions. Car nous devons aujourd’hui nous approvisionner aux États-Unis ou en Amérique Latine, ce serait donc aussi meilleur pour l’environnement.
Le président Macron a dit à nouveau son opposition à l’accord commercial avec le Mercosur en l’état. Que lui répondez-vous ?
C’est certainement le premier sujet qui fait l’unanimité entre toutes les couleurs politiques en France, ça me fait un peu peur (sourire). Je ne suis pas ici pour donner des leçons à Emmanuel Macron, je suis ici pour écouter et défendre les intérêts des agriculteurs et ils avaient trois principales revendications l’année dernière. La charge administrative pour laquelle je vais apporter des solutions, ramener plus de compétitivité, de productivité et un meilleur revenu et nous faisons des propositions et enfin la réciprocité. Ce dernier point demandera la mise à contribution des États membres pour les contrôles aux frontières, mais nous devons aussi contrôler les produits dans les pays d’origine. Je pense que nous devons être moins naïfs et plus forts, c’est très clair.
Vous avez également ouvert le chapitre de la réciprocité des normes sur les produits importés et d’une étude d’impact. Quelles sont vos ambitions sur ce sujet ?
Nous avons retiré plusieurs matières actives, et donc des phytosanitaires, de la boîte à outils de nos agriculteurs. Dans le même temps des produits entrent en Europe avec les produits phytosanitaires que nous avons retiré du marché. C’est une chose que nos agriculteurs et nos consommateurs ne comprennent pas. Nous aurons donc des discussions au niveau de l’Organisation Mondiale du Commerce car il est très important d’avoir une réciprocité dans les normes et une concurrence loyale entre nos producteurs et les producteurs des pays tiers.
L’étude d’impact est très importante car nous devons nous baser sur des faits. Il se pourrait que certains produits phytosanitaires n’aient pas été autorisés au sein de l’Union européenne justement parce qu’ils sont utilisés sur des produits que nous ne produisons pas, ou parce que les conditions climatiques ne sont pas les mêmes. Ensuite, il y a certaines catégories hautement toxiques que nous n’utilisons pas pour des raisons scientifiques de santé humaine ou de biodiversité. C’est déjà le cas pour certains néonicotinoïdes que l’on n’importe plus via des produits agricoles. Si c’est nocif pour les abeilles au sein de l’Union européenne, ça l’est aussi en dehors, c’est une question de cohérence. Certains produits sont bannis, plus pour des raisons politiques ou idéologiques qu’autre chose. Mais quand il y a une preuve scientifique bien établie, nous avons toutes les raisons de le faire.
Notre nouvelle vision représente l’empreinte de la nouvelle Commission et tire les leçons de ce qui n’a pas fonctionné ces cinq dernières années. Par exemple pour le règlement sur l’utilisation durable des pesticides SUR, c’étaient les enchères à qui donnait le plus grand pourcentage de baisse, sans tenir compte des faits ou des progrès. Il faut étudier les alternatives pour obtenir des baisses, comme le développement de bio-pesticides, car nous sommes trop lents. Plus d’experts nationaux doivent aussi être détachés à l’Efsa pour coordonner les autorisations, pour que ce ne soit pas État membre par État membre. Je pense qu’il y a moyen d’être beaucoup plus efficaces. Avec de la bonne volonté, nous pourrions y arriver.
(1) Entretien réalisé le 27 février 2025 avec nos confrères de l’AFP, L’Opinion et la Tribune.
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