L’Ukraine représente la deuxième destination, hors Union européenne, des exportations françaises de semences et plants. Claude Tabel, le président de l’Union française des semenciers (UFS), a dressé le 14 avril 2022 un premier bilan des impacts du conflit avec la Russie sur les disponibilités en semences en Ukraine et sur les activités des entreprises semencières hexagonales.
Ces dernières emploient 1 700 personnes dans ce pays de la mer Noire. Elles y réalisent un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros. Ce montant tient compte des exportations depuis la France (100 millions d’euros), des activités de recherche, de production et de distribution de semences des sociétés qui ont investi sur place.
Problème d’acheminer les semences jusqu’aux agriculteurs
« Aujourd’hui, 75 % des exportations de semences de maïs et de tournesol sont bien arrivées en Ukraine », estime Claude Tabel. Il s’agit de variétés adaptées au contexte pédoclimatique de cette zone géographique. Ce chiffre est de 90 % pour les betteraves et de 50 % pour les potagères.
« Le problème est d’acheminer ces semences jusqu’aux distributeurs locaux et jusqu’aux agriculteurs pour garantir les semis de printemps, complète-t-il. Grâce aux “green corridors” mis en place par le gouvernement ukrainien, les activités de conditionnement et d’acheminement ont repris depuis le 1er avril. 60 % des commandes de maïs et 90 % de celles de tournesol sont arrivées à destination, qu’elles aient été produites en Ukraine ou soient importées. »
Une autre difficulté se pose : « Les agriculteurs, confrontés aux problématiques de carburant et de main-d’œuvre, auront-ils la possibilité de semer ? » s’inquiète le président de l’UFS. Selon ses discussions avec des opérateurs ukrainiens, le pays ne devrait produire que 60 % de sa production normale en 2022.
Un manque de semences de base
La situation reste également préoccupante pour les semences de base destinées aux agriculteurs-multiplicateurs et nécessaires à la mise en place des plans de production de semences pour l’année prochaine.
« À ce jour, si 70 % des semences de maïs et 75 % de celles de tournesol ont pu être acheminées, rien ne garantit que les agriculteurs ukrainiens […] seront en capacité de réaliser ces productions », considère l’UFS dans un communiqué diffusé le 14 avril 2022.
« Pour 2023, la donne est faite. Au mieux nous aurons 50 % des semences nécessaires », confirme Claude Tabel. Le président de l’UFS prévoit d’ailleurs un « tunnel a minima pendant deux ans très perturbant pour les activités semencières et les marchés ».
Autrement dit, « si en 2023 les conditions peuvent permettre aux surfaces de multiplication de reprendre leur niveau normal, nous serons incapables de fournir les semences de base en quantité suffisante ». Avec des conséquences sur la récolte des parcelles en multiplication en 2023 et en 2024, sur les semis pour la consommation ainsi que les exportations.
Plan de production français fragilisé par la hausse des cours
Selon l’UFS, la France ne pourra pas compenser cette baisse des disponibilités en augmentant ses surfaces de multiplication en 2022. Pourquoi ? Parce que la montée des cours des productions pour la consommation fragilise déjà son propre plan de production. « Depuis un mois, nous avons des producteurs qui annulent leur engagement d’emblavement au profit des cultures de consommation », a indiqué le vice-président de l’UFS, Didier Nury.
Par exemple en tournesol, la sole de multiplication se situe autour de 16 000 hectares, au lieu des 18 000 à 19 000 hectares prévus. Cette baisse pose également des difficultés en termes de distances d’isolement entre les différentes cultures, semences et conso. Par ailleurs, compenser le déficit en Ukraine par des semis à contre-saison n’est pas envisageable à grande échelle, estime l’UFS.
Réflexion stratégique
L’organisation souhaite avoir une « réflexion stratégique » avec les pouvoirs publics afin d’anticiper et de sécuriser la production en 2022 mais aussi en 2023. « L’objectif est d’avoir toutes les conditions économiques et réglementaires pour augmenter le plan de production les prochaines années », souligne Claude Tabel. Et d’ajouter que le dialogue avec le gouvernement est ouvert et l’écoute « très bonne » pour le moment. Mais « nous ne sommes pas encore rentrés dans les chiffrages ».