Le 18 novembre 2025 au congrès du maïs, l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM) a présenté les principaux résultats d’une étude prospective, commandée en 2024 auprès du cabinet de conseil ORAE Géopolitique. Intitulée « Analyse des enjeux de l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne (UE) pour la filière maïs en France et en Europe », elle englobe toutes les filières de la céréale.

Celle des semences est toutefois plus particulièrement visée : « L’Ukraine est un pays capable de réagir […] et surtout de s’adapter, sachant que le ciblage de la production de semences est quelque chose d’assez net dans la production ukrainienne », prévient Olivier Antoine, directeur d’ORAE Géopolitique.

Et d’ajouter « le chiffre qui fait peur », à l’origine de la commande de l’étude, c’est le rebond des importations françaises et européennes de semences ukrainiennes depuis le début de la guerre, alors même que l’Ukraine ne fait pas partie de l’Union européenne. En effet, selon la section semences de l’AGPM, les exportations de l’Ukraine vers l’Union européenne et la France ont respectivement augmenté d’un coefficient de 37 et 175, en seulement trois campagnes de commercialisation (2020-2021 à 2023-2024). Sur 2023-2024, l’Union européenne a importé près de 3 millions de doses ukrainiennes, dont 800 000 par la France.

Trois scénarios

ORAE Géopolitique a élaboré trois scénarios prospectifs à horizon 2030, convenant avoir « joué à tordre » la temporalité. En effet, l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne, si elle se confirme, ne se ferait pas avant une vingtaine d’années. Les chiffres ci-dessous ne sont pas « à prendre à la lettre » mais demeurent « tout à fait plausibles », précise Olivier Antoine :

  • Scénario 1 du « Statut Quo » ou « la guerre continue » : en 2030 en Ukraine, les surfaces en maïs semences augmentent de 10 % pour atteindre 38 600 ha. Le rendement progresse également à 3,32 t/ha, ce qui permet une production de 124 900 tonnes. Les importations de l’Union européenne augmentent en proportion, soit 12 % par an et 73 % en 6 ans. Selon l’AGPM, le potentiel de perte pour l’Union européenne est de 8 000 ha, soit 43 millions d’euros ;
  • Scénario 2 du « rapprochement avec l’Union européenne ». Ici, « la dynamique amorcée au cours des dernières années se confirme voire s’accentue », analyse Olivier Antoine. Les surfaces ukrainiennes de maïs semences augmentent de 15 % par an, pour atteindre 48 300 ha en 2030. Les rendements progressent aussi, à 3,48 t/ha, amenant la production à 167 900 tonnes. Les importations de l’Union européenne augmentent de 18 % par an, soit 133 % en 6 ans. Selon l’AGPM, l’Union européenne pourrait perdre 14 000 ha, soit 79 millions d’euros.
  • Scénario 3 du « gouvernement pro Russe ». En Ukraine, les surfaces de maïs semences augmentent de 2 % par an, soit 26 500 tonnes en 2030. Avec des rendements stables, la production s’établit à 79 500 tonnes. Les importations de l’Union européenne reculent de 41 % en 6 ans. À l’inverse, les importations chinoises progressent. Pour ce scénario, le cabinet de conseil émet l’hypothèse d’une Russie qui « vassalise » l’Ukraine. Le Président russe serait plutôt dans une « attitude punitive », en aspirant les semences ukrainiennes pour le compte de son pays et en tarissant « le flux » de recherche et développement, précise Olivier Antoine.

« Se battre à arme égale »

Que faire maintenant de ces scénarios ? De cette Ukraine qui « n’est pas là pour faire peur » mais dont le potentiel est tel qu’elle pourrait « avoir un capacitaire équivalent » à la France ? Pour Xavier Thevenot, secrétaire du bureau de l’Union française des semenciers (UFS), il faut d’abord relativiser les chiffres. « Les évolutions françaises et ukrainiennes en production de semences sont assez similaires, avance-t-il en évoquant l’année 2025 et ses surfaces en recul de 20 000 ha pour les deux pays. On ne voit pas d’explosion des surfaces ukrainiennes pour alimenter le marché français », ajoute-t-il. Les niveaux d’importations de semences ukrainiennes sont selon lui « significatifs » mais il ne s’agit pas d’un « raz de marée de nature à venir nous challenger sur notre bassin de production ». Par ailleurs, une partie de ces semences importées (environ 50 % selon une enquête de l’UFS) ne reste pas dans le pays, ses plateformes logistiques permettant un transit vers d’autres destinations.

Le représentant de l’UFS partage toutefois les inquiétudes des producteurs : « un pays comme ça avec autant de facilité et de moyens de production, c’est de nature à représenter une inquiétude », reconnaît-il. À la question des mesures à prendre, sa réponse est la même que celle de l’AGPM : « allégeons les boulets que nous nous mettons au pied, en même temps d’exiger des pouvoirs publics les clauses de sauvegarde […]. Il faut se battre pour lever les contraintes […]. Il faut se battre à arme égale ».