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« Il faut inverser le rapport de force » pour défendre l’irrigation

Maître Laurent Verdier est un avocat spécialisé en droit de l’environnement appliqué au monde agricole.

Maître Laurent Verdier est un avocat spécialisé en droit de l’environnement appliqué au monde agricole. Il mène aujourd’hui deux procédures pour défendre les irrigants, ceux des bassins de l’Adour et du Marais poitevin. Avec une stratégie nouvelle visant à faire entendre les principaux concernés par les tribunaux.

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Les contentieux se multiplient concernant l’irrigation. Qu’en pensez-vous ?

« Nous vivons aujourd’hui un tournant en matière de gestion collective de l’eau, estime Laurent Verdier, avocat spécialisé en droit de l’environnement. Dans les zones sensibles, à la place de la gestion individuelle qui avait cours auparavant, on est passé à l’organisme unique de gestion collective (OUGC). Pour un territoire est défini un volume global, à charge ensuite pour l’organisme unique d’en assurer la répartition entre les différents usagers. »

« Puis les arrêtés préfectoraux sont systématiquement contestés par les associations environnementales. L’autorisation unique de prélèvement (AUP) du bassin de l’Adour comme celle du Marais poitevin concernent chacune quatre départements. Les dossiers sont complexes et les opposants y trouvent toujours une faille… »

Mais alors, comment contrer ces recours systématiques ?

« Les tribunaux administratifs n’ont pas de chambre spéciale. Les tribunaux administratifs ont l’habitude de juger un acte administratif. Mais là, avec les recours contre les AUP, ce qu’on leur a demandé d’annuler, ce sont en réalité des centaines d’autorisations et non pas une seule. »

« De plus, les irrigants ne peuvent pas faire appel puisqu’ils ne sont pas présents dans la procédure. Alors que ce sont pourtant eux qui sont impactés par la décision. Mais c’est plus facile pour un tribunal de les passer à la trappe parce qu’ils ne sont pas incarnés dans le contentieux… »

« Il faut inverser le rapport de force par une intervention collective. C’est ce que nous avons fait avec la tierce opposition. Pour la mener, il faut réunir deux conditions : que la décision porte atteinte à vos droits, et que vous n’ayez pas été présent ni représenté au procès. »

Et c’est bien le cas ?

« Pour le Marais poitevin par exemple, les irrigants sont tous impactés par la diminution des volumes que les préfets ont été enjoints de mettre en œuvre par la décision de juillet dernier. La question suivante s’est donc posée : est-ce que l’EPMP (Établissement public du Marais poitevin) les a représentés dans la procédure ? »

« La réponse est non. C’est un établissement public sous la tutelle du ministère de la Transition écologique. France Nature Environnement Pays de la Loire y est également présente. Et on ne peut évidemment pas dire que cette association représente les agriculteurs. Les missions de l’EPMP sont définies par le code de l’environnement. Il s’agit de déposer le dossier pour la demande d’autorisation de prélèvement et de répartir les volumes attribués entre les agriculteurs. Pas de les représenter en justice. »

« C’est peut-être une faille dans le système de gestion collective et dans le rôle des OUGC. L’OUGC est un “objet juridique non identifié”, comme l’a défini le Conseil d’État. On veut le faire agir comme le mandataire des irrigants, alors qu’ils ne sont pas en mesure de choisir leur OUGC, ni de lui donner des instructions. Juridiquement, l’OUGC n’est pas leur mandataire. »

Appel, recours, d’autres procédures sont-elles possibles ?

« Puisque les irrigants n’étaient ni présents, ni représentés dans l’audience au tribunal administratif, ils ne peuvent pas faire appel. Mais l’État, lui, pourrait le faire. Il a jusqu’au 9 septembre 2024. Mais avec quel gouvernement ? Et même si un nouveau ministre de la Transition écologique est nommé, est-ce que sa priorité sera d’attaquer le jugement qui a réduit les volumes d’eau dans le Marais poitevin ? »

« L’intérêt général que représente l’agriculture ne pouvait être tributaire de tant d’aléas. Les irrigants se devaient d’engager la seule procédure qui leur donne la possibilité de se défendre et de faire valoir leurs arguments. Ils ne demandent ni plus ni moins que le droit à un procès équitable. Tel est l’objet de la tierce opposition. Si le tribunal la juge recevable, il rétractera sa décision qui sera considérée comme nulle et non avenue. Le procès de l’AUP recommencera, cette fois en présence des irrigants. »

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