Un ex-commissaire européen alerte sur les dangers de la réforme de la Pac
Nationalisation des négociations, décorrélation des sujets agricoles et sociétaux, distorsion de concurrence entre États membres… À l’occasion de l’assemblée générale de la Fédération nationale ovine (FNO) de 2025, l’ancien commissaire européen à l’Agriculture, Dacian Ciolos, a mis en garde contre les dérives inquiétantes du projet de réforme de la Pac.
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Le projet de réforme de la politique agricole commune post-2027 fait toujours des émules, d’autant plus lorsque la critique vient d’un ancien commissaire européen à l’Agriculture. « Actuellement, le futur du budget de la Pac est complètement imprévisible, tant dans la quantité d’argent sur la table que dans les moyens de distribution », expose Dacian Ciolos, aux manettes du portefeuille européen agricole entre 2010 et 2014, et président du groupe Renew au Parlement européen jusqu’en 2021. Invité à éclairer de son expérience le sujet houleux de la réforme de la Pac lors du congrès de la FNO, à Paris, le 30 septembre 2025, le Roumain pointe plusieurs incohérences dans la direction prise par la Commission sur le secteur agricole.
Nationalisation progressive
« De nombreux membres du Parlement européen pensent sérieusement à rejeter la proposition de la Commission sur le règlement concernant les plans de partenariat nationaux stratégiques, car cela déstabilise complètement les politiques sectorielles que l’on avait jusqu’à présent, comme la politique agricole commune », atteste tout d’abord Dacian Ciolos. S’ajoutant à la refonte des piliers originels structurant les aides de la Pac, ces plans nationaux sont un élément phare de la proposition de réforme de la Commission. Selon le commissaire actuel Christophe Hansen, ils doivent notamment permettre aux 27 États membres de compenser individuellement une probable baisse du budget commun alloué au secteur agricole, en fonction des priorités de chacun.
Mais outre une nationalisation progressive de la Pac, cette dynamique « risque d’engendrer une distorsion de concurrence sur le marché intérieur, souligne Dacian Ciolos, certains États, notamment du Nord ayant des moyens budgétaires pour augmenter les aides d’État, alors que d’autres ne les ont pas ». Enfin, là où les États négociaient jusqu’ici ensemble sur le budget et le contenu législatif de la Pac, l’introduction de ces plans nationaux va « déplacer peu à peu la décision européenne pour l’agriculture vers la Commission », déplore l’ex-commissaire.
Corriger le tir
« Le rôle du Parlement européen va être réduit à néant. Pour la négociation des plans de partenariat nationaux, chaque État membre viendra séparément discuter avec la Commission, et quand on individualise les négociations, les États les plus influents ressortent toujours gagnants, selon Dacian Ciolos. La Commission est en train de démanteler l’une des seules politiques européennes véritablement intégrée, reléguant l’Agriculture au rang de variable d’ajustement » d’un budget contraint.
S’il n’a « plus trop d’espoir » pour une augmentation du budget de la Pac post-2027, le politicien estime cependant que « tout n’est pas perdu », et qu’il est « encore possible de corriger le tir d’un point de vue législatif dans le courant de l’année ». Pour cela, Dacian Ciolos appelle les éleveurs à faire remonter leurs propositions à leurs députés européens et au ministère. « Nous avons tous les arguments pour faire les choses différemment, mais il faut arriver à les imposer de manière politique, auprès de ceux qui ont du poids dans la décision finale », plaide-t-il.
Décorrélation des enjeux agricoles et sociétaux
Enfin, l’autre dynamique négative de la proposition de réforme de la Pac réside dans « une décorrélation totale des enjeux agricoles et des enjeux sociétaux et territoriaux », estime l’ancien commissaire. Une « grossière erreur » étant donné l’imbrication permanente de ces différents sujets, et la filière ovine est bien placée pour en témoigner. « Le modèle d’élevage des ovins repose sur le pâturage, rappelle Brigitte Singla, secrétaire générale de la FNO. La plupart des gens ne se rendent pas compte que nous participons fortement à l’entretien du paysage et au maintien de la biodiversité au quotidien. »
L’éleveuse de brebis laitières dans l’Hérault appelle ici « une reconnaissance par la société du bien public rendu par la filière à travers une aide aux surfaces pâturées ou fauchées ». Et pour Dacian Ciolos, ce type d’initiative venue du terrain pourrait participer à « une meilleure justification des aides de la Pac » auprès du grand public. « L’idée consiste à ne pas retirer d’argents aux agriculteurs, mais à mieux le flécher », conclut-il.
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