« Pas simple pour les syndicats de trouver des têtes qui incarnent de nouvelles générations »
Sociologue à l’Agro Toulouse et membre de l’Académie d’agriculture, François Purseigle livre son analyse des mobilisations agricoles qui ont marqué l’année 2024. Dans ce dernier épisode, il aborde le sujet des enjeux des prochaines élections des représentants des chambres d’agriculture et les critiques qui ont visé Arnaud Rousseau, président de la FNSEA. [Série de trois épisodes]
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Quelles dynamiques anticipez-vous pour les prochaines élections professionnelles ?
Certains sympathisants de la FNSEA peuvent parfois se retrouver dans le discours porté par certaines sections locales de la Coordination rurale. C’est dans ces poches de porosité, parmi lesquelles j’ai notamment identifié des départements du Sud-Ouest ou du Grand Est, que ces porosités peuvent jouer. Il y a dans ces territoires des agriculteurs issus des rangs du syndicalisme majoritaire qui peuvent s’émanciper. Pour la Confédération paysanne, c’est plus compliqué parce qu’elle a moins de moyens et que ses rangs sont moins garnis dans certains départements. Elle gagnera là où le syndicalisme majoritaire fera preuve de fragilité.
Quelle fragilité pourrait toucher la FNSEA et Jeunes Agriculteurs ?
Rien n’est acquis pour eux. C’est là où la FNSEA et Jeunes Agriculteurs sont en tensions, où il y a des problèmes d’hommes, que la Confédération paysanne et la Coordination rurale peuvent marquer des points. Par exemple en Ariège, il y a deux listes FDSEA/JA ou en Haute-Garonne où il y aura plus de quatre listes. Tout laisse à penser que les choses seront difficiles pour eux dans ces départements. J’ai rarement vu autant de doutes quant au choix des têtes de liste ou, à la manière dont les listes sont constituées. C’est quand les FDSEA montrent des signes de fragilité qu’elles sont plus sensibles à la contestation et au renversement.
Mais il faut relativiser car les agriculteurs restent attachés à un syndicalisme agricole de services, qui leur proposent de les accompagner notamment au moment de la transmission ou dans leurs dossiers Pac. Et la FNSEA reste l’organisation qui est la mieux dotée en la matière.
Les groupes autonomes d’agriculteurs que vous identifiez vont-ils s’investir dans les élections professionnelles ?
C’est variable. Les ultras de l’autoroute A64 vont sans doute porter une liste. Les groupes autonomes paysans dans l’Aveyron se sont ralliés à la Coordination rurale. Ces groupes autonomes ne sont pas présents dans toutes les régions, nous les voyons plutôt dans le Sud-Ouest mais ils donnent à voir quelque chose.
Quels renseignements donnent-ils ?
Ils expliquent pourquoi les agriculteurs ne se retrouvent dans aucune des organisations. Certains ne se retrouvent pas dans certains discours comme ceux de la Confédération paysanne où il n’y a pas beaucoup de place pour ceux qui s’identifient encore comme des agriculteurs et non des paysans, ou dans les méthodes d’actions comme celles de la Coordination rurale.
Qu’attendent les agriculteurs de leurs organisations syndicales ?
Les organisations professionnelles qui sont de vieilles dames n’ont pas des modes de fonctionnement qui correspondent toujours à ce que les agriculteurs veulent à l’échelle de certains territoires. Ils attendent de la sincérité. Ils attendent des représentants qui leur ressemblent. C’est ce qui explique aussi la crise de légitimité des organisations syndicales.
Pour autant, ce n’est pas simple pour elles de trouver des têtes qui incarnent de nouvelles générations. Certains responsables professionnels ne lâchent pas aussi facilement les rênes.
Le profil d’Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, qui est particulièrement critiqué par la Coordination rurale et la Conf', notamment en raison de son mandat à la tête d’Avril, est-elle cette figure attendue des adhérents ?
La figure d’Arnaud Rousseau incarne aussi des profils d’agriculteurs qui sont bel et bien présents sur les territoires français. Il incarne une conception de l’agriculture partagée par certains agriculteurs. De nombreux agriculteurs et leurs familles possèdent en France des fermes complexes. Il y en a de plus en plus. Des agriculteurs qui ont des exploitations plus importantes que la plupart des responsables professionnels qu’on cite habituellement, j’en rencontre souvent.
Mais ce qui est difficile pour Arnaud Rousseau l’est aussi pour Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale, et Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne. Ce qu’elles sont ne correspond pas à ce que certains vivent à l’échelle de leur territoire. Des agriculteurs de gauche ne se retrouvent pas non plus dans la porte-parole de la Confédération paysanne.
C’est de plus en plus difficile pour ces grands leaders d’incarner la pluralité. On parle davantage d’Arnaud Rousseau car c’est la FNSEA, mais de nombreux agriculteurs veulent être reconnus comme des chefs d’entreprise. Arnaud Rousseau l’est. Les agriculteurs sont un peu ambigus et ambivalents dans ce type de débat.
Pourquoi dès lors ce débat sur le profil du leader syndical existe-t-il ?
La matrice de la polyculture-élevage imprègne encore certaines conceptions du syndicalisme agricole. Comme si un bon leader devait être forcément un polyculteur-éleveur. La plupart des Français fantasment l’agriculture autour de cette matrice de la polyculture-élevage. À entendre certains, on ne pourrait pas être un bon agriculteur si on est un agriculteur spécialisé.
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