Login

« Des doutes s’expriment vis-à-vis des organisations professionnelles »

François Purseigle, sociologue à l’Agro Toulouse, membre de l’Académie d’agriculture de France.

Sociologue à l’Agro Toulouse et membre de l’Académie d’agriculture, François Purseigle livre son analyse des mobilisations agricoles qui ont marqué l’année 2024. Dans ce premier épisode, il observe un mouvement qui a échappé en partie aux syndicats agricoles avec l’apparition de groupes autonomes. [Série de trois épisodes]

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Comment le sociologue que vous êtes analyse-t-il les mobilisations agricoles de 2024 ?

L’acte I des mobilisations a commencé de manière un peu silencieuse à l’automne 2023 qui fait suite à l’inversion des panneaux dans le Tarn par le syndicat Jeunes Agriculteurs. On a assisté ensuite à un emballement. En Occitanie, l’entrée dans la mobilisation du groupe des ultras a été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres.

Comment sont apparus ces « ultras » ?

À ce moment-là, la France était marquée, non pas du sceau de crises qui affectaient la plupart des filières, mais d’une crise sanitaire, la MHE, qui avait du mal à être résolue par les pouvoirs publics.

À la suite d’hésitations de la profession, des groupes autonomes qui étaient jusqu’alors plutôt constituées de membres de FDSEA du Sud-Ouest ont décidé de passer à l’action pour alerter l’État sur la situation des troupeaux, sur la nécessité de mieux calculer des indicateurs de compensation et d’agir en urgence. En outre, l’affaire du GNR avec un accord négocié un peu rapidement par les pouvoirs publics et les organisations professionnelles ne passait pas dans les zones comme l’Occitanie où les trésoreries sont maigrichonnes et où la situation est plus tendue qu’ailleurs.

Dans certains départements, comme en Aveyron, des groupes d’autonomes se sont depuis rapprochés de la Coordination rurale. Dans le Tarn-et-Garonne, vient d’émerger le Syndicat des paysans occitans fondé par d’anciens membres de la Coordination rurale.

Quels profils se retrouvent dans ces groupes autonomes ?

Il y a des syndiqués, des non-syndiqués, des anciens syndiqués. Ce sont des mouvements qui agrègent des personnes qui cherchent avant tout à vivre de leur métier et qui se sentent floués par les décisions publiques. Cela reste un mouvement où s’expriment « des doutes vis-à-vis des organisations professionnelles ».

Ce n’est pas simplement le reflet d’une contestation à l’égard de la FNSEA, de la Coordination rurale ou de la Confédération paysanne. C’est le reflet de questionnements et de doutes quant à la place des organisations syndicales et de leur rôle pour résoudre les problèmes.

Cela est à mettre en perspective avec les résultats d’une enquête que nous avons réalisée au printemps dernier et où 30 % des agriculteurs sur les 1 400 interrogés déclaraient n’être proches d’aucune organisation syndicale.

Les manifestations de l’hiver dernier étaient qualifiées d’inédites, l'étaient-elles vraiment ?

Cela faisait des années qu’il y avait des manifestations sur l’eau, sur des questions de normes et de l’accès à certaines molécules mais on voyait finalement combien c’était difficile d’emporter derrière ces revendications une masse d’agriculteurs. Les manifestations de l’acte I ont illustré finalement un retour des très grandes manifestations.

Ces manifestations n’étaient pas si inédites. Nous n’avions simplement plus eu l’habitude de voir un mouvement d’une telle ampleur et dans toutes les régions.

Les mobilisations de l'hiver dernier n'étaient pas « inédites », selon François Purseigle. (©  Johanne Mâlin/GFA)

L’écho a été assez important car les opinions publiques ont été sensibles au cri de désespoir d’une population d’éleveurs qui voyaient leurs troupeaux être décimés.

Qu’est-ce qui distingue finalement cet acte II, démarré il y a quelques semaines ?

Il s’inscrit moins dans l’émotion et dans la spontanéité. Il est porté avant tout par les organisations syndicales. Les groupes autonome, comme ceux des ultras, n’en font pas partie pour le moment. Il ne trouve pas non plus le même écho chez des agriculteurs qui sont encore dans une période de travaux.

Quel impact les élections des représentants des chambres d’agriculture qui se dérouleront dans un mois ont sur cet acte II ?

On assiste à une course à l’échalote. Si le Mercosur a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, l’acte II s’inscrit dans cette perspective des élections professionnelles. Il faut bien trouver des prétextes pour faire descendre les gens dans la rue.

La population semble toujours soutenir les agriculteurs mais parvient-elle à bien comprendre leurs revendications ?

Je pense que les opinions publiques sont préoccupées aujourd’hui par d’autres sujets. Il y a encore un attachement perceptible dans les enquêtes d’opinion à l’agriculture. L’acte I a battu en brèche l’idée d’agribashing. Les agriculteurs doivent éviter de passer pour les enfants gâtés de la République. Parce que l’opinion publique pourrait se retourner contre eux.

Certains agriculteurs ont conscience qu’ils ont obtenu pas mal de choses dans l’acte I. Si l’acte II n’a pas la force de l’acte I, c’est aussi parce qu’il y a des hésitations de la part des agriculteurs et de leurs organisations. Ils ont quand même gagné quelque chose, comme me le disait un agriculteur récemment, c’est la mise à l’agenda de la question agricole.

Rien n’est acquis avec l’opinion publique. Ce n’est pas parce qu’il y a une vraie passion entre les Français et leurs agriculteurs qu’il ne peut pas y avoir de crises. Ils ne seront pas les seuls à l’échelle des territoires ruraux à encaisser les coups de la globalisation. Il y a quand même des plans sociaux qui s’annoncent dans les territoires, la situation des TPE/PME n’est pas non plus folichonne. On peut aimer passionnément, pour autant, on n’accepte pas n’importe quoi par amour .

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement