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Donner le goût de l’agriculture aux jeunes

Avec l'appui du collectif breton Génération agri, un éleveur ouvre les portes de son élevage à une classe de collégiens.

Derrière le défi du renouvellement des générations se cache une multitude d’initiatives pensées et mises en place par des acteurs locaux passionnés.

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La filière agricole est le quatrième employeur de France. Pourtant, d’ici à 2035 60 % des chefs d’exploitations sont susceptibles de partir à la retraite et un tiers des exploitations devrait disparaître [1]. Le renouvellement des générations est l’enjeu majeur des dix prochaines années pour l’agriculture. Alors comment susciter des vocations ? Être au plus proche des attentes des jeunes ?

Penser l’agriculture au sens large

Les établissements scolaires, les collectifs, réseaux ou associations locales. Tous sont unanimes. Pour renouveler les générations d’agriculteurs et d’agricultrices, il faut penser l’agriculture au sens large. Au-delà de la production.

« Notre filière abrite un tas de métiers porteurs et diversifiés, débute Hélène Loric agricultrice dans le Morbihan et élue référente du collectif breton Génération Agri 56. Il faut le faire savoir en sensibilisant aux domaines agricole et para-agricole. Car plus il y a de gens qui s’intéressent aujourd’hui à l’ensemble de la filière agricole, plus il y aura de personnes qui s’installeront demain. »

Multiplier les points de contacts

Visites en classes, immersions à la ferme, portes ouvertes, stages, salons. Tous les moyens sont bons pour attirer les jeunes dans la filière. À l’École supérieure des agricultures (Esa), par exemple, « c’est open bar, assure Myriam Germain, la responsable communication et orientation de l’établissement scolaire. On a ouvert tous les canaux de communication. »

En 2018, l’Esa ouvrait ses portes quatre fois dans l’année. Désormais, c’est dix fois par an, en plus de sa présence dans une quarantaine de salons à travers la France. « On peut nous contacter en ligne, par téléphone, par e-mail, prévoir des rendez-vous physiques et des visites personnalisées, liste-t-elle. On s’adapte aux jeunes en multipliant nos points de contact. »

Enseigner le b.a.-ba

À l’instar de l’Esa, un acteur local de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) a travaillé au fil des ans sur de nouveaux formats d’approche. « Quand je suis arrivée dans le réseau en 2014, il n’y avait que l’événement collectif ‘De ferme en ferme’, relate Marion Genty, coordinatrice accueil et échanges en milieu rural du groupement régional des Civam en Paca. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte qu’il y avait des volontés individuelles d’accueil chez certains agriculteurs. »

En 2017 dix producteurs ont ainsi créé le réseau Racines, qui dispose désormais des agréments de l’Éducation nationale et de Jeunesse et éducation populaire pour l’accueil des scolaires et centres de loisirs. Des agréments qui permettent notamment de percevoir une aide financière de l’État. « L’enjeu est de rassembler des agriculteurs qui ont une activité de production inscrite dans une démarche d’agriculture durable, et qui ont envie d’accueillir des jeunes pour parler de leur métier et les reconnecter à la terre et au vivant. » Car pour donner le goût de l’agriculture aux jeunes, il faut parfois leur enseigner les fondements.

Lever le nez des cahiers

« Apprendre les choses en dehors d’une classe est déterminant, estime Nicolas Borde, père de famille et agriculteur à Pernes-les-Fontaines (Paca) engagé dans le réseau Racines. En une journée, nous paysans et paysannes, sommes capables d’éveiller les consciences. Une fois, une élève m’a demandé : ‘Comment avez-vous fait pour mettre toute cette terre sur le goudron ?’ Ça résume la raison pour laquelle on doit se battre pour sortir les gamins des villes, pour qu’ils mettent les pieds sur une ferme et qu’ils comprennent que ça existe. Il faut faire notre part du travail. Et si un, deux ou trois gamins en ressortent touchés, c’est un pari gagné. »

Une démarche que suit également l’association nationale Agridemain. « À l’image des journées du patrimoine, on ouvre les portes des exploitations et du monde agricole et para-agricole un week-end de juin, relate Basile Faucheux, agriculteur dans le Loiret en polycultures. Notre but est de démystifier ce beau métier, de redonner la parole aux agriculteurs. » Tout au long de l’année, des agriculteurs d’Agridemain échangent avec des collégiens en plus d’en accueillir sur leur ferme.

« On organise aussi des forums à thèmes et on est présents sur les salons », complète Laurent Dubois, trésorier de l’antenne landaise d’Agridemain. Cet éleveur de canards prêts à engraisser et chef d’une exploitation céréalière en est convaincu : « L’agriculture est un métier passion et tous les jours différent. C’est ça qu’il faut transmettre aux futures générations. »

Des collégiens découvrent le plaisir de s'occuper d'animaux de ferme lors d'une immersion dans une exploitation landaise. (© Agridemain Landes)

S’adapter aux nouveaux codes

Pour y parvenir, il faut capter leur attention. Rallyes, escape games, quiz, casques à réalité virtuelle, réseaux sociaux. Les acteurs locaux regorgent d’idées pour donner le goût de l’agriculture aux jeunes. « On entre dans les collèges et les lycées avec des mallettes pédagogiques », reprend Laurent Dubois d’Agridemain Landes. Adaptées à chaque niveau, ces boîtes à outils permettent aux agriculteurs et agricultrices de parler de leur métier de manière ludique et concrète.

Chez Génération Agri, « l’attractivité est une priorité, assure Cécile Renaudeau, la coordinatrice du collectif costarmoricain au niveau régional. Donc on innove. » En plus de quiz pour faciliter l’interaction, de lunettes à immersion et d’objets utilisés au quotidien en fonction de la filière agricole présentée, la boîte à outils du collectif propose des formations pour les intervenants. « Comment répondre aux questions qui grattent ou comment donner du rythme à l’intervention sont des thèmes abordés, précise Isabelle Rousseau, animatrice territoriale de Génération Agri. Ils ont également à disposition des outils de langage et de posture pour éviter que les élèves ne s’ennuient. »

Des élèves exploitent une parcelle solidaire grâce à l'association Solaal. (© Solaal)

« On a même lancé une chaîne sur le réseau social TikTok, s’amuse Myriam Germain, la responsable communication et orientation de l’Esa. On s’adapte aux codes de la nouvelle génération en modernisant nos approches. L’enjeu est de ne surtout pas être plan-plan car l’agriculture n’est plus une filière acquise. Elle doit donner envie. »

Donner la parole aux jeunes

Et quoi de mieux pour donner envie, que de laisser la parole aux jeunes ? C’est en tout cas le pari qu’a relevé la 39e édition du Salon international de l’élevage (Space) organisé comme chaque année à Rennes (Côtes-d’Armor). Pour la première fois, le Space a donné le micro à des étudiants et jeunes professionnels de la filière agricole pour s’adresser aux soixante-dix élèves de deux collèges bretons d’enseignement général qui étaient présents. Le mardi 16 septembre 2025 au matin, Claire, étudiante en école d’ingénieur, Alexandre apprenti vétérinaire et Perrine, influenceuse connue des réseaux sociaux et pareuse de bovins, ont partagé leur passion de l’agriculture.

« Faut-il avoir de bonnes notes pour travailler dans l’agriculture ? Combien gagne-t-on ? Il y a des métiers plus cool que d’autres ? Ou encore, est-ce qu’on a froid quand on travaille avec les animaux ? » Les questions ont fusé et les réponses découlé. Après une heure d’échanges vifs et sincères, les jeunes invités ont visité le salon avec des professionnels de la filière agricole. « L’idée est de vous donner des clés et de vous faire découvrir des métiers auxquels vous ne pensez pas toujours », leur a expliqué l’un d’entre eux avant de sillonner les allées du salon. L’événement a donné rendez-vous l’année prochaine.

Travailler collectivement

Partenaire de cette initiative, l’Esa met un point d’honneur à ce que ses étudiants communiquent eux-mêmes sur leur formation. « Toute l’année, une quinzaine d’étudiants volontaires sont nommés ambassadeurs, insiste Myriam Germain. Ce sont eux qui nous accompagnent sur les salons, les forums, qui sont présents aux portes ouvertes et qui organisent les journées d’immersion ‘Vis ma vie’. »

Une implication de la jeunesse agricole qui a également ravi Jean-François Besson, directeur de l’établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricoles (EPLEFPA) de Brioude-Bonnefont (Auvergne-Rhône-Alpes). Lors des championnats de France de rugby des lycées agricoles de 2023 organisés dans l’établissement, élus, institutionnels, agriculteurs, professionnels et étudiants se sont mis autour de la table pour promouvoir l’élevage.

« Ce qui a été marquant est que les jeunes ont pris la parole ! », rapporte le directeur. De ce travail collectif est né en 2024 le projet Actife dont l’un des objectifs d’ici à cinq ans, est « de montrer la diversité des opportunités de la filière élevage pour doubler le nombre d’apprenants ».

Recruter tous les profils

Pour transformer l’essai, deux ingénieures tout juste diplômées de l’AgroToulouse ont créé la plateforme Clarnie qui facilite le recrutement dans la filière agricole au sens large. « L’idée est de mettre en relation agriculteurs et étudiants pour tout type de missions, expliquent les fondatrices Marnie et Clara. Tous les types de contrats sont possibles, du stage au CDI, et tous les types de missions sont proposées dans plus de douze domaines. » De l’agriculture, mais pas que : communication, commerce, aide comptable, événementiel, numérique, etc. Un an après sa création à la fin de 2024, Clarnie a orchestré soixante-dix mises en relation.

Des collégiens visitent l'exploitation d'Anne Paulhe-Massol, une exploitante agricole de l'Aveyron qui fait également appel à la plateforme Clarnie pour recruter des stagiaires aux profils variés. (© Anne Paulhe- Massol/Clarnie)

« J’ai recruté deux étudiantes en stage pour créer mon offre de team building de A à Z », témoigne Anne Paulhe Massol. Exploitante agricole dans l’Aveyron, elle propose également un accueil haut de gamme dans sa ferme, entre auberge, visites, cueillettes de champignons et séminaires d’entreprises locales. « J’ai fait appel à Clarnie plusieurs fois car j’ai un réel besoin d’aide en dehors du seul cadre de mon exploitation. »

Relever un dernier défi

Recruter uniquement des étudiants spécialisés en agriculture, même au sens large, ne suffit donc pas. L’agriculture est une filière plurielle qui nécessite des compétences multiples.

L’Esa en a pris conscience et a entièrement repensé son identité visuelle pour recruter des étudiants de tous les profils. « Aujourd’hui, il y a moins d’exploitants, donc moins d’enfants d’exploitants, relate encore la responsable communication Myriam Germain. Cela nécessite d’aller au-devant d’un public qui ne connaît pas bien voire pas du tout l’agriculture, et de casser les stéréotypes. » Depuis trois ans, le logo de l’établissement est systématiquement accompagné de trois mots-clés : agriculture, environnement, alimentation. « On doit mener un gros travail pour s’assurer que la porte reste ouverte à tous les étudiants », poursuit-elle. C’est comme ça qu’on renouvellera les générations. »

« Il faut aussi et surtout s’adresser à tous les publics, pas uniquement aux étudiants, conclut l’agriculteur landais Laurent Dubois. Car l’urgence du renouvellement en agriculture touche l’ensemble de notre société. Tout le monde doit se réintéresser à la terre. C’est un défi collectif. »

[1] rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) rendu au gouvernement en juillet 2024.

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