Login

Après le violent incendie dans l’Aude, penser l’agriculture de demain

Dans les Corbières, un violent incendie a parcouru 16 000 hectares, causant de grands dégâts pour l'agriculture locale.

La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, l’a promis. Après le temps de l’urgence, elle reviendra dans le massif des Corbières « avant la fin de l’année » pour « le temps de la reconstruction ». Dans cette région, où 16 000 hectares sont partis en fumée, les réflexions se multiplient pour faire renaître une agriculture plus résiliente.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

« Il n’y a plus aucune essence, il n’y a plus rien, ça fait froid dans le dos », soupire amer Sébastien Pla, sénateur (PS) de l’Aude, au lendemain du violent incendie qui a parcouru 16 000 hectares dans le massif des Corbières. Mais passé le temps du constat et de la désolation, lui veut voir plus loin. « Ici dans l’Aude, 3 % du territoire a brûlé. Il faut se demander comment on remet de l’agriculture dans les Corbières », soulève-t-il. Ce petit-fils de vigneron se souvient d’un temps que l’incendie n’aurait certainement pas pu connaître.

« Il y a 40 ans, il y avait beaucoup de polyculture, les terres étaient plus fertiles. Il y avait des céréales, du maraîchage… À l’époque pour un agriculteur d’ici, c’était un affront d’avoir des terres non entretenues mais depuis les années 1980-1990 et la crise viticole, la surface agricole utile a été divisée par deux et l’arrachage des vignes a donné lieu à des friches », explique-t-il. Et ce sont ces friches, notamment, qui ont servi de combustible à l’incendie.

Contrer la « déprise agricole »

« Il faut remettre des hommes dans l’espace et tant qu’il n’y en aura pas, le risque continue de croître, avec des territoires qui vont être abandonnés au maquis », abonde Vincent Labarthe, vice-président en charge de l’agriculture, de l’enseignement agricole et de la forêt au sein de la Région Occitanie. Alors dans l’Aude, le modèle qu’il défend sera celui de la polyculture-élevage. « C’était historiquement une zone de transhumance hivernale. Il y avait énormément d’éleveurs d’Andorre qui venaient pâturer à cet endroit-là, avec à peu près 200 000 brebis qui descendaient », souligne Thimoléon Resneau, président du syndicat des éleveurs de l’Aude (Selpa) qui constate « une déprise agricole, notamment pastorale ».

Pour y remédier, il faudra rapidement lever un premier frein réglementaire. L’article L. 131-4 du code forestier prévoit l’interdiction du « pâturage après incendie dans les bois et forêts ne relevant pas du régime forestier […] pendant une durée de dix ans ». « Il y a aussi des problèmes avec le retardant. Personne n’est capable de nous dire si c’est dangereux ou pas, pour les cultures et les bêtes. Là, on ne sait pas quoi faire des zones de bordures et les éleveurs ne savent pas s’ils peuvent ou non faire pâturer », relate Loïc Escourrou, président des Jeunes Agriculteurs de l’Aude.

Puis, viendra le moyen voire le long terme. Thimoléon Resneau espère retrouver des transhumances hivernales, en partenariat avec les départements alentour, comme l’Ariège. « Pour cela, il faut sécuriser le foncier. Notre souci dans cette zone-là, c’est qu’on n’est pas en zone de montagne, donc on n’a pas accès aux associations foncières pastorales ou aux groupements pastoraux. Il faudrait travailler avec le ministère pour que ça s’applique aux zones pastorales des Corbières », plaide-t-il. D’autant que lui y voit d’autres avantages, comme la possibilité de financer des postes de berger ou des remplacements.

Au-delà des transhumances hivernales, il espère surtout « remettre un éleveur par village ». Pour cela, il faudrait d’abord garantir de la nourriture pour les bêtes : les zones de garrigues, les prés mais aussi les friches viticoles, qui sont actuellement des foyers de départ de feu. Pour passer l’été, où la pâture manque le plus, il imagine des cultures de foins à luzerne « qui fonctionnent très bien dans ces zones-là ». « C’est un jeu d’échange. L’éleveur permettrait de nettoyer les abords des villages, de proposer une alternative de cultures en zone de friches viticoles et il aurait une ressource fourragère pour son troupeau », assure-t-il.

Actuellement plusieurs mécanismes sont déjà à l’étude comme les paiements pour services environnementaux (PSE), qui rémunèrent les agriculteurs pour des actions contribuant à maintenir les écosystèmes. « Au niveau de la chambre d’agriculture, on essaye de travailler sur un kit élevage pour les viticulteurs, créer un outil clé en main pour les viticulteurs qui veulent se diversifier », ajoute Thimoléon Resneau.

Accès à l’eau

Cette diversification constitue un autre enjeu pour cette région actuellement majoritairement viticole. « La monoculture, c’est la mort d’un territoire », regrette Sébastien Pla. Mais avec la multiplication des périodes de sécheresse, la majeure préoccupation reste l’accès à l’eau. « De l’eau, il en tombe chaque année dans l’Aude, il suffit de la garder et on pourra faire quelque chose », s’indigne Nadine Micouleau, représentante locale de la Coordination rurale. Pour elle, comme pour d’autres, l’une des solutions serait de construire plus de retenues collinaires mais elle regrette des lourdeurs administratives, liées aux études d’impact préalables, qui ralentissent le processus.

« Le stockage de l’eau fait partie d’un ensemble de solutions possibles pour rendre plus résilientes les activités économiques qui tournent autour de l’eau, confirme Eric Sauquet directeur en hydrologie à Inrae, mais ce n’est pas la solution miracle ». Avec le stockage, se posent plusieurs questions comme celle de la qualité de l’eau stockée. Surtout, le sujet de la disponibilité de l’eau reste entier.

« Un stockage n’est pas non plus infini, les années où il a un peu plu, vous avez la capacité de stocker de l’eau pendant un temps mais au bout d’un moment, si vous utilisez l’eau, il n’y en aura plus. Et derrière se posera la question d’une résilience à une sécheresse prolongée pour laquelle vous n’aurez plus du tout de ressources », développe-t-il.

Avec le dérèglement climatique, « nos projections montrent que sur la partie sud du territoire, on va vers une aridification avec des problèmes de sécheresse plus récurrents et des réductions des précipitations hivernales », souligne-t-il. Pour lui, c’est donc la question plus globale de la résilience des cultures qu’il faut aborder. « Il y a un travail qui est mené, garantit Jérôme Despey, vice-président de la FNSEA et président de la chambre d’agriculture de l’Hérault, par exemple sur la vigne, on peut parler des cépages résistants. On peut évoquer les pistachiers, la grenade, l’oléiculture. Après il faut trouver le modèle économique. »

Financements

Et c’est là où le bât blesse. Selon l’Insee, en 2021, le revenu mensuel moyen des non-salariés agricoles dans l’Aude était de 945 euros, parmi les plus faibles de l’Hexagone. « Actuellement, on n’a pas de jeunes parce qu’économiquement ce n’est pas rentable. Si on amène un modèle économique qui marche, je suis certain que ça reviendra. Mais c’est urgent car les jeunes sont désespérés », constate Loïc Escourrou.

Consciente de l’enjeu, Carole Delga, présidente de la région Occitanie, a demandé au président de la République et à la ministre de l’Agriculture, « un plan Marshall ». « On milite pour la reconnaissance de l’agriculture méditerranéenne dans la future PAC 2027-2032. Mais il faut un signal fort de la part du gouvernement », explique Vincent Labarthe, en charge des questions agricoles à la région.

« Il y a le sujet des agences de l’eau qui ont aussi des moyens, il y a aussi le sujet du fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER)… Moi je pense qu’il n’y a aucune piste aujourd’hui qui doit être fermée », poursuit Jérôme Despley. Pour le moment, un travail de chiffrage est en cours pour connaître les moyens dont aurait besoin chaque département pour adapter son agriculture. La question de l’origine des financements devrait ensuite être discutée avec Annie Genevard, lors de sa prochaine rencontre avec les acteurs.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement