Pour contourner Egalim, les négociations commerciales se délocalisent à l’étranger
Alors que le respect des lois Egalim fait partie des revendications des agriculteurs qui continuent de se mobiliser, des acteurs négocient à l’étranger pour échapper aux textes. Des comportements qui réduisent l’efficacité de ces lois chargées de rééquilibrer les relations commerciales et de sanctuariser la valeur de la matière première agricole.
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Colère des agriculteurs réclamant de meilleurs prix, multiplication des contrôles, menace de sanction du gouvernement… les négociations commerciales entre la grande distribution et leurs fournisseurs de marques nationales se clôturent le 31 janvier 2024 dans un climat de grande tension alors que la date butoir était fixée au 15 janvier pour les PME. Deux dates butoirs que le gouvernement avait avancées pour faire baisser les prix dans les rayons pour les consommateurs touchés par l’inflation alimentaire. Une mesure accueillie avec scepticisme.
Amsterdam, Bruxelles et Madrid pour places fortes
« Cela nous a mis dans une ambiance médiatique et politique dans laquelle on disait que les prix vont baisser, mais les prix ne peuvent pas baisser. Ponctuellement, des prix baissent lorsqu’il y a des cours qui se retournent réellement et de manière importante. Mais fondamentalement, nous sommes dans une économie structurellement inflationniste », expliquait Richard Panquiault, président et directeur général de l’Ilec, qui rassemble une centaine d’entreprises produisant et commercialisant des produits de grande consommation. Il était invité à un colloque organisé le 29 janvier 2024 au Sénat sur l’avenir de la production agricole.
Si la baisse des prix dans les rayons est illusoire, il en est de même pour la pleine application des dispositions des trois lois Egalim adoptées en 2018, 2021 et 2023 et chargées de mieux rémunérer les agriculteurs et de rééquilibrer les relations entre les transformateurs et la distribution. « Nous observons une régression des négociations. En 2022-2023, nous avions réussi à sanctuariser une bonne partie de la matière première agricole, aujourd’hui ça s’avère beaucoup plus compliqué partout », admet Richard Panquiault.
« Les textes Egalim sont bien faits, mais un certain nombre de très grosses enseignes qui représentent 50 à 60 % de la distribution s’affranchit de ces textes car ils négocient assez peu en France », observe Richard Panquiault. Un phénomène observé par le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, qui constatait des contournements de la loi Egalim par la création de centrales d’achat à l’étranger.
« Une partie grandissante de nos chiffres d’affaires se négocient à l’étranger. Ils négocient techniquement à Amsterdam sous le droit néerlandais, à Bruxelles sous le droit belge et à Madrid sous le droit espagnol », ajoute Richard Panquiault. Des droits qui permettent de faire fi d’ailleurs de la date butoir du 31 janvier.
À deux jours de cette date qui concernent une cinquantaine d’entreprises — les plus grosses —, 15 % des accords sont pour l’instant signés précise le président et directeur général de l’Ilec.
Trois industriels dans le viseur du Gouvernement
Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, avait promis que cette semaine des injonctions seraient envoyées aux industriels et distributeurs qui ne respectent pas les lois Egalim et avec la menace de sanctions allant jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires. Deux jours après lors de son déplacement sur exploitation agricole d’Indre-et-Loire, le Premier ministre Gabriel Attal avait indiqué que « trois grosses sanctions » étaient annoncées. Selon des informations de BFMTV, elles concerneraient deux filiales du groupe Bigard et la Laiterie de Saint-Malo. Des informations que cette dernière et le groupe Bigard ont démenties.
« J’ai entendu cette information, mais je ne sais pas quelles sont les entreprises concernées, précisait Jean-Philippe André, président de l’Association nationale des industries alimentaires, également invité au colloque organisé au Sénat. « 3 sur 17 000, la belle affaire », ironisait-il avant de rappeler que si des entreprises ne respectaient pas la loi, elles devaient être sanctionnées.
Une commission d’enquête commune
Également présent au Sénat, Frédéric Descrozaille, député de la majorité et qui a porté la loi Egalim 3, a estimé que la question de l’application de la loi et de son contrôle concernait le Gouvernement comme le Parlement. « Peut-être qu’il faut que certaines actions de l’Administration concernant l’application de la loi reçoivent un feu vert politique », s’est-il interrogé. Il a appelé à la constitution d’une commission d’enquête commune entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur le sujet. « Ne serait-ce que pour savoir ce qu’il se passe. »
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