Login

« Il est temps de reconquérir notre assiette », affirme Annie Genevard

Dans cette interview organisée dans son bureau du ministère de l'Agriculture, Annie Genevard a également commenté les résultats des dernières élections des chambres d'agriculture.

À quelques jours du Salon de l’agriculture, la ministre de l’Agriculture veut faire de ce rendez-vous le point de départ d’une stratégie « offensive » pour atteindre la souveraineté alimentaire. Elle annonce dans cette interview à La France Agricole l’organisation après le salon de conférences avec les filières sur le sujet.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Comment abordez-vous ce premier Salon de l’agriculture en tant que ministre ?

Ce salon revêt une importance particulière car il survient après une année terrible pour la ferme France. Il constitue également le premier événement majeur après les élections des chambres d’agriculture. Ce rendez-vous porte plusieurs significations. C’est un moment de respiration qui doit permettre de confirmer sans ambiguïté que les Français, le gouvernement et l’État aiment les agriculteurs.

Cette rencontre entre les Français et ceux qui les nourrissent doit avant tout rester une grande fête populaire. Parallèlement, il s’agit aussi d’un temps de travail, d’échanges et de collaboration avec les filières et l’ensemble des professionnels du secteur.

Quel message allez-vous porter ?

Un certain nombre d’annonces seront faites, ainsi que des opérations en partenariat avec divers acteurs. Pour ma part, l’essentiel est que ce salon soit l’occasion d’une parole de la ministre, d’une parole du gouvernement et de l’État. Je voudrais que nous parvenions à faire collectivement de cette 61e édition le premier salon du rebond de notre agriculture, la première pierre d’une reconquête agricole et alimentaire. Il faut qu’on affirme que nous sommes entrés dans une nouvelle ère géopolitique qui requiert la reconquête de notre puissance alimentaire.

C’est un enjeu régalien au même titre que notre capacité à nous défendre. Le secteur alimentaire doit se positionner de manière offensive. Le conflit russo-ukrainien en témoigne : l’alimentation est aujourd’hui une arme géopolitique. Si demain la France veut peser dans le concert des Nations, dans les négociations sur les accords de libre-échange, sur les relations internationales au sein de l’Union européenne ou en dehors de celle-ci, elle ne doit pas être fragilisée sur le plan alimentaire. En améliorant sa souveraineté alimentaire, la France renforce sa place et sa voix. Je refuse que nous laissions une dette alimentaire à nos enfants. Il est temps de reconquérir notre assiette.

Un rendez-vous est-il prévu avec le commissaire européen à l’Agriculture ?

Oui, c’est un moment déterminant, où nous aurons l’opportunité de réaffirmer notre position sur le Mercosur, nos attentes concernant la Pac, ainsi que sur les nombreux enjeux actuels, qui sont très divers. La question de la souveraineté française croise d’ailleurs les enjeux européens. En écoutant mes homologues, j’entends qu’ils ont les mêmes préoccupations en matière de renouvellement de générations, qu’ils ont les mêmes attentes concernant la simplification de la Pac et d’un maintien d’un cadre financier qui assure du revenu à nos agriculteurs.

J’entends qu’ils sont d’accord avec ma proposition et celle du ministre espagnol d’une approche concertée sur le sanitaire animal pour prévenir toutes les épizooties. Il y a beaucoup de points de convergence en réalité entre les différents États membres. Partager les mêmes difficultés favorise l’adoption de positions communes et l’élaboration de solutions communes.

Où en est le processus de ratification de l’accord commercial avec le Mercosur ?

C’est une préoccupation constante pour nous, même si le sujet est moins présent dans les médias. L’opposition au Mercosur bénéficie tout de même de l’alignement des positions politiques et il n’y a pas tant de sujets qui font l’unanimité. Le président de la République, le Gouvernement et le Parlement, nous sommes tous unanimes à dire non à un accord qui est mauvais pour nos filières. Cela ne va pas dans le sens de la reconquête de la souveraineté alimentaire pour la filière des viande, sucre ou éthanol.

Ensuite, elle n’offre aucune garantie du respect des accords de Paris et de la non-utilisation des substances interdites depuis longtemps chez nous. Cet accord est déséquilibré pour l’agriculture, il peut être bénéfique pour l’industrie, mais il ne peut pas l’être sur le dos de l’agriculture. Il y a de fortes probabilités que l’accord soit scindé et il faudra une minorité de blocage ou une absence de majorité.

Je vais donc continuer mon travail de lobbying diplomatique auprès de mes homologues en Europe. Je pense aussi que les agriculteurs des pays européens doivent continuer de se faire entendre pacifiquement.

Les élections des chambres d’agriculture ont été le théâtre du recul de l’alliance FNSEA-JA qu’ils justifient en partie par la colère qui a prospéré sur des promesses gouvernementales non tenues. Cette critique est-elle fondée ?

Sur les promesses non tenues, je m’inscris en faux parce que tout mon travail a consisté à honorer les engagements. Il y a eu la censure du gouvernement. J’ai travaillé dans le contexte politique que nous connaissons mais tous les engagements fiscaux, tous les engagements budgétaires ont été honorés. Et malgré toutes les péripéties budgétaires, nous délivrons avant le Salon les indemnisations pour les pertes animales. 

Nous avons signé les premiers prêts de soutien conjoncturels aux trésoreries affaiblies et nous allons délivrer les prêts structurels de soutien aux trésoreries jusqu’à 200 000 € garantis par l’État à hauteur de 70 % sur douze ans au maximum, c’était très attendu par la profession. J’avais pris l’engagement de passer plusieurs textes au Parlement, je les ai défendus, nous avons été auprès des filières en permanence. Je récuse absolument l’idée que nous n’avons pas été au rendez-vous.

« Juste après le salon, je vais lancer les conférences de la souveraineté alimentaire », annonce Annie Genevard. (©  Guillaume Collanges/GFA)

Nous observons aussi la montée de la Coordination rurale qui revendique d’être mieux entendue par le ministère et les interprofessions. Que leur répondez-vous ?

Demain comme aujourd’hui, les organisations professionnelles agricoles sont mes interlocuteurs naturels. Cette grande stratégie offensive de reconquête de notre puissance alimentaire, il me paraît évident que ça ne peut pas se faire ni sans eux, ni contre eux. Travailler avec les syndicats, ce n’est pas être dans la cogestion, c’est simplement honorer leurs fonctions de corps intermédiaire.

Ils doivent être la courroie de transmission entre les professionnels et l’État ou leur ministère, c’est un dialogue qui est naturel et que j’espère fécond. J’ai très régulièrement échangé avec tous, j’ai écouté leurs demandes. Nous avons parfois des conceptions différentes mais elles nourrissent le dialogue. Sur la reconquête de la souveraineté alimentaire, sur la simplification, sur la stratégie d’anticipation des épizooties, ce sont des sujets sur lesquels on doit pouvoir se retrouver comme depuis six mois. Ils ne trouveront jamais porte fermée à mon ministère.

À quelle échéance espérez-vous l’adoption de la loi d’orientation agricole (NDLR : le vote au Sénat a eu lieu le 18 février) ?

Je fais confiance à l’esprit de responsabilité des parlementaires pour trouver une solution. J’espère qu’au moment de l’ouverture du Salon, la LOA (loi d'orientation agricole) aura fait l’objet d’une adoption définitive. J’ai fait ma part du travail. Maintenant, c’est aux parlementaires de faire la leur.

Par rapport à la version votée à l’Assemblée, j’ai introduit une disposition supplémentaire. La reconquête de notre puissance alimentaire passe par une reconquête de souveraineté. Juste après le Salon, je vais lancer les conférences de la souveraineté alimentaire, une disposition qui figure dans la loi.

Quel est l’objectif de ces conférences ?

C’est un travail partenarial étroit que je souhaite conduire avec les filières. Je vais leur demander de tracer une feuille de route de maintien ou de reconquête de la souveraineté à une échelle de dix ans parce que cela ne se fait pas d’un claquement de doigts. Régulièrement, nous ferons des points d’étape pour identifier la conduite de cette feuille de route et éventuellement là où il y a des difficultés ou des points de blocage, que l’État puisse intervenir au service des filières.

Ce n’est pas seulement se réunir et faire le constat des difficultés. Je demande aux filières une feuille de route. Je vous donne un exemple sur le poulet. La filière avicole a été très claire : pour reconquérir une autosuffisance, il faut construire un poulailler par an et par département pendant cinq ans. Comment ? Avec quels acteurs ? Avec quel soutien ? En levant quelles difficultés ? Sans cela, nous sommes condamnés à manger du poulet étranger dont on ne sait pas toujours comment il est produit. Et un jour, on se réveillera sans qu’il n’y ait plus de poulets français dans nos assiettes. Ce n’est pas possible alors que nous avons les céréales, le savoir-faire et les consommateurs.

La proposition de loi du sénateur Laurent Duplomb pour lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur est un autre texte au menu du Parlement. Comment avance son examen ?

Elle a été adoptée en première lecture au Sénat. Il faut que le texte soit inscrit à l’Assemblée et j’espère rapidement après l’adoption de la LOA parce que ce sont des sujets qui sont attendus par la profession.

Pour 90 % du texte, nous avons trouvé un alignement de positions entre le gouvernement et les rapporteurs de la loi. Il reste la question de l’acétamipride qui est la question la plus débattue, mais le gouvernement a adopté une position qui dit non à la restauration de l’acétamipride sans restriction mais avis de sagesse sur une solution ciblée sur les filières dans des situations d’impasse à de strictes conditions. C’est-à-dire que nous nous en remettons aux parlementaires sur une version constitutionnelle de la mesure permettant l’usage de cette substance pour les filières en urgence de traitement selon des modalités dérogatoires très encadrées.

Où en est le chantier ouvert de la simplification administrative ?

J’ai inscrit la simplification sur le fronton de mon ministère dès mon arrivée ! Je ne suis pas responsable de tous les contrôles mais de ceux de mon administration. C’est pourquoi j’ai pris la mesure sans tarder de limiter à un contrôle administratif unique par an. J’ai également donné aux préfets une responsabilité déconcentrée des calendriers des travaux agricoles comme pour l’épandage quand il ne peut pas s’effectuer aux dates réglementaires.

J’ai aussi réformé le versement de la Pac, pour qu’il soit effectué même en cas de contrôle, ce qui s’appliquera pour la campagne de 2025. J’ai par ailleurs annoncé la révision des plans d’action nitrates régionaux et j’ai demandé au préfet d’y travailler parce qu’ils sont peu compréhensibles et donc difficilement applicables.

Et j’ai surtout instauré les rendez-vous mensuels de simplification. Il y a aussi des réponses qui sont apportées dans la PLOA et la PPL Duplomb comme le régime unique de la haie ou les dispositions de simplification relatives aux installations classées ICPE.

« La France s'est engagée dans une trajectoire d'économie des produits phytosanitaires et je la partage », déclare Annie Genevard. (©  Guillaume Collanges/GFA)

Vous avez annoncé en novembre la création d’un « Conseil d’orientation pour la protection des cultures ». Quand et comment fonctionnera-t-il ?

Il a pour objet d’établir un dialogue avec l’Anses, les filières, les instituts techniques, les organismes de recherche et les firmes. Ce Conseil d’orientation serait chargé d’établir des priorités. Cela concerne — l’ambition est mesurée — des dossiers sur lesquels on dit à l’Anses, voilà ce qui devrait requérir votre attention en priorité. Les sénateurs en ont validé le principe dans la proposition de loi Duplomb, mais dans les modalités, nous avons rédigé un décret qui est actuellement en navette interministérielle. J’espère que l’on va vite le publier.

J’entends les détracteurs qui sont dans le procès d’intention. Je ne veux en aucun cas me substituer à l’Anses. Soyons dans la raison et pas dans l’idéologie.

La France s’est engagée dans une trajectoire d’économie des produits phytosanitaires et je la partage. Simplement, on ne traite pas l’urgence comme on traite le moyen et le long terme.

Quelles filières sont concernées par le Conseil d’orientation ?

On doit aller vers ceux qui nous disent, comme les 300 producteurs de noisettes, « Madame la Ministre, si on ne fait rien très vite, nos exploitations et cette production vont disparaître ». Ces producteurs affirmaient que les solutions proposées ne sont pas efficaces. On peut même se poser la question de savoir si elles sont bonnes pour l’environnement quand, au lieu de faire un seul passage de produits, il faut en faire huit ou neuf.

Le déploiement des assurances prairies semble freiné par un manque de confiance des éleveurs dans l’indice de pousse de l’herbe qui sert de référence. Comment analysez-vous ces difficultés ?

L’assurance est nécessaire car nous ne pouvons pas revenir au système précédent avec des calamités agricoles qui empêchaient les assureurs de se saisir pleinement des difficultés agricoles. Mais pour s’assurer, la confiance est essentielle. La fiabilité de l’instrument a été partiellement mise à défaut mais il faut être raisonnable, ça n’a pas dysfonctionné partout.

Des difficultés ont été constatées sur le terrain et il faut fiabiliser l’outil Airbus pour que le satellite ne commette pas d’erreur dans ses analyses. Il faut aussi réaffirmer que la méthode ne peut reposer que sur une base indicielle. Le retour à des enquêtes de terrain généralisées n’est pas possible. Nous avons des marges de manœuvre pour mieux lier le terrain et l’indice et améliorer l’indice.

La procédure de recours doit aussi être améliorée, sujet sur lequel nous devons ouvrir la discussion avec les assureurs. C’est le sens du plan pluriannuel de renforcement de l’offre d’assurance récolte destinée aux prairies que je vais mettre en place pour accompagner son développement.

La ministre promet une nouvelle loi Egalim d'ici à l'été. (©  Guillaume Collanges/GFA)

Après une année 2024 difficile sur le front des maladies animales, vous avez récemment lancé les assises du sanitaire qui ont débouché sur un projet de contrats sanitaires qui seront établis dans l’année. Que pouvez-vous dire sur cette démarche ?

J’ai demandé aux filières animales de me proposer des « contrats sanitaires de filière » et ce qu’elles veulent pour contractualiser. J’ai posé un cadre car il faut reprendre la main, nous ne pouvons plus subir. La gouvernance du sanitaire date d’il y a quinze ans : or nous sommes entrés dans un nouveau monde du sanitaire animal. Nous devons révolutionner nos pratiques pour plus de prévention et une meilleure anticipation. Cela passe par une gouvernance rénovée.

Une fois que l’on saura qui fait quoi, nous nous demanderons qui prendra quoi en charge. Pour l’État, nous ne pouvons plus être dans l’indemnisation de tout, tout le temps et pour tout le monde. On paie les vaccins et on paie pour les pertes. Il faut que nous réfléchissions à un cadre qui soit financièrement supportable pour tous car des épidémies peuvent revenir. Il faut aussi avoir une approche européenne de ces sujets. J’ai déjà sensibilisé un certain nombre de mes collègues ministres européens sur ce sujet majeur.

Les négociations commerciales rentrent dans leur sprint final. Quels sont les signaux pour les producteurs ?

À ce stade (NDLR : le 14 février), les signaux ne sont pas positifs. Partout me remontent des difficultés concernant les relations avec la grande distribution avec des exigences déflationnistes, avec des tentatives de détournement d’Egalim et avec une fragilité possible de la transformation. Cela me préoccupe beaucoup.

Est-ce que la réponse à cette préoccupation passe par une nouvelle loi Egalim ?

Avec ma collègue Véronique Louwagie (NDLR : ministre déléguée chargée du Commerce), nous lançons un groupe de travail en prévision de deux textes parlementaires. Une proposition de la loi sur la prolongation du SRP +10 % (NDLR : un seuil de revente à perte relevé de 10 % pour les produits alimentaires qui devait se terminer au 15 avril) et un projet de loi sur un nouvel Egalim. Pour ce dernier, nous regarderons comment se dérouleront les négociations. Je veux que ce texte aboutisse avant l’été.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement