« L’agriculture vit une situation difficile », reconnaît Annie Genevard
Alors que les mobilisations reprennent de plus belle, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, interviewée par La France Agricole, affirme que les engagements pris auprès des agriculteurs « sont tenus », et que face à « l’ampleur des crises », elle va au-delà de ce qui avait été promis. [Série de trois épisodes]
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Les mobilisations des agriculteurs prennent une nouvelle ampleur. Que répondez-vous à cette colère cristallisée par l’accord potentiel entre l’Union européenne et le Mercosur ?
L’agriculture vit, dans plusieurs régions et plusieurs productions, une situation difficile, pas partout, il faut le dire, mais là où convergent plusieurs problématiques comme des maladies, les effets du climat, les baisses de rendements, les crises sont durement ressenties par les exploitations avec des effets graves sur l’exercice même du métier d’agriculteur et sur les trésoreries.
À toutes ces crises, s’ajoutent le souvenir des manifestations passées et le sentiment, qu’entre les manifestations d’hier et celles d’aujourd’hui, il y a eu un grand blanc. Ce qui, en réalité, n’est pas exact.
Pourquoi ?
Dès ma prise de fonction à la fin de septembre et sous l’impulsion du Premier ministre qui est très attaché à l’agriculture, j’ai rencontré les agriculteurs et leurs représentants, et j’ai mesuré leur impatience. J’y ai répondu sans tarder. Et en la matière, je peux dire aujourd’hui que les engagements qui avaient été pris auprès des agriculteurs sont tenus dans le budget. Nous parlons là de 300 millions d’euros d’allègements de charges et de mesures fiscales.
Le budget du ministère de l’Agriculture est annoncé malgré tout en baisse par rapport à l’année dernière.
Le budget de 2024 était un budget exceptionnel. Celui de 2025 maintient une progression par rapport à celui de 2023. Le budget agricole apporte sa contribution à l’effort de redressement des comptes publics, mais je me suis battue et je l’ai préservé. Il permettra de continuer les actions utiles aux Français et aux agriculteurs. Mais naturellement, l’ampleur des crises m’a conduite à aller au-delà.
Vous pensez à quelles mesures ?
D’abord, le gouvernement a mis en place des réponses à la mesure de l’ampleur de la crise sanitaire. Le fonds d’urgence est une des premières annonces que j’ai faites avec le Premier ministre. 75 millions d’euros destinés à indemniser la surmortalité ovine et bovine que complète le FMSE [NDLR : Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental]. L’État prend en charge de manière exceptionnelle la FCO-3 sur ovins et bovins, et la FCO-8 sur ovins [NDLR : les pertes d’animaux].
Le FMSE, auquel contribue l’État à hauteur de 65 % je le rappelle, prend en charge la FCO-8 dans les élevages bovins. Nous avons commandé 2 millions de doses supplémentaires de vaccin contre la FCO-3, qui s’ajoutent aux 12 millions de doses commandées qui sont mises à disposition gratuitement. Mais surtout, je suis convaincue que nous devons changer de stratégie.
Quelle nouvelle stratégie souhaitez vous mettre en place ?
J’ai décidé d’organiser en janvier les Assises du sanitaire animal pour confronter les avis. Je mets autour de la table, avec les services du ministère, les organismes concernés dont j’ai la tutelle, les vétérinaires, les laboratoires, les éleveurs, le groupe de défense sanitaire. Tous les acteurs de la chaîne sanitaire devront réfléchir à l’organisation d’une stratégie reposant sur la vaccination et la prophylaxie.
Nous allons travailler sur l’anticipation, en France et au niveau européen, notamment sur une banque d’antigènes, une stratégie de dépistage et d’anticipation face à l’émergence des virus. Il faut aussi que l’on travaille avec les laboratoires privés pour que les agriculteurs puissent très vite vacciner, car la vaccination est indispensable.
Vous avez dit à plusieurs reprises que vous arrivez au ministère de l’Agriculture avec une méthode. Laquelle ?
Depuis mon arrivée, j’ai reçu tous les syndicats, la plupart des organisations professionnelles de producteurs, les transformateurs et les industriels. Je commence à rencontrer les distributeurs. Je fais un travail de concertation chaque semaine sur le terrain avec une méthode qui a toujours été la mienne : écouter, mesurer et répondre.
Là où mes interlocuteurs s’attendent à ce que j’arrive avec des réponses préétablies, moi, je viens pour écouter, regarder, comprendre, identifier les blocages et être à leurs côtés. Et quand je reviens ici (NDLR : au ministère), je mets en œuvre des dispositifs adaptés et bien ciblés. Je veux non seulement agir, mais agir juste.
Avez-vous un exemple à nous donner ?
Je suis vraiment touchée par ce que j’ai vu en Occitanie. Des vergers calcinés de soif, des agriculteurs désespérés parce qu’ils n’ont pas d’eau. Leur situation personnelle me touche. Je veux agir pour eux. On m’a signalé un dossier d’adduction d’eau en souffrance que les agriculteurs attendent depuis des années et des années. Nous avons aussitôt pris des contacts avec l’Agence de l’eau. Et grâce à la réactivité de celle-ci, l’étude stratégique de ce dossier pourra être lancée.
Quand je suis allé dans un élevage dans le Tarn, l’éleveur m’a dit : « Je ne comprends pas pourquoi le vaccin de la FCO-3 est gratuit ailleurs, alors qu’il est payant chez nous. Ce n’est pas juste. » Je suis rentrée et j’ai dit qu’il fallait que le vaccin contre la FCO-3 soit gratuit pour tous. C’est désormais le cas.
Ma méthode, c’est aussi de m’assurer du suivi de mes décisions par mon administration tout d’abord, mais aussi auprès des agriculteurs eux-mêmes. J’appelle ceux qui m’ont interpellée et je leur dis : « Vous avez soulevé un problème. Je vous ai entendu, je le règle.. » Je reçois beaucoup de messages via différents canaux. J’y suis très attentive. J’essaie de résoudre les problèmes concrètement, pragmatiquement. Je connais trop les agriculteurs. Ils ne se payent pas de mots. Ils veulent des actes.
L’accord entre l’Union européenne et le Mercosur est condamné par les syndicats agricoles. Quelle est votre position ?
Ma position n’a jamais varié et je n’ai pas attendu d’être ministre pour m’y opposer. C’est un projet d’accord qui, en l’état, est inacceptable. D’abord pour les proportions de produits qui seraient importés, ensuite pour les conditions de production qui sont inacceptables sur le plan sanitaire et environnemental en particulier car ces produits se font au prix de la déforestation. Des productions qui utilisent des produits phytosanitaires interdits depuis longtemps en Europe et qui utilisent des hormones de croissance. Cela déstabiliserait gravement nos filières et créerait une concurrence totalement déloyale.
Je ne peux pas accepter que dans les accords de libre-échange, ce soit toujours l’agriculture qui est la variable d’ajustement et qu’au sein de l’agriculture ce soient toujours les mêmes filières qui sont exposées, notamment les filières de la viande. Pour la filière du bœuf, mais aussi la volaille, le sucre et l’éthanol cet accord n’est pas acceptable.
La France arrivera-t-elle à convaincre assez de pays européens pour réussir à peser dans la balance des négociations ?
C’est notre objectif. C’est un combat difficile que la France mène avec énergie. Le Premier ministre a rencontré Ursula von der Leyen (NDLR : présidente de la Commission européenne) pour lui dire la franche opposition de la France à cet accord avec le Mercosur en l’état. Plusieurs de nos partenaires européens partagent nos préoccupations.
Moi-même hier (NDLR : le 14 novembre), j’étais en réunion bilatérale avec la ministre de l’Agriculture des Pays-Bas et je continue les entretiens bilatéraux et les déplacements dans les capitales européennes. Le président de la République a également clairement dit son opposition à cet accord tel qu’il se présente. Nous sommes tous sur la même ligne.
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