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« Il vaudrait mieux suspendre les accords de libre-échange sur la partie agricole »

Thierry Pouch est responsable du service des études économiques et prospective à Chambres d’agriculture France.

Thierry Pouch est responsable du service des études économiques et prospective à Chambres d’agriculture France. Il alerte sur la situation de la balance commerciale agroalimentaire française qui se détériore de manière inédite.

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Que disent les derniers chiffres sur notre balance commerciale agroalimentaire ? À quoi peut-on s’attendre pour la fin d’année ?

Le dernier pointage d’Agreste est assez inquiétant. Nous avons un solde agroalimentaire cumulé sur les onze derniers mois de 961 millions d’euros. Si on fait le même point de comparaison en 2024, cela représente une baisse de 85 %. Depuis janvier 2025, nous en sommes au cinquième déficit mensuel. À ce rythme, il n’est pas improbable qu’on frôle l’équilibre ou que l’on soit carrément en déficit en fin d’année. Ce serait quelque chose d’assez inédit depuis 1978.

Si on regarde le taux de couverture qui rapporte nos exportations à nos importations en pourcentage, on était à presque 160 % en 1994. En 2024, on est à 105 %. Il y a une érosion de notre indicateur de taux de couverture. Un pays qui est à 100 % ou moins signifie que sa compétitivité est de moins en moins élevée.

Comment peut-on expliquer que ces résultats se soient tant dégradés cette année ?

Dès 2010, on est passé de deuxième à sixième exportateur mondial de produits agricoles. En 2024, on sentait déjà que quelque chose était en train de passer. Avec 4,9 milliards d’euros, c’était le plus faible solde enregistré depuis 20 ans.

Il y a eu une conjonction de facteurs. Les prix du café et du cacao ont flambé et comme on en importe beaucoup, cela a énormément pesé dans la dégradation de notre solde. On a aussi eu une dégradation de nos échanges sur les produits laitiers. C’est notre 3ème poste excédentaire et on ne cesse de régresser. Parce que nous avons des concurrents importants : les Pays-Bas, l’Allemagne, la Belgique.

Le troisième facteur, c’est la situation de l’élevage. Cela fait maintenant 10 ans que l’on a un processus de décapitalisation des cheptels bovins viande et lait. Le fait qu’il y ait moins d’offre, à demande constante, nous oblige à importer de plus en plus. Et ça ne s’arrange pas avec la perspective d’application des accords de libre-échange, en particulier, celle, imminente, avec les pays du Mercosur.

Le quatrième facteur, ce sont les spiritueux. Nous subissons déjà les premiers effets de la guerre commerciale avec les États-Unis. Il y a un cinquième facteur, c’est la parité de l’euro avec le dollar. L’euro s’est beaucoup apprécié d’environ 15 % depuis le début de l’année. Cela pénalise la compétitivité-prix de nos exportations.

Est-ce que la situation est comparable dans d’autres pays ?

En 2000, l’Europe représentait 18 % des exportations mondiales. En 2023, on est à 15,7 %. On a souvent parlé des Pays-Bas et de l’Allemagne qui faisaient mieux que nous en exportations. Maintenant, cela stagne et même cela s’inverse. Cela fait la quatrième année que les États-Unis connaissent eux aussi un déficit commercial agroalimentaire, ce qui n’était jamais arrivé depuis 1950. En 2024, ce déficit représentait 32 milliards de dollars. Alors que les États-Unis ont connu des excédents à 45 milliards de dollars, la chute est impressionnante. Et ce n’est pas fini, les projections prévoient jusqu’à 70 milliards de déficit.

Le Brésil, lui est passé de 4 % à 9,3 % depuis 2000. Il y a des petites progressions qui n’ont l’air de rien, mais qui pèsent quand même dans la balance : le Mexique, la Russie, le Vietnam. Qu’on le veuille ou non, on a une forme de désoccidentalisation des marchés.

Le Vietnam, le Brésil, il s’agit de pays avec lesquels l’Union européenne négocie des accords de libre-échange. Est-ce qu’ils risquent de fragiliser encore davantage notre balance commerciale ?

C’est le risque qu’on a pris. La stratégie consiste à dire, on négocie un accord global. Il va y avoir des secteurs qui vont être plus exposés au déclassement et il y en a d’autres qui vont au contraire en profiter. On retombe sur l’équation industrie et agriculture.

En l’état actuel des choses, il vaudrait mieux suspendre, en tout cas sur la partie agricole, les accords de libre-échange. À la demande de la France, on pourrait considérer que la Commission fait un geste pour stabiliser un peu les choses et regarder un peu quelles sont les pistes de la compétitivité. Lorsque le GATT (1) existait, l’agriculture ne figurait jamais dans les accords commerciaux, elle bénéficiait d’un régime d’exception. À l’époque, on estimait que c’était pour des raisons de sécurité alimentaire. Il fallait que les pays produisent pour atteindre l’autosuffisance.

Depuis le début de l’année, l’Union européenne a importé presque 280 000 tonnes de viande bovine en provenance de pays tiers, dont 133 000 tonnes qui viennent uniquement des pays du Mercosur. En cumulés jusqu’au mois d’août, les volumes importés sont déjà supérieurs au contingent accordé au Mercosur dans la négociation, soit 99 000 tonnes. C’est un point noir.

(1) Le GATT, accord général sur les tarifs douaniers et le commerce en français, est un ensemble de règles élaborées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour faciliter les échanges commerciaux internationaux. Il a été remplacé en 1995 par l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

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