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Mercosur : les clauses de sauvegarde ne rassurent pas

Avec la clause de sauvegarde, la Commission européenne s’engage à suivre le marché des produits sensibles et évaluer périodiquement la situation.

Le processus de ratification de l’accord commercial avec le Mercosur a officiellement été lancé par Bruxelles qui veut y joindre des clauses de sauvegarde pour rassurer ses opposants.

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C’est « le plus grand accord commercial jamais conclu. […] C’est un moment que nous devons célébrer ! » s’est félicité Maros Sefcovic, le commissaire au Commerce et à la Sécurité économique. C’est avec beaucoup d’enthousiasme que la Commission européenne a officiellement lancé le processus de ratification de l’accord avec le Mercosur en le présentant au Conseil des 27, le 3 septembre 2025.

Les promesses de la Commission européenne

Dans la proposition de l'exécutif européen, l’accord global, qui nécessite une ratification par chaque Parlement des 27 États membres, est séparé du volet commercial qui dépend uniquement des votes du Conseil et du Parlement européen. Pour rassurer les agriculteurs, Bruxelles promet d’accompagner l’accord « d’un acte juridique » unilatéral permettant la mise en place de clauses de sauvegarde, soutenant « avoir écouté attentivement » les agriculteurs et les États membres inquiets.

La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, assure que « des garanties encore plus solides » et « juridiquement contraignantes » seront mises en œuvre pour protéger les secteurs agricoles « les plus sensibles ». C’est la solution que la Commission a trouvée pour ne pas rouvrir l’accord car cela reviendrait à entamer de nouvelles négociations avec les cinq pays du Mercosur : l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay, le Brésil et la Bolivie.

Levée de boucliers

Depuis l’issue favorable des négociations, en décembre dernier à Montevideo au Paraguay, les syndicats agricoles et les organisations professionnelles sont vent debout contre le traité. Les annonces de la Commission européenne sur les clauses de sauvegarde ne semblent pas du tout les avoir rassurés.

Pour la FNSEA et JA les clauses de sauvegarde sont « inopérantes ». Les deux organisations reprochent un manque de cohérence de la Commission qui, « d’un côté, impose aux agriculteurs européens des normes parmi les plus strictes au monde et, de l’autre, ouvre nos marchés à des produits importés qui n’y répondent pas ».

La Confédération paysanne et le collectif Stop Ceta Mercosur, dont elle fait partie, dénoncent un « passage en force ». « Importer de l’autre bout du monde des produits agricoles est une aberration écologique », tempête le syndicat, qui qualifie le libre-échange « d’intrinsèquement mauvais pour l’agriculture française ».

Quant à la Coordination rurale, elle estime que cet accord est une « trahison programmée de notre modèle agricole » et « une remise en cause directe de la souveraineté alimentaire de la France et de l’Europe ».

Les filières inquiètes

Même écho du côté des filières. Pour plusieurs interprofessions (bovine, volailles, betteraves, céréales et bioéthanol), les clauses de sauvegarde ne sont qu’un « écran de fumée ». « Trop lentes à activer, juridiquement complexes et limitées dans le temps, elles ne font que constater les préjudices une fois qu’il est trop tard. »

« On peut se demander légitimement quelle est la portée juridique globale de la clause de sauvegarde et qui n’est pas incluse dans l’accord », appuie Baptiste Buczinski, agroéconomiste à l’Idele.

Depuis plusieurs semaines, le gouvernement français cherchait, avec la Pologne, l’appui d’autres États contre l’accord, et avait réclamé des ajustements sur le texte pour les filières sensibles. Il faudra désormais attendre la nomination du nouveau gouvernement pour connaître sa position sur le texte et les propositions de sauvegarde de Bruxelles.

Suivi renforcé

Avec cette clause de sauvegarde, la Commission européenne propose de communiquer tous les six mois un rapport de suivi des importations au Conseil et au Parlement européen. En cas « d’anomalie », des mesures provisoires pourront être prises dans les 25 jours qui suivront l’identification « d’un risque sérieux ».

Une enquête pourra être engagée si un ou plusieurs États constatent, pour les produits sensibles, une augmentation annuelle des volumes d’importations d’au moins 10 % et si les prix des produits concernés se situent au moins 10 % en dessous des prix intérieurs. La Commission européenne s’engage à prendre des décisions sous cinq jours ouvrables après la réception d’une demande d’intervention. Les conclusions de l’enquête seront rendues dans un délai maximal de quatre mois, promet Bruxelles. « S’il existe un risque suffisant de préjudice », les mesures de sauvegarde seront prises dans un délai maximal de vingt et un jours après l'identification du risque.

Maros Sefcovic a également insisté sur le « soutien renforcé » que pourrait constituer le nouveau « filet de sécurité » pour faire face aux crises, et que la Commission souhaite mettre en place dans le cadre de la Pac post-2027. Il pourrait être activé par les États « en période de perturbation de marché ».

Pour Baptiste Buczinski, les propositions de Bruxelles soulèvent plusieurs interrogations. « La Commission européenne s’engage à suivre le marché des produits sensibles et évaluer périodiquement la situation. Pour la viande bovine, elle est incapable de suivre les importations du secteur visé : celui de l’aloyau. Elle a toujours refusé de l’isoler dans les lignes douanières. C’est probablement le cas pour d’autres produits sensibles… Et si les conditions d’activation peuvent sembler assez claires, c’est plus compliqué qu’il n’y paraît. La référence à un “prix pertinent” de comparaison est particulièrement floue. Il sera probablement difficile pour un État de démontrer que les deux critères cumulatifs demandés (les deux fois 10 %) sont corrélés à un flux d’importation spécifique », analyse l’agroéconomiste.

Volet commercial

Sur la partie commerciale de l’accord, la balle est désormais dans le camp du Conseil des États membres, qui devront se prononcer à la majorité qualifiée (15 États représentants au moins 65 % de la population de l’Union), et ensuite du Parlement européen.

Plusieurs produits agricoles commela volaille, les produits laitiers, le sucre ou l’éthanol sont concernés par des contingents d’importation sans droit de douane ou à droit réduit comme la viande de bœuf. Ces contingents seront mis en place progressivement sur une période de cinq ans et de dix ans pour les produits laitiers. Pour ces derniers, les volumes concédés dans le sens Mercosur-Union européenne ouvrent droit à l’équivalent en exportations vers le Mercosur.

Contingents (1)Droits de douane
Volaille180 000 tec0 %
Porc25 000 tec0 %
SucreBrésil (canne brute) : 180 000 t
Paraguay : 10 000 t
0 %
ÉthanolIndustrie chimique : 450 000 t
Autres dont carburant : 200 000 t
0 %
1/3 à 0 %
Produits laitiersPoudre : 10 000 t
Fromages : 30 000 t
Lait infantile : 5 000 t
0 %
Bœuf99 000 t (55 % réfrigéré et 45 % congelé)7,50 %

Pour la volaille par exemple, le contingent de 180 000 tonnes-équivalent carcasse correspond à 60 % des importations européennes de 2024, selon les chiffres que la Commission a communiqués pour rassurer la filière. Pour le bœuf, elle annonce un niveau d’importations de 206 000 tonnes-équivalent carcasse en 2024, à comparer aux 99 000 tonnes-équivalent carcasse du contingent (55 % réfrigéré, surtout de l’aloyau, 45 % congelé).

Bruxelles espère une issue favorable d’ici à la fin de l’année mais risque de devoir faire face à des oppositions. L’eurodéputé, Pascal Canfin (Renew) a déjà annoncé travailler avec un groupe transpartisan de députés européens afin de saisir la cour de justice de l’Union européenne.

(1) Source : Commission européenne, tec : tonne-équivalent carcasse.

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