« Chaque agriculteur devra accéder à l’eau sur son territoire »
Eric Frétillère est président du syndicat Irrigants de France (1) et producteur de maïs irrigué sur 100 ha en Dordogne. Il a ouvert à la presse les portes de son exploitation le 1er août 2023 pour y défendre l’importance de l’irrigation et la pérennité des réserves.
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Les oppositions aux projets de retenues d'eau semblent quasi systématiques, quelles solutions imaginez-vous pour y faire face ?
Je suis naturellement optimiste. Je sens des avancées au niveau politique : le président et le ministre le rappellent, il faut des solutions pragmatiques de stockage de l’eau, ce qui me motive pour avancer. Il y a dans le Sud-Est et l’Occitanie par exemple, régions historiquement moins pourvues en eau, des projets de transfert d’eau qui ne posent aucun problème à la société. L’explication que je donne à ça, c’est que c’est quelque chose d’ancré dans leur culture depuis très longtemps. Contrairement à d'autres régions où l'on se retrouve avec de fortes oppositions. J'espère que la société va réagir. Il y a une tranche que l'on ne convaincra pas, mais je ne crois pas qu'elle soit représentative.
Je ne pense pas non plus que l’irrigation soit la solution universelle, mais il ne faut pas se l’interdire et combiner les différentes formes de stockage qui peuvent exister, car nous sommes en train de prendre un retard considérable sur ce point. La réflexion des projets doit se faire au niveau local, avec tous les acteurs concernés. Pour garantir notre sécurité alimentaire, il faudra demain que chaque agriculteur ait accès à l’eau sur son territoire. Il est de notre responsabilité d’y travailler de façon durable. Dans les Deux-Sèvres, sans ces réserves de substitution dont les projets attisent les oppositions, nous aurons un désert dans quelques années.
Quels sont les axes de travail d’Irrigants de France dans ce contexte de méfiance envers l’irrigation ?
Le syndicat cherche d’abord à communiquer, pour expliquer ce que l’on fait et démontrer la pérennité de nos modèles et de ces réserves. Nous nous armons également sur le plan juridique, puisque ce sont systématiquement ces aspects-là qui sont attaqués par les associations environnementales qui s’opposent aux projets de retenues. Nous avons pour cela embauché une juriste spécialiste de l’environnement.
Nous militons ensuite pour faire reconnaître l’agriculture comme enjeu politique majeur : aujourd’hui, elle n’occupe que la cinquième place des usages prioritaires de l’eau définis par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, déclinaison française de la directive-cadre sur l’eau européenne. Nous aimerions qu’elle remonte au même niveau que la préservation de l’environnement, en deuxième position derrière l’eau potable, comme dans beaucoup d’autres pays européens.
Nous soutenons également tous les leviers qui sont à notre portée pour améliorer l’efficience de l’usage de l’eau : recherche variétale, accès à des matériels innovants, numérique et data pour améliorer encore la précision des pratiques d’irrigation… Ce qui permettra de poursuivre le travail déjà accompli depuis vingt ans avec un gain d’efficience de 30 %.
Enfin, nous plaidons pour qu’un secrétariat général de l’eau soit créé et pour que la gouvernance des projets de territoire se fasse bien à une échelle locale. C’est vraiment quelque chose auquel je crois. On y retrouverait l’environnement, l’agriculture, l’industrie, puisque c’est un gros consommateur d’eau, et bien sûr la santé.
Quelle analyse faites-vous du Varenne de l’eau, du plan eau et des différents rapports récemment publiés sur la ressource en eau (mission d’information du Sénat, Académie des technologies et Cour des comptes) ?
La mise en place d’un délégué interministériel dont le bureau est au ministère de l’Agriculture, prévue par le Varenne de l’eau, a représenté pour nous une avancée majeure. C’était un signe très fort que de remettre au ministère de l’Agriculture la compétence eau, qui jusque-là incombait intégralement au ministère de l’Environnement. Le délégué a pour mission de mettre en place les décisions du Varenne, mais en réalité, ce travail est plus complexe que ce que l’on pouvait imaginer et donc pas aussi rapide que ce que nous avions espéré.
Concernant le plan eau, le président de la République l’a clairement expliqué, et le ministre de l’Agriculture l’a confirmé : les 10 % d’économie à réaliser ne concernent pas le monde agricole. Ils ont d’ailleurs bien souligné que l’eau est nécessaire à l’agriculture. On attend maintenant la mise en application.
Au sujet des différents rapports publiés, certains sont plus favorables que d’autres. Il y a notamment des pistes intéressantes dans les cinquante-trois propositions émises dans le rapport de la mission d’information du Sénat. Ça fait un rapport de plus, il faudra voir s’ils sont suivis d’actes.
L’irrigation dans le viseur de la Cour des comptes (20/07/2023)
(1) regroupe les 75 000 agriculteurs irrigants en France pour environ 6,8 % de la surface agricole utile.
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