Compétitivité La souveraineté alimentaire de la France ne s’améliore pas
Marine Raffray et Thierry Pouch, économistes à Chambres d’agriculture France, exposent les effets du conflit en Ukraine sur l’agriculture française. Sébastien Windsor, président de l’institution, se dit inquiet de l’attitude des institutions européennes qui portent « des politiques de contraintes mais pas d’encouragement ».
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Quels premiers constats faisons-nous des effets de la guerre en Ukraine sur l’agriculture française ? C’est la question à laquelle ont essayé de répondre Marie Raffray et Thierry Pouch, économistes à Chambres d’agriculture France, lors d’une conférence le 14 février 2023 à Paris. « Les surfaces en cultures ont changé », a commencé Marine Raffray. En 2022, la sole en blé tendre a diminué de 16 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années. La baisse atteint 18,5 % pour le maïs grain irrigué et 10 % pour la betterave, à l’avantage de la surface en tournesol, qui a progressé de 33,5 %, et de celle en protéine végétale comme le soja, +13 %. « Si on combine la baisse de surface et de rendement, on a un recul de la production qui peut être conséquent », détaille l’experte.
En lait, on observe un recul de la collecte tout au long de 2022. « Cette baisse s’accentue en 2023, en lien avec la baisse du cheptel principalement », observe Marine Raffray. « En bovins à viande, nous sommes aussi sur une dynamique de décapitalisation qui se traduit par une baisse des abattages », poursuit-elle. On observe également une baisse de la conformation des carcasses. En volaille, les abattages ont baissé de 11 % en 2022, toujours par rapport à la moyenne des cinq dernières années. Les filières les plus touchées sont les canards (–42 %), qui sont très impactés par la grippe aviaire, les dindes (–25 %) et les pintades (–24 %).
Forte incertitude sur les prix 2 023
« Avec la reprise économique postpandémie et la guerre, on a connu une flambée de prix significative, rappelle Thierry Pouch, nous avons franchi le seuil impressionnant de 400 € la tonne en blé au printemps dernier. Aujourd’hui, nous sommes plutôt sur une phase de déclin des prix. Toute la question est de savoir si elle va durer. »
La production mondiale de blé attendue est de 795 millions de tonnes, soit +1,8 %, mais celle des céréales secondaires serait en baisse (–3,3 %), selon la FAO. Il y a énormément d’incertitudes, estime l’économiste : la possibilité de nouveaux aléas climatiques, la reconduction ou non des corridors de solidarité permettant à l’Ukraine d’exporter une partie de sa production, l’impact sur les marchés du tremblement de terre en Turquie. « Il faut ajouter un élément central sur les perspectives de 2023, le rôle des stocks détenus par la Chine, relève Thierry Pouch, nous sommes à des niveaux de stocks assez impressionnants qui contribuent à l’incertitude. »
Un risque de ciseau des prix engrais/céréales
Dans le même pas de temps, les prix des énergies et des carburants ont flambé : +28 % sur l’énergie et les lubrifiants entre novembre 2021 et novembre 2022, +46 % sur le prix du pétrole (moyenne annuelle du brent), +30 % et 69 % sur le gazole et le gazole non routier (GNR) en moyenne annuelle. Seule exception, les prix du gaz qui sont en forte baisse depuis l’automne 2022.
« Même si on a eu une décroissance des prix de l’énergie depuis la fin de 2022, ils restent plus élevés que ceux avant le début de la guerre », constate Marine Raffray. L’économiste estime que l’évolution des prix sera en lien avec la poursuite ou non du conflit en Ukraine et la croissance mondiale, notamment celle de la Chine. « Il y a un risque de ciseau entre les prix des engrais et prix des matières agricoles. On observe un croisement depuis la fin de 2022 », s’inquiète-t-elle, jugeant que cela peut avoir un impact fort sur les filières porcine et laitière qui voient les prix de l’aliment flamber, sans hausse forte des prix du lait ou du porc.
Valeur ajoutée
Malgré tout 2022 a été plutôt favorable pour l’agriculture française. D’un point de vue macroéconomique, la valeur ajoutée produite par la branche agricole progresse de 15,4 %, selon les chiffres prévisionnels de l’Insee publiés à la fin de 2022.
« Les résultats satisfaisants et bien orientés de 2022 sont indissociables de l’impact de la guerre en Ukraine, mais surtout il y a une rupture par rapport à une longue période de baisse de la valeur ajoutée. Il y a eu un retournement assez intéressant », estime Thierry Pouch. Mais il reste à savoir si cette rupture va s’inscrire dans la durée ou non.
Baisse défavorable de la consommation alimentaire
« Plusieurs signes laissent à penser que les Français opèrent des arbitrages, notamment dans leur consommation alimentaire », alerte Marine Raffray. On observe une hausse de la fréquentation des enseignes de hard-discount, une baisse des volumes achetés sur les produits alimentaires (lait, fruits et légumes, boucherie/charcuterie et vins) et sur la bio, ainsi qu’une baisse des dépenses des ménages en alimentaire, –8 % à la fin de 2022 par rapport à la moyenne des trois ans avant la pandémie, selon l’Insee.
« Cela s’inscrit dans un environnement du commerce extérieur catastrophique pour la France, qui affiche un déficit de 164 milliards d’euros. On ne peut se satisfaire du bon résultat du commerce extérieur agroalimentaire, tiré par les produits de la viticulture et surtout par les produits céréaliers (+11 milliards d’euros) », appuie Thierry Pouch, qui s’inquiète des « points noirs qui s’aggravent », de l’augmentation des importations de fruits et légumes et de volailles.
Accompagner la capacité à produire plus
« Quand on observe les premiers chiffres on peut avoir l’impression que la ferme France ne se porte pas si mal que ça, notamment quand on voit l’augmentation des prix, mais tout cela cache une réalité assez différente, notamment sur les volumes de production qui sont en baisse comme pour le lait ou le cheptel en viande », s’est inquiété en conclusion, Sébastien Windsor, le président de Chambres d’agriculture France.
Il s’étonne de l’absence de réaction de l’Union européenne, qui porte « des politiques de contraintes mais pas des politiques d’encouragement ». « Je ne vois aucune politique européenne qui pousserait à produire plus afin d’assurer notre souveraineté alimentaire », renchérit-il. Il considère qu’il faut protéger les agriculteurs face aux importations de produits qui ne répondent pas aux mêmes normes de production qu’en France, avec la mise en place plus rapide de clauses miroir. Sébastien Windsor s’étonne également que l’Europe « continue à avancer » sur les négociations d’accords commerciaux.
« Le vrai fond du sujet, c’est de savoir quelles mesures on met en place pour accompagner le développement et régler les problèmes et les contraintes des éleveurs. Par exemple, la politique de gestion du loup, ou celle des astreintes en élevage. J’espère que le sujet sera abordé pendant la préparation de loi d’orientation agricole », fait-il savoir.
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