La montée en gamme bute sur la réalité des achats alimentaires
La crise actuelle de la grande distribution alimentaire dévoile des problèmes structurels qui remettent en cause le modèle de la montée en gamme engagé depuis 2017.
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Les chiffres de la rentrée ne sont pas bons du côté de la distribution alimentaire. Depuis plusieurs semestres, les achats de produits de grande consommation, dont l’alimentation, s’amenuisent, selon l’institut Circana, spécialisé dans l’analyse du commerce. De surcroît, la disparition de la « superinflation » ne permet plus de doper artificiellement le chiffre d’affaires des grandes surfaces. Coincées au milieu de cet étau, les filières agroalimentaires s’inquiètent d’être broyées. « Le consommateur achète moins et moins cher », résume le président de La Coopération Agricole, Dominique Chargé.
En août 2024, Circana calcule une baisse des prix moyens de 0,9 % pour l’alimentaire et le petit bazar en grandes surfaces. Pour autant, les volumes de la consommation n’augmentent pas. Sur les sept premiers mois de 2024, l’Institut national de la statistique (Insee) rapporte une baisse de la valeur de la consommation alimentaire hors tabac de 1,3 %. Elle vient après une baisse de 3,2 % et de 2,9 % les deux années précédentes. Le PDG de Lidl, Michel Biero, résume la situation : « La bosse d’inflation est passée mais les consommateurs ont pris des habitudes », constate-t-il le 31 août sur France Inter. Des restructurations sont en cours pour plusieurs enseignes, comme Auchan et Casino. Faut-il courber l’échine en regardant la crise passer ou entamer une vraie refonte de l’organisation des filières agroalimentaires ?
Les consommateurs oubliés
Aux yeux des observateurs, la crise oblige à s’attaquer à la structuration des filières. À deux reprises en 2019 et 2022, le Sénat a tiré la sonnette d’alarme. Le sénateur Laurent Duplomb (LR) pointait une stagnation de la production agricole française et la perte de parts de marché à l’exportation. « La stratégie de différenciation des producteurs vers des produits à forte valeur ajoutée ne répond plus à la demande des consommateurs », pouvait-on lire dans l’un des rapports.
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L’idée d’une montée en gamme générale des filières agroalimentaires françaises avait été clairement exposée par Emmanuel Macron dans son discours de Rungis, le 11 octobre 2017 : « Je vous demande un effort inédit en termes de structuration de filières, de transformation profonde et de réorganisation. Ces plans de filières doivent permettre d’assurer aux Français la montée en gamme autour de labels, des signes de qualité, de la bio avec des objectifs chiffrés à cinq ans. »
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Essor de la restauration hors domicile
Sept ans plus tard, les filières elles-mêmes remettent en cause cette stratégie. « On est allé vers la montée en gamme sans s’aligner sur la demande, tranche Olivier Dauvers, spécialiste de la distribution. Le consommateur n’est pas prêt à payer. »
Dominique Chargé estime que les filières doivent « reconquérir l’entrée et le cœur de gamme ». Il met également en avant l’essor de la consommation hors domicile, « pour laquelle notre agriculture n’est pas orientée ». Selon Olivier Dauvers, « la stabilisation de la part de l’alimentation dans le budget des ménages observée depuis dix, quinze ans est un trompe-l’œil. En réalité, la part consacrée à la matière première agricole baisse pour financer le service contenu dans l’offre de restauration hors foyer, qui elle progresse. »
Faible compétitivité
Le président de La Coopération Agricole estime que les coopératives ont « des marges trop faibles au regard des besoins massifs d’investissements ». Il faut faire de la « compétitivité coûts » des filières une priorité en réduisant l’impact des impôts de production et du coût du travail ainsi qu’en ajustant les taux d’intérêt. Plus largement, dans un rapport publié le 14 juillet 2024 (3), le CGAAER met en avant que les industries agroalimentaires françaises ont une taille « inadaptée » à la concurrence sur les prix, et que l’écosystème compte un nombre insuffisant de grosses PME et d’ETI. « Faute d’une capacité à couvrir les besoins en produits standards pour alimenter le marché domestique, la montée en gamme laisse souvent le champ libre aux importations des premiers prix », appuie le CGAAER.
Vu leur ampleur, ces changements nécessiteront un soutien politique. Pour Jean-Michel Schaeffer, président de l’interprofession de la volaille de chair (Anvol), « nous avons besoin de produire davantage de poulet standard, dit aussi “poulet du quotidien” en France afin de pouvoir satisfaire ces marchés. Pour ce faire, nous avons besoin d’une volonté politique. Cela doit notamment passer par la suppression des surtranspositions françaises concernant la construction des bâtiments, mais aussi par un soutien financier à toutes les filières d’élevage. »
(1) « La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore », rapport d’information déposé au Sénat, le 28 mai 2019.
(2) « Quand le mirage de tout monter en gamme fait oublier l’impératif de la compétitivité agricole », paru le 28 septembre 2022 par les sénateurs Laurent Duplomb (LR), Pierre Louault (Union centriste) et Serge Mérillou (Socialiste, écologiste et républicain).
(3) Quelles places de l’agriculture et de l’agroalimentaire français dans une offre alimentaire à bas prix ? Rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture — CGAAER — 23094.
(4) Selon la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), source NielsenIQ sur les PGC-FLS (produits de grande consommation, frais et libre service).
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