Arboriculture, l’urgence de s’adapter au changement climatique
Alors que les températures hivernales sont de plus en plus élevées, une étude s’est intéressée à l’impact du changement climatique sur l’arboriculture, afin de signaler l’urgence d’adapter les filières au climat futur.
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L’association Conséquences, avec l’agroclimatologue Serge Zaka, a publié le 21 février 2024 une étude sur les impacts du changement climatique, et plus particulièrement de la douceur hivernale sur l’arboriculture en France.
Faisant le constat que les vergers fleurissent « beaucoup plus tôt que la normale en raison des températures beaucoup trop douces », l’étude met en avant la nécessité de s’adapter au climat du futur, et de penser aux nouvelles filières dès maintenant.
L’analyse se concentre sur la culture de l’abricot, alors que la France en est le premier pays producteur d’Europe. Avec le changement climatique, « des bouleversements importants sont à prévoir », particulièrement dans les régions productrices en région Sud, dans la Vallée du Rhône ou en Occitanie.
Soulignant que le changement climatique et ses conséquences sur l’agriculture française ont été largement « absents des évènements et débats récents », l’agroclimatologue Serge Zaka déclare que les « conséquences des transformations climatiques doivent être l’objet d’une planification dès maintenant pour 2040 ».
« Les abricotiers fleurissent avec un mois d’avance »
« Des pêchers en fleurs le 19 février avec un mois d’avance dans la Drôme, idem pour les abricotiers dans le Vaucluse ! », s’alarme l’association Conséquences. Les températures « beaucoup trop douces » inquiètent les agriculteurs. « Mes fruitiers sont en avance comme jamais. Ce 19 février, mes pêchers sont en fleur alors que c’est normalement le 20 mars ! », témoigne Marc Faurile, arboriculteur installé en bio dans la Drôme, auprès de l’association Conséquences.
Désormais, les pêchers et les abricotiers fleurissent avec un mois d’avance dans certaines régions. Les arbres et les cultures souffrent aussi des conséquences du changement climatique en hiver. Une douceur hivernale qui ne fait pas défaut cette année, après une « longue série de mois et d’années exceptionnelles ».
« Depuis le 21 janvier, les températures sont excédentaires si bien que cette première quinzaine de février est la plus douce jamais enregistrée en France avec un excédent thermique national de +4°C. Sur la moitié sud, cela fait près d’un mois qu’on relève 15 à 20°C avec des pointes dépassant les 25°C au pied des Pyrénées ».
La culture de l’abricot se voit dorénavant ébranlée non pas uniquement par les sécheresses et vagues de chaleur l’été, mais également par des températures trop élevées l’hiver, qui menacent à terme la culture de l’abricot. « La douceur hivernale devient un élément de plus en plus déterminant pour le cycle de vie des arbres. S’il gèle dans quelques semaines sur mes bourgeons, c’est la catastrophe », affirme Michel André, arboriculteur dans le Vaucluse.
Une douceur hivernale non pas sans risques
Douceur hivernale rime avec une période de repos végétatif des arbres écourtée, ou encore des températures trop élevées pour permettre la vernalisation ainsi que la destruction des ravageurs (pucerons, maladies fongiques). La floraison précoce « peut engendrer d’importantes problématiques en cas de retour du gel au printemps ; les végétaux étant de plus en plus sensibles au gel plus ils se développent », explique Serge Zaka.
Par exemple, le gel tardif survenu en avril 2021 aurait occasionné plus de 2 milliards d’euros de dégâts aux filières arboriculture et vigne. Le renouvellement de telles catastrophes est probable, selon l’étude réalisée, puisque « le bourgeonnement précoce va s’intensifier » et que les risques de gelées tardives, de « gelée noire » ou de gel printanier sont toujours possibles.
Autre point de vigilance, « la fatigue végétale », en raison d’un repos végétatif des arbres trop court. Sans oublier de mentionner que les hivers seront de moins en moins froids, ne permettant pas de garantir une bonne floraison et donc un bon rendement. Par exemple, pour la variété d’abricot Bergeron, « il faut en moyenne 800 heures sous les 7°C », une condition qui sera peu satisfaite « à partir des années 2050 », sur une ligne entre la Bretagne et Nice, annonce l’étude.
Réorientation des zones de culture
« D’ici la seconde partie du XXIe siècle, on ne pourra plus cultiver l’abricot Bergeron là où on le cultive aujourd’hui, par exemple dans la vallée du Rhône. Son aire de répartition va monter vers le nord comme pour de nombreuses cultures », explique l’agroclimatologue Serge Zaka.
Ainsi, la culture de l’abricot verra son aire de compatibilité climatique, soit sa « biogéographie », transformée à l’avenir. « Les modèles climatiques indiquent une tendance à des températures hivernales plus hautes, et la disparition du froid hivernal. Les régions d’implantation [de la culture d’abricot] vont se déplacer vers le nord et l’est ».
« Un glissement de l’aire de répartition vers le nord et l’est est clairement visible, d’ici 2040-2060 avant une incompatibilité croissante d’ici 2080 », révèlent les modèles de projections climatiques de l’étude (1).
Vers quelles variétés s’orienter ?
Pour l’association, ce sont « surtout les années et décennies à venir qui interrogent déjà les agriculteurs, et devraient plus mobiliser les pouvoirs publics ». De fait, un abricotier vit de 15 à 30 ans, « il faut des décennies pour mettre en place une filière agricole structurée ».
Déjà, de nombreux agriculteurs se sont lancés dans l’expérimentation de nouvelles cultures, anticipant les conséquences du changement climatique. Par exemple, les agrumes ou l’olivier seront de plus en plus adaptés et de moins en moins vulnérables dans le sud de la France, avec la disparition progressive du froid hivernal.
Témoignant des réflexions en cours, Vincent André, arboriculteur dans la Drôme raconte « on va tenter de s’adapter, on en a marre de voir nos récoltes en sursis ou détruites tous les ans. On va peut-être remplacer nos abricotiers par le kiwi, qui semble plus rentable et moins risqué. On pense déjà partir sur de l’orange, des clémentines, pourquoi pas des Mandarines de Corse… On a déjà essayé le citron ». Pistache, nèfles, olives ou agrumes font partie des cultures envisagées, mais restent conditionnées à des questions d’irrigation.
Autre voie de changement, s’orienter vers des variétés de fruitiers compatibles avec le climat de demain, mais cela reste « très compliqué pour l’instant » précise l’étude, dans la mesure où une petite dose de froid en hiver et les risques de gelées tardives persisteront.
« En fait on est un peu dans un entre-deux climatique : pour s’adapter, on pourrait introduire des variétés nouvelles, comme en Espagne, mais elles ne supporteraient pas le froid qui peut encore arriver en hiver. On pourrait évidemment aller sur des nouvelles filières, on parle de l’olive ou encore des agrumes, mais là, on a le gros problème de l’irrigation ? Enfin, un arbre fruitier, ça dure au moins 15 ans, donc, on ne peut pas changer comme ça » explique Marc Faurile.
Accompagner les agriculteurs et expérimenter avec eux
À travers l’étude réalisée, Serge Zaka tient à avertir qu’il n’y a « pas de réelle politique d’adaptation agricole à l’échelle des filières pour l’heure. Il faut toujours rappeler qu’il faut des décennies pour “construire” une filière.
« Les transformations requises ne se feront pas toutes seules et les agriculteurs doivent être accompagnés et aidés ou au moins avoir les marges de manœuvre pour anticiper ou encaisser les chocs éventuels, investir, expérimenter », conclut Sylvain Trottier, Directeur de l’association Conséquences.
(1) En croisant les données de besoins climatiques de la culture en question (abricot Bergeron) et les projections climatiques multimodèles concernant les données suivantes (la vernalisation, la date de floraison, la date de maturité, la coulure autour de la floraison, les dégâts dus au gel, la sécheresse entre la floraison et la maturité, le risque de gel inférieur à — 20°C, le nombre de jours supérieurs à 35°C), Serge Zaka simule les aires de répartition de la culture et leurs évolutions (scénario d’un horizon de réchauffement de 4°C en France d’ici 2100).
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