Login

« Il faut rééquilibrer les droits en faveur de l'agriculture »

Carole Hernandez-Zakine est docteur en droit de l'environnement appliqué à l'agriculture.

Carole Hernandez-Zakine est docteur en droit de l’environnement appliqué à l’agriculture et présidente de Zakine Consulting. Elle était responsable des affaires publiques au sein du groupe InVivo.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Le président de la République veut inscrire dans la loi que l’agriculture est d’intérêt général majeur. Qu’est-ce que ça changerait concrètement ?

Les manifestations des agriculteurs au début de 2024 ont l’avantage d’avoir replacé la production agricole au centre de l'attention politique. C’est un moment historique. Mais il faut maintenant savoir si ce n’est qu’une posture politique ou si ces déclarations se traduiront par une reconnaissance de l'agriculture comme étant d'intérêt général.

En tout cas, le sujet est important. On le voit avec la protection de l’environnement, inscrite depuis la loi sur la nature de 1976 comme étant d'intérêt général. Depuis, on a une mécanique juridique qui permet d'intégrer la protection de l'environnement dans tous les autres droits et les décisions judiciaires, y compris le droit constitutionnel.

À force, on assiste à un renversement où l’agriculture est mise au service de la protection de l’environnement. Il faut rééquilibrer les choses et dire que la protection de l’agriculture est aussi d’intérêt général et l'écrire dans le code rural.

Mais l'agriculture n'est pas concernée uniquement par le code rural...

C'est bien l'illustration de la dilution du droit de l'environnement dans tous les droits. L’agriculture, qui utilise l’eau, le sol, la biodiversité, les phytosanitaires, les engrais, etc., se retrouve toujours concernée par le droit de l’environnement dans tous les textes

Au nom de l'intérêt général, des préfets peuvent interdire l'accès à l'eau aux agriculteurs. Ils se retrouvent au même niveau que les golfs ou les sociétés de lavage. On n'est donc plus dans le partage de l'eau, mais dans la primauté d'un intérêt général sur un autre.

D'ailleurs, c'est pour ça qu'il n'est pas forcément nécessaire de dire l'agriculture d’intérêt général majeur, parce que ça reviendrait à faire primer un droit sur un autre, alors qu’il faut concilier les intérêts en présence.

Les agriculteurs se plaignent de la surtransposition des normes. Ont-ils quelque chose à attendre du projet de loi d’orientation ?

Pendant la crise agricole, les manifestants témoignaient de leur ras-le-bol des normes. Pour ma part, en tant que juriste, j’étais secouée par ces slogans parce que, normalement, le droit est là pour organiser la paix dans la société.

Pourquoi les agriculteurs sont-ils donc si angoissés par ces normes ? En réalité, ils parlent de tout ce qui compose pour eux un environnement contraignant : sans distinction, les plans d'action, les chartes, les Sdage, les guides d’interprétation du droit, les aides publiques, etc.

C’est difficile à comprendre. Surtout, l’accumulation des niveaux de normes ne fait plus sens. C’est comme si le droit local s’arrogeait la légitimité de définir seul les règles agricoles. Alors même que ces règles sont aussi discutées au niveau européen, pour ce qui concerne l’agriculture, et il revient aux États de savoir comment les appliquer. C’est ce « comment » qui part en roue libre sans équilibrer les contraintes.

Nous avons une chance d’inscrire dans cette loi d’orientation que l’action de l’État n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les exigences européennes, y compris en limitant le périmètre local aux bornes placées par l’échelon supérieur du droit, afin de mettre un frein à cette machine qui entrave la capacité de l’agriculture à produire.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement