Tirer toujours plus de sangliers pour diminuer les dégâts
Si la régulation des sangliers s’améliore avec les nouveaux outils à disposition, elle reste variable en fonction des territoires. Quant au tir des laies, qui est le principal moyen pour enrayer la hausse des effectifs, il se confronte à l’éthique même de la chasse.
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Même s’il a raboté l’enveloppe promise pour réduire les dégâts du grand gibier, l’État a contribué à sauver la viabilité du dispositif d’indemnisation par son soutien financier sur 3 ans décidé en 2023. Ces fonds avaient été octroyés sous la condition que certaines mesures de prévention et de régulation soient prises pour réduire les dégâts.
Une « boîte à outils » incomplète contre le sanglier
Une « boîte à outils » en concertation avec les agriculteurs et les chasseurs avait été construite en parallèle, pour renforcer la pression de chasse sur le sanglier. De nouvelles mesures ont ainsi pu être prises dans les départements. Selon le bilan dressé par la Fédération nationale des chasseurs (FNC), depuis 2024-2025, « au moins 58 départements ont décidé d’autoriser la chasse du sanglier en avril mai, principalement à l’approche ou à l’affût, pour protéger les cultures de printemps. 30 départements ont demandé à avoir la possibilité d’utiliser la chevrotine, plus sécuritaire et efficace à courte portée, dans des contextes de biotope très fermé ou en bord de zone urbanisée ou proche d’infrastructures de transport. » Quant au piégeage du sanglier, déjà encadré depuis 2020 et vu comme un « outil complémentaire à la chasse, efficace dans les zones sensibles », il est adopté dans 29 départements.
La panoplie de mesures de la boîte à outils n’est pas encore complète. Si la possibilité de tir en cours de récolte a finalement été annulée par le Conseil d’État à la suite d’un recours de l’Association de protection des animaux sauvages (Aspas), trois mesures doivent encore trouver leur traduction législative et réglementaire : la généralisation de l’appâtage qui consiste à créer un point de concentration de nourriture afin d’attirer et de regrouper les animaux pour faciliter leur prélèvement, le tir de nuit par le détenteur du droit de chasse et la réforme de la composition de la CNI (Commission nationale d’indemnisation).
Des premiers résultats positifs
Malgré ces quelques manques, les résultats sont là. En attendant le bilan définitif début 2026, les objectifs intermédiaires de réduction des dégâts qui avaient été fixés dans l’accord de 2023 ont été atteints en 2024 et devraient l’être cette année selon la FNC.
Mais ce n’est qu’une accalmie, selon Willy Schraen. « Si la situation s’améliore, depuis deux ans, nous savons aussi que ce ne sera malheureusement que de courte durée, car nous constatons, depuis le Covid une diminution annuelle des effectifs des chasseurs », prévenait-il à Avignon en mars dernier. « Si rien ne change dans le financement des dégâts agricoles par les chasseurs et si demain, il devait y avoir une forte hausse des cours des céréales par exemple, il n’y a pas 20 % des fédérations qui résisteront. Pour les autres, ce sera le dépôt de bilan », craint-il dans une interview donnée à la France Agricole.
30 % du territoire ne serait pas ou peu chassé
« Il n’est pas faux que les chasseurs sont de moins en moins. Ce qui est un problème de société avec une chasse dont l’image n’est pas très bonne », admet Eric Baubet, chargé de recherche à l’OFB (Office français de la biodiversité) et qui travaille sur le sanglier.
Des marges de progression existent sur la régulation du suidé. Si les mesures sont prises au niveau national et au niveau départemental pour augmenter le nombre de prélèvements de sangliers en étendant les périodes de chasse par exemple, leurs succès dépendent de leur appropriation au niveau local par les chasseurs et les propriétaires.
La FNC insiste sur le fait que 30 % du territoire n’est pas ou peu chassé. Cela peut s’expliquer par l’interdiction appliquée à des espaces naturels protégés ou pour des raisons de sécurité pour des zones proches d’habitation. Ou parce que simplement le propriétaire du terrain, titulaire du droit de chasser, l’a décidé.
Une régulation à géométrie variable
La régulation peut être plus ou moins forte selon les territoires en raison de plusieurs facteurs observe Eric Baubet. « Cela dépend de la quantité de chasseurs, de la pression de chasse, du contexte d’habitat plus ou moins accidenté, boisé ou impénétrable. Sortir les animaux de ces endroits est compliqué. Et il y a aussi, il ne faut pas se le cacher, la volonté de chasseurs de ne pas prélever suffisamment ou de garder un certain capital d’animaux. Les chasseurs n’ont pas la même notion de régulation partout ».
Raphaël Mathevet, écologue, géographe et coauteur de « Sangliers, géographies d’un animal politique » aux éditions Actes sud l’a observé : réguler n’est pas chasser. « Chasser implique de laisser une chance au gibier et de faire le choix de tuer selon des critères qui peuvent être moraux ou esthétiques. Réguler implique un ordre de détruire. Le chasseur devient un « agent de destruction » qui ne sélectionne plus l’animal, peu importe son âge, son sexe, sa taille. Cette obligation de réguler mène à un « épuisement moral » et physique chez de nombreux chasseurs ».
À la volonté locale de courir après le sanglier, s’ajoute le choix individuel du chasseur : celui de tirer ou non tout sanglier aperçu. Si le tir sélectif du sanglier est interdit au niveau national, en pratique, sur le terrain, appuyer sur la détente au moment où une laie suitée (accompagnée de ses marcassins) traverse devant soi n’est pas envisageable pour tous
« Tirer sur des marcassins ou une laie suitée est le point ultime de friction avec l’essence même de la chasse, ajoute le chercheur. Ayant été formés pendant 15 à 20 ans pour être de « bons gestionnaires », exploitant durablement leur « espèce fétiche », il est difficile pour des chasseurs d’accepter l’injonction soudaine d’anéantir l’animal qui justifie leur passion ».
Prélever les laies en priorité
Tirer les laies est pourtant primordial pour réguler les populations. « Sur la base de quelques modélisations, si l’effort de prélèvements cible certaines catégories d’individus qui sont au cœur du fonctionnement dynamique des populations, il est possible d’infléchir les choses en stabilisant voire diminuer les effectifs », explique Eric Baubet.
« Pour infléchir vraiment l’augmentation des effectifs, il faut prélever fort dans les grosses femelles, comme les laies meneuses, qui sont la dynamique du développement démographique des populations, poursuit-il. Elles ont des tailles de portée plus conséquentes et ayant plus d’expérience, elles sont meilleures mères que les jeunes qui débutent dans la reproduction. »
Un élément que les chasseurs ont compris par le passé ajoute le chargé de recherche. « Longtemps en arrière, les consignes étaient de préserver les femelles pour développer les populations. Faire machine arrière aujourd’hui est compliqué. C’est le problème de la poule aux œufs d’or, si on tue la poule, on n’a plus d’œufs. » Un point que nuance Laurent Gandillot, président de la FDC de l’Indre. Tuer la laie meneuse qui dirige la harde « n’est pas forcément intelligent » selon lui. Cela peut déstructurer le groupe observe-t-il, rendant le comportement de la harde plus erratique et pouvant potentiellement entraîner son éclatement.
Prélever les femelles est d’autant plus primordial si de l’agrainage dissuasif est mis en place. « L’agrainage peut fonctionner théoriquement pour un niveau de population constant. Si vous ne prélevez pas assez de femelles sur le terrain qui ont une bonne reproduction et que vous remettez la même quantité de maïs l’année d’après, les sangliers eux sont plus nombreux et finiront par aller manger dans les cultures. C’est un cercle vicieux. L’agrainage ne doit pas être la solution unique », indique Eric Baubet.
La stérilisation et la prédation ne sont pas des solutions
Et quid de la stérilisation pour diminuer les populations ? En pratique, elle semble irréalisable. « C’est compliqué. Attraper des animaux pour les stériliser et les relâcher pourrait être mal compris. Pourquoi ne pas les tuer directement une fois capturés ? », interrogé le chargé de recherche à l’OFB. Selon des travaux scientifiques, « il faudrait stériliser 70 à 80 % de la population pour des résultats efficaces », ajoute-t-il.
Dans l’hypothèse de nourrir les sangliers avec des contraceptifs, il faudrait que ces produits soient spécifiques à l’espèce pour éviter qu’ils impactent d’autres espèces de mammifères. Ces produits n’existent pas aujourd’hui selon Eric Baubet, qui ajoute qu’il serait nécessaire de vérifier également que la viande de sanglier puisse être mangée sans risque par d’autres animaux ou l’être humain.
Par ailleurs, l’hypothèse d’une prédation naturelle du sanglier, en dehors de toute considération de l’impact que le loup et l’ours peuvent avoir sur l’élevage français, est illusoire. « Même dans les territoires européens où se trouvent loups et ours, le sanglier reste un ongulé un peu dangereux que ces grands prédateurs n’attaquent pas sans risque, privilégiant souvent d’autres proies ou les sangliers seulement s’ils sont petits, blessées ou en mauvaise condition », observe Eric Baubet.
Une « prévention marginale »
Quant à la prévention des dégâts de gibier, si elle reste un levier important, elle est un sujet complexe à mettre en œuvre. Le budget des fédérations des chasseurs en la matière est de 6,5 millions d’euros en moyenne par an sur les quatre dernières années, quand les indemnités représentent à elles seules 55,5 millions d’euros. « Faute de soutiens autres que celui des chasseurs, ou de contraintes réglementaires trop fortes, peu d’agriculteurs investissent dans la prévention, qui est payée par les chasseurs, estime la FNC. Bien que des dispositifs de prévention existent (clôtures, effarouchement, cultures répulsives), leur mise en œuvre reste en proportion marginale ».
Cela s’explique aussi par des contraintes fortes et une efficacité qui reste nuancée. En Haute-Saône, des produits dissuasifs sont testés sur des parcelles de maïs fraîchement semées. « Nous avons des partenariats avec des entreprises qui développent ce genre de produits, ils ne sont pas tous convaincants, mais on tente, on investit de l’argent dans ces travaux de recherche », concède Paul Langlois, directeur de la FDC.
Les limites de l’effarouchement et des clôtures
Dans le même département, des canons d’effarouchement ont été installés par les chasseurs sur les parcelles de Bruno Coutherout, éleveur laitier. Mais après la plainte de voisins se plaignant du bruit, ils n’y sont restés que quelques jours. Les canons « sont un des moyens de dissuasion mais qui n’est vraiment pas le meilleur. Son efficacité est extrêmement limitée car les animaux finissent par s’habituer au bruit des détonations. Mais cela peut tout de même avoir un effet déterminant pendant quelques jours », constate Paul Langlois.
Si la clôture électrique reste le moyen de prévention le plus efficace, elles ont leurs limites et peuvent créer des frictions entre chasseurs et agriculteurs au moment de leur installation, de leur surveillance et de leur entretien qui sont chronophages. Notre reportage dans l’Ain l’illustre.
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