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Les forces et faiblesses de la balance commerciale de l’élevage français

Dans un contexte déficitaire dans la majorité des filières animales, le solde commercial des produits laitiers résiste.

Bien que les filières viande perdent du terrain, les secteurs du lait et des exportations de bovins vivants restent compétitifs.

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Après avoir fait le point sur les filières végétales en décembre dernier, nous nous intéressons cette fois à la balance commerciale des productions animales françaises. La volaille illustre bien le décrochage de la balance commerciale française, passant d’un excédent d’1,15 milliard d’euros à la fin des années 90 à un déficit de 1,2 milliard d’euros vingt-cinq ans plus tard.

En 2024, le déficit s’est légèrement réduit comparé à 2023, mais le solde reste négatif. « Selon les estimations (1), le déficit atteindrait 441 000 tonnes équivalent carcasse (téc) et 1,224 milliard d’euros, explique Mohamed Bouzidi du service économie de l’Institut technique de l’aviculture (Itavi). Malgré une hausse des importations de 3 % (principalement en poulet), le différentiel s’est amélioré grâce à une augmentation de 9 % des exportations soutenue par une production française en hausse ».

Des importations toujours plus importantes

Le premier décrochage (solde autour de 600 millions d'euros) est survenu au début des années 2000 avec une perte de production notamment en dinde à la suite de l’interdiction des protéines animales transformées (PAT). La réduction progressive des restitutions et leur suppression définitive en 2013 sur le poulet congelé export ont ralenti les exportations vers le Moyen-Orient entraînant la chute du groupe Doux et Tilly-Sabco. Depuis, les importations n’ont cessé de progresser, particulièrement pour le poulet utilisé dans la restauration hors domicile et les entreprises de seconde transformation (élaborés). L’évolution des habitudes de consommation (RHD, fast-food, snacking) a impacté le marché.

En 2022, la moitié du poulet consommé dans l’hexagone était importée. L’inflation post-covid a accentué le déficit avec des importations à des prix plus élevés. La France peine à rivaliser avec ses voisins européens en raison de coûts de production plus élevés et d’une orientation historique de la filière vers le poulet entier, peu adapté à la demande croissante de découpes. « Ces nombreux facteurs ont conduit à une situation où la France importe des découpes à haute valeur ajoutée (filets, élaborés) tout en exportant des produits à faible valeur ajoutée, creusant le déficit d’année en année » résume Mohamed Bouzidi.

Concernant les œufs et les ovoproduits, la balance commerciale s’est améliorée en 2024 mais reste déficitaire (-45 millions d’euros). Sur les 20 dernières années, la France a connu des fluctuations liées à la conjoncture. Le déficit s’était fortement creusé en 2012 (-48 millions d’euros) en raison du passage aux cages aménagées, qui avait provoqué une chute de la production. En 2022 et 2023, entre la grippe aviaire, le recul de la production, et l’embargo sur les exportations vers certains marchés asiatiques, la France est passée sous la barre des 100 % d’autosuffisance pour la première fois depuis 2012.

Solde porcin déficitaire

La viande porcine française est sur une ligne de crête. D’après les données de l’Institut du porc (Ifip), entre 2021 et 2023, le taux d’autoapprovisionnement (2) s’établit en moyenne à 101 %, avec quelques disparités selon les principales pièces de découpe (85 % pour le jambon, environ 120 % pour la longe, plus de 120 % pour la poitrine et environ 110 % pour l’épaule). Pour Elisa Husson, ingénieure d’études économiques à l’Ifip (3), la France importe d’abord pour « compléter l’offre nationale ». Il s’agit principalement de produits à forte valeur ajoutée, comme des charcuteries et des pièces désossées, en provenance de nos voisins européens (l’Espagne en tête, ainsi que l’Allemagne, la Belgique et l’Italie).

Depuis une dizaine d’années, la part des importations dans le disponible à la consommation est stable, oscillant entre 25 et 30 %. La proportion de la production porcine française exportée suit la même tendance, variant entre 25 et 30 %. Ces envois sont essentiellement composés de pièces avec os et dans une moindre mesure d’abats, en premier lieu vers les pays de l’Union européenne (12 % des volumes en 2023 vers l’Italie, 11 % vers l’Espagne) puis vers les pays tiers, en particulier la Chine (17 % des volumes).

Malgré cette apparente stabilité des flux commerciaux, Inaporc, l’interprofession porcine, s’inquiète de l’« effritement » de l’autoapprovisionnement français en viande porcine « en raison du recul du nombre d’éleveurs », et rapportait en début d’année 2024, une progression des importations de charcuteries européennes. « Près d’une charcuterie sur cinq vendues en GMS est importée », pointait-elle, craignant une dégradation de la balance commerciale.

Selon les derniers chiffres de l’Ifip, en cumul des dix premiers mois de 2024, le solde commercial de la France sur les produits porcins est déficitaire en volume (-277 066,33 tonnes) comme en valeur (- 1 948 196,11 milliers d’euros).

Davantage d’exportations de produits laitiers

Un seul secteur tire son épingle du jeu : celui du lait, dont la balance est stable depuis dix ans. Le solde commercial français est positif pour presque tous les produits laitiers, à 2,87 milliards d’euros de janvier à novembre 2024. Il recule cependant de 2 % par rapport à 2023. Les crèmes enregistrent une forte hausse des exportations en volume, avec un bond de 21 % par rapport à 2023 sur les huit premiers mois de 2024. Yaourts, fromages, et lait vrac, suivent cette tendance haussière.

Côté fromages, si les volumes exportés augmentent, les importations aussi. « La hausse est très marquée pour les fromages type cheddar avec une augmentation de 44 % depuis le Royaume-Uni, notre premier fournisseur », rapporte l’Institut de l’Élevage (Idele). Même constat pour le gouda, ou encore l’emmental. Le beurre est le seul produit dont la balance commerciale est négative, du fait de la dépendance structurelle de l’Hexagone à cette matière grasse. « Le pays est le premier consommateur mondial de beurre », précise Thierry Pouch, chef de service études économiques chez Chambres d’Agriculture France. Néanmoins, les importations freinent sur les huit premiers mois de 2024, de -2 % depuis les Pays-Bas, -15 % depuis la Belgique, et -16 % depuis l’Irlande.

Autre secteur à la peine, celui des ingrédients secs. Bien que toujours excédentaire, le solde commercial est en repli de 7 % sur les huit premiers mois de 2024. L’Idele enregistre un net recul des envois de laits infantiles vers la Chine (-29 %), le pays traversant une crise économique. Les exportations de poudres grasses ont diminué de -10 %, notamment vers l’Allemagne.

Recul de l’autosuffisance en viande

En viande bovine, la « balance commerciale tend à baisser sur le long terme, affirme Caroline Monniot, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage. Le déficit en viande se creuse depuis 2003 ». En 2023, le solde français était déficitaire de 764 millions d’euros en viande. Cependant, les exportations de bovins, hors reproducteurs, de plus de 160 kg ont permis de compenser le bilan économique de la filière, générant 1,422 milliard d’euros, ramenant la balance commerciale à un excédent de 659 millions d’euros.

L’autosuffisance en volume de viande abattue a diminué, passant de 95 % en 2018 à 92 % en 2024. « C’est principalement dû à notre baisse de production, liée à la décapitalisation des cheptels bovins, contextualise Caroline Monniot. Pour compenser, la part d’importations dans notre consommation augmente progressivement sur le long terme ». En 2023, la France a importé 344 000 tec, contre 315 000 sur la période 2016-2019. « Le pic post-covid des importations a presque égalé les niveaux très élevés enregistrés entre 2007 et 2010 », constate l’experte. Notre consommation est basée sur la viande de femelle, ce qui constitue la majorité de nos importations, tandis que nous exportons la viande de jeunes bovins. Et malgré des cours en hausse, notre compétitivité n’est pas nécessairement en danger.

« Le marché des réformes s’est allégé en 2024, nous avons eu des débouchés dynamiques vers les pays tiers. Et de manière générale, il y a tellement peu d’offres sur le marché européen que toutes les cotations se sont resserrées. Le cours de la vache irlandaise est passé au-dessus de la cotation française, c’est du jamais vu », souligne l’agroéconomiste. Sur le marché du maigre, le manque d’offre est tel que la France n’a plus vraiment de concurrent face à elle.

(1) Données sur 11 mois + estimations décembre 2024

(2) Défini par FranceAgriMer comme calculé comme le ratio Production/Consommation. Un ratio supérieur à 1 indique schématiquement que la France produit plus qu’elle ne consomme.

(3) Lors de la journée « Tout est bon dans le cochon » le 3 décembre 2024, à Paris.

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