Dans son étude commandée par le CNPA (1), publiée au début de 2024, le cabinet Asterès prévenait : la balance commerciale agroalimentaire française « constitue un trompe-l’œil presque parfait », où les deux piliers de l’agriculture, les vins et spiritueux et les céréales, « cachent entièrement l’effondrement sur le reste des secteurs agricoles et agroalimentaires ». Il estimait que la dépendance à ces deux secteurs créait « un risque macroéconomique majeur » en cas de difficultés sur l’un et/ou sur l’autre. Un scénario qui devient aujourd’hui réalité.

Estimée à 25,5 millions de tonnes par Agreste, la récolte de blé tendre de 2024 est la plus faible de ces quarante dernières années. Le recul des exportations vers les pays tiers, à 3,9 millions de tonnes en 2024-2025, contre 10,2 millions de tonnes en 2023-2024, selon FranceAgriMer, laissera un trou dans notre balance commerciale. Historiquement excédentaire, elle devrait se dégrader encore l’an prochain. Ainsi, « en 2025, elle pourrait être proche de l’équilibre sur les activités agricoles, ce qui serait une première », alerte Antoine Hacard, président de La Coopération Agricole métiers du grain. En 2023, elle s’élevait à 5,3 milliards d’euros, en baisse de 43,5 % par rapport à 2022.

La production de blé s’érode

La mauvaise moisson en 2024 est le résultat de rendements catastrophiques et de surfaces au plus bas depuis près de trente ans. Et force est de constater que s’opère une baisse tendancielle des volumes de céréales. « Il y a dix ans, une belle production de blé en France, c’était 40 millions de tonnes. Aujourd’hui, c’est 34 millions de tonnes », appuie Antoine Hacard. Selon lui, les surfaces reculent dans le sud de la France car elles ne sont plus adaptées à la production céréalière avec le changement climatique. Et dans le nord, la baisse s’explique car les céréales « perdent la bataille de l’assolement » au détriment de cultures industrielles plus compétitives (pomme de terre, betterave, lin, légumes d’industrie…). Il dénonce aussi un manque de solutions techniques lié à l’interdiction de certaines matières actives.

La France subit par ailleurs une perte de compétitivité à l’international, notamment face à la Russie dont les coûts de production sont inférieurs aux nôtres. Les volumes de blés ukrainiens rentrés dans l’Union européenne ont également désorganisé les marchés. En 2023, 6 millions de tonnes de blé ont été importées dans l’Union européenne, engorgeant des débouchés traditionnels de blé français.

« L’exportation est une chance pour la France, pour son rayonnement à l’international, pour son poids géopolitique et pour la stabilisation de certains pays », rappelle Antoine Hacard. Le pays participe à l’équilibre alimentaire de l’Union européenne, par exemple en maïs : alors que l’Union européenne est déficitaire, l’Hexagone devrait lui en fournir un peu plus de 4 millions de tonnes en 2024-2025.

Pour continuer à produire, « on a besoin de solutions techniques, de recherche pour remplacer les produits phyto, d’innovation, notamment variétale, d’eau, et d’une logistique performante, insiste Antoine Hacard. N’appliquons pas à l’agriculture les mêmes schémas que l’industrie à partir des années 1980. » Il rappelle que la mauvaise récolte de cette année impacte toute la filière des céréales, notamment le financement par les contributions volontaires obligatoires (CVO) des interprofessions, des instituts techniques ou encore de la recherche semencière.

Perte de souveraineté en fruits et légumes

Autre filière dont la balance commerciale se dégrade (–7,4 milliards d'euros en 2023) : celle des fruits et légumes. Entre 2000 et 2024, tous produits confondus, la France est passée de 30 % à 50 % d’importations. En fruits, les consommateurs se tournent davantage vers les produits exotiques. Mais « nous avons aussi des difficultés de compétitivité qui touchent des fruits et légumes produits en France et concurrencés par une offre moins chère et de bonne qualité », explique Daniel Sauvaitre, président d’Interfel.

La pomme est un bon exemple : en 2000, la France en était le premier exportateur mondial. En 2014, l’embargo russe a créé un effet domino sur le marché et la concurrence est devenue plus vive. « De 700 000 tonnes exportées au début des années 2010, on est tombé à 320 000 tonnes en 2023 », rapporte-t-il. Pour contrer la dynamique, un plan de souveraineté a été lancé par le gouvernement en mars 2023. La filière espère que les engagements seront tenus dans la durée dans un contexte budgétaire serré.

« Dès lors qu’on n’est plus exportateur et que l’importation commence, il est extrêmement difficile de tenir le choc de la compétition avec d’autres origines », constate Daniel Sauvaitre. Il appelle à une compétition loyale, avec des règles équivalentes entre pays européens.

La balance est également négative côté oléagineux, bien qu’elle soit relativement stable. Entre 2019 et 2022, la production de colza a connu un creux, après avoir atteint un pic de surface en 2018 (1,6 million d’hectares). « On était un peu au-delà du raisonnable agronomique, avec des zones trop saturées en colza. Un réajustement bienvenu s’est fait à la baisse, mais nous avons cumulé un recul trop important ces dernières années », constate Françoise Labalette, de Terres Univia. Climat et attaques d’insectes en sont les principales causes, estime-t-elle.

À l’inverse, le tournesol est excédentaire : en 2023-2024, la production de graine, à 2 millions de tonnes, a dépassé la capacité de trituration, mais la conjoncture pour 2024-2025 s’annonce en baisse. En soja, la France est largement déficitaire.

Pour Françoise Labalette, une situation équilibrée en colza et tournesol « n’est pas impossible » à l’avenir, grâce à la complémentarité de leur cycle vis-à-vis du climat. En revanche, pour « tenir le cap » et produire avec moins d’intrants et décarboner, l’innovation est indispensable. « On a besoin d’un cadre lisible et sur la durée », insiste-t-elle. Un constat qu’elle dresse également en protéagineux. Les plans protéines ont permis de mettre en mouvement une dynamique, mais le déficit de recherche conjugué aux difficultés climatiques rendent le défi de taille. « Si on ne continue pas le plan sur la durée, ça ne sert à rien », conclut-elle.

(1) Centre national pour la promotion des produits agricoles et alimentaires.