Une bataille inédite pour la présidence des chambres d’agriculture
Dans quatre chambres d’agriculture, la présidence est revenue au syndicalisme majoritaire, alors que la Coordination rurale est arrivée en tête des suffrages dans le collège des exploitants. Un épisode qui cristallise les tensions syndicales.
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« Le pouvoir ça ne se partage pas. » Cette phrase, Aurélien Mourier, agriculteur syndiqué à la Confédération paysanne, l’a entendu maintes fois, pendant son mandat d’élu d’opposition à la chambre d’agriculture de l’Ardèche, lorsqu’il émettait le souhait d’intégrer le bureau de l’institution consulaire. Mais les récentes élections professionnelles changent la donne : sur les 102 chambres départementales et interdépartementales, la Coordination rurale (CR) est arrivée première dans le collège des exploitants agricoles de 14 chambres et la Confédération paysanne a, elle, gagné trois chambres dont l’Ardèche, où Aurélien Mourier a été élu président.
Pour sauver les meubles, le syndicalisme majoritaire (FNSEA et Jeunes Agriculteurs) s’est mis en ordre de bataille. Ce qui a donné lieu à des situations inédites dans quatre chambres : en Lozère, en Gironde, dans le Loir-et-Cher, en Charente-Maritime et dans les Deux-Sèvres (chambre interdépartementale), les agriculteurs ont placé la Coordination rurale en tête, mais la présidence de l’organisme consulaire a été remportée par un élu de l’alliance FNSEA-JA.
Une issue rendue possible par les votes des élus des autres collèges (propriétaires fonciers, agriculteurs retraités, salariés, établissements de crédits agricoles ou assurance) qui ont fait basculer l’élection en faveur du candidat du syndicalisme majoritaire. Que le président ne soit pas issu de la majorité du collège 1 (exploitants), Nelly Buttignol ne l’avait pas vu venir. « On vivait dans un monde de bisounours », constate amère, la candidate de la Coordination rurale à la présidence de la chambre de la Gironde. « Les élections [pour la présidence] étaient déjà faites d’avance », analyse-t-elle.
Réformer la gouvernance des chambres
À la Coordination rurale ou à la Confédération paysanne, le constat est le même : on s’indigne d’un scrutin « antidémocratique ». « Se dire qu’on peut gagner et ne pas avoir la présidence c’est un vrai souci », soutient Aurélien Mourier. « À plus long terme, cet épisode pose quand même la question de la réforme des règles du jeu des élections professionnelles agricoles », observe Sylvain Brunier, chargé de recherche au CNRS, spécialisé dans la sociologie des mondes agricoles.
Attaqués par la Coordination rurale qui liste « les opposants dans des tracts et les menace directement de représailles », selon la CFDT, les représentants de salariés agricoles montent au créneau. Dans un communiqué de presse diffusé le 20 mars 2025, le syndicat rappelle que les salariés « sont plus d’un million en France, en comparaison des 390 000 exploitants agricoles ».
« N’en déplaise aux militants de la Coordination rurale, cette représentativité revêt un caractère respectable et on ne peut pas résumer le mandat des salariés agricoles au seul résultat du collège 1 des exploitants agricoles et assimilés auquel les salariés n’ont pas participé », réplique la CFDT.
Du côté de la FNSEA, son président Arnaud Rousseau se défend en assurant que les élections des présidents se sont déroulées dans le respect de règles. « J’entends certains expliquer que les élections seraient illégitimes et qu’on les aurait volés. Mais il fallait regarder les décrets et textes émis avant », a-t-il indiqué lors d’une conférence de presse le 18 mars 2025.
Selon son analyse, ce sont surtout les collèges de salariés « avec la neutralité ou pas, de la mutualité ou de la coopération » qui ont fait basculer les exécutifs. « À déverser des bennes et pneus devant Groupama et les banques ou à critiquer les salariés des chambres, vous ne pouvez pas être surpris que les gens ne votent pas pour vous », a-t-il argué.
Le président, « correspondant » de l’agriculture
Obtenir la présidence de la chambre revêt plus d’un avantage pour les syndicats. Pour Benoît Faucon, président de la chambre d’agriculture de la Mayenne, être président s’apparente à être un « correspondant » de l’agriculture qui « sert d’interface avec les différents services de l’État ».
« Plusieurs fois par mois, nous les rencontrons pour faire un point sur l’agriculture du département et voir les besoins que nous avons en terme réglementaire, de veille sanitaire ou économique », décrit-il. Si l’éleveur syndiqué chez JA reconnaît avoir été élu sur un programme syndical et « des sensibilités », « nous sommes un établissement public, on est là au service de tous les agriculteurs », soutient celui qui a élu à une large majorité (30 sur 32).
Selon les règlements intérieurs, propres à chaque chambre, la voix du président peut être prépondérante dans un scrutin en cas de partage égal des voix, excepté dans les scrutins secrets. Autrement dit, le président a la possibilité de trancher la question par son vote en cas d’égalité.
Dans les chambres qui ont basculé, la présidence a surtout un impact pour établir le bureau de la chambre. Ce dernier « gère les affaires courantes et oriente », explique Aurélien Mourier. Budget, subventions, tarifications des services de la chambre… Tout passe par le bureau.
Si ses membres (entre cinq et douze) sont élus par les collèges de la chambre, il n’y a aucune obligation en matière de respect de la représentation, syndicale ou de filières. La couleur syndicale reflète donc souvent celle du président car les élections sont concomitantes.
Information « très partielle » en session
En conséquence, « si une mandature ne veut pas impliquer les 35 élus, une chambre d’agriculture peut très bien travailler au moyen d’une poignée d’élus, […] le reste fait de la figuration », regrette le président de la chambre de l’Ardèche.
Les sessions réunissant tous les collèges se déroulent au minimum trois fois par an, quand les membres du bureau peuvent se retrouver tous les quinze jours. « Quand on n’est pas au bureau, on n’est pas au courant de grand-chose, témoigne Aurélien Mourier. Élu sortant, lui et ses collègues n’avaient « qu’une information très partielle lors des trois sessions annuelles ».
L’enjeu pour l’opposition est donc de siéger au bureau. Aurélien Mourier l’a bien compris, et a décidé de l’ouvrir aux autres syndicats. Un élu de la Coordination rurale et un élu de la CFDT y siégeront, alors que la FDSEA et JA ont refusé. « Ça change énormément en termes de transparence, [les autres syndicats] sont au courant de tous les dossiers. En bureau, on discute. Même en étant minoritaires, présents, ils peuvent influer sur une décision », assure le président de chambre.
Pluralisme des bureaux
En Gironde, Nelly Buttignol et les onze autres élus de la Coordination rurale ont refusé l’invitation, arguant une présidence « illégitime ». « Ils nous disent : “On a ouvert le bureau”… En même temps avec trois élus, ils n’avaient pas le choix », riposte-t-elle. En revanche, un élu de la Confédération paysanne a intégré l’instance.
En Lozère, une maigre ouverture aux syndicats minoritaires a été proposée. Les exploitants peuvent y siéger en tant qu’« invité » : ils participent aux débats mais le droit de vote leur est prohibé. L’élu de la Confédération paysanne a accepté, tandis que les deux élus de la Coordination rurale ont refusé.
Dans les Landes, la majorité aurait « refusé de céder une place aux listes d’opposition », d’après le Mouvement paysan des Landes. La Confédération paysanne et la Coordination rurale du Loir-et-Cher ont, eux, refusé l’invitation.
L’ouverture des bureaux laisse-t-elle apparaître un signe d’une volonté de démocratiser les chambres de la part du syndicalisme majoritaire ? Pas vraiment, selon le sociologue Sylvain Brunier : « D’une manière générale, le fonctionnement des chambres reste très centralisé, leur gouvernance habituelle ne fait que peu, voire pas du tout, de place à la délibération et au compromis. Ce mode de prise de décision est aujourd’hui en crise du fait du recul de l’hégémonie de la FNSEA dans un certain nombre de chambres. »
« C’est quelque chose qu’ils [la FNSEA et JA, NDLR] sont en train de toucher du doigt, souvent parce qu’on les y a contraints : d’autres syndicats montent, ils se retrouvent dans l’obligation de partager », résume Aurélien Mourier, le représentant de la Confédération paysanne récemment élu président de la chambre d’agriculture de l’Ardèche.
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