À l’instar des engrais, le secteur des semences n’échappe pas à la période de tension sur les marchés. La guerre en Ukraine « entraîne une perte de compétitivité de la production de semences en France, explique Rachel Blumel, directrice de l’UFS (Union française des semenciers). Globalement, on observe une baisse des surfaces de 2% en 2022. » Cela s’explique par des arbitrages entre la production de semences, « très contraignante et exigeante », et la production de commodités. En conséquence, « il y aura des tensions pour les campagnes 2023 et 2024 », anticipe-t-elle.
La sécheresse estivale a par ailleurs impacté la qualité et la quantité des productions, avec des restrictions d’eau qui ont parfois empêché d’irriguer suffisamment les parcelles. « C’est probablement la plus mauvaise récolte de maïs que l’on ait connu dans l’histoire », considère Claude Tabel, ancien président de l’UFS. À cela s’ajoute un manque de main-d’œuvre dans les exploitations multiplicatrices.
Pour autant, les semenciers restent confiants. Ces évènements de 2022 ne remettent pas en cause la disponibilité de semences en 2023. « Ils ne trouveront peut-être pas la variété recherchée, mais il y en aura toujours une sur le même créneau de précocité, assure Claude Tabel. Nous avons des stocks de sécurité, qui vont nous servir en 2023. » Ces stocks seront donc en forte baisse. Leurs volumes représentent classiquement 30 à 50 % des ventes d’une année en maïs, comme en tournesol.
Arbitrages
Ce constat est partagé par les opérateurs sur le terrain. « Il ne faut pas être alarmiste, il y aura bien des semences pour le printemps prochain », insiste un établissement de semences et distributeur dans le Rhône-Alpes. Tout en reconnaissant une pénurie sur certaines variétés, en maïs notamment. « Nous serons amenés à arbitrer les choix variétaux de façon un peu plus agile qu’une année normale, poursuit le responsable. » [...] « Il y a beaucoup d’incertitude sur les approvisionnements sur certaines variétés de maïs et dans une moindre mesure de tournesol, confirme un opérateur en Champagne-Ardenne. Ce qui nous conduit à élargir un peu plus le panel variétal pour garantir les volumes. »
Des tensions d’approvisionnement sont aussi attendues pour les protéagineux de printemps. Là encore, la météo estivale a impacté la qualité des productions de semences. La progression de la demande de semence de protéagineux, dont la sole est poussée à la hausse par la nouvelle Pac, « peut avoir aussi un impact sur le disponible au printemps », juge un responsable en semences dans les Hauts-de-France. Dans les zones où la sole de pois d'hiver a progressé, l'inquiétude est plus mesurée pour les variétés de printemps.
En maïs, le responsable des Hauts-de-France assure avoir une disponibilité de l’ordre de 80 % mais « il y aura toujours une alternative technico-économique intéressante ». D’autant plus que les surfaces en consommation sont annoncées en recul de 5 à 10 % , ce qui devrait gommer la moitié du manque de disponibilité. En tournesol, « on s’attend à un maintien, voire à une hausse de la sole, anticipe-t-il. Or, on est sur un marché déjà ultra-tendu car dans notre région nous sommes obligés de rester sur des variétés très précoces. Pour le printemps prochain, ça coincera donc aussi sur quelques produits. » Au niveau national, l’UFS prévoit une nouvelle progression des surfaces de tournesol à hauteur de +10 % pour 2023, pour atteindre 920 000 à 940 000 ha, ce qui implique une augmentation des besoins en semences.
L’autre crainte concerne l’orge de printemps, du fait de l’avancement des cultures d’automne semées très tôt. « Si on a du gel au 15 janvier sur 5 % des surfaces, il n’y aura jamais assez de semences d’orges de printemps pour ressemer !", redoute l’opérateur des Hauts-de-France. À cela s’ajoute le risque de virose sur ces céréales.
30 à 40 €/ha en plus
Beaucoup d’opérateurs annoncent d’ores et déjà une hausse de prix des doses de semences, comprise entre 15 et 30 %. « Ce qui revient à un investissement supplémentaire de 30 à 40 €/ha en maïs et tournesol », chiffre-t-on dans le Rhône-Alpes. En céréales à paille, cela représente une inflation entre 13 et 18 €/ha.
« Cette hausse du coût de la semence est inédite », estime le responsable en semences en Champagne-Ardenne. Cette progression tient compte de la revalorisation des contrats de multiplication de semences (lire l'encadré ci-contre). La hausse du coût de l’énergie (gaz pour le séchage des semences), des produits de traitements de semences (+10 à 15 % en moyenne) et des consommables (sacs, palettes…) tirent aussi le prix de la semence vers le haut. Si le prix du gaz devrait se stabiliser la prochaine campagne, certains opérateurs anticipent une poursuite de la hausse des phytos et des consommables avec des répercussions sur les prix des semences en 2024. De quoi nourrir des inquiétudes pour la campagne suivante. « Compte tenu de la situation, il faudrait qu’on augmente les productions de semences : il n’est pas dit qu’on y arrive, s'inquiète Claude Tabel. Les surfaces vont peut-être même reculer. Si on a une nouvelle année particulièrement difficile sur certaines espèces, on pourra être en tension très très forte pour les semis de 2024. »