« L’artificialisation s’effectue sur des terres agricoles dans huit cas sur dix ». C’est le constat de Hélène Arambourou, coautrice des notes d’analyse sur l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) publiées en novembre 2023.

Cette artificialisation des terres, combattue par l’ambition d’interdire toute artificialisation sans renaturation d’ici à 2050, a pour conséquence directe de menacer la souveraineté alimentaire, affirment les participantes d’une table-ronde organisée par l’administration publique France Stratégies sur le sujet, jeudi 7 mars 2024.

Si « pour l’instant, nous n’avons pas la perception de la raréfaction des sols [agricoles] grâce à l’étendue du territoire français, nous sommes dans un monde fini », assume Maylis Desrousseaux, maîtresse de conférences à l’école d’urbanisme de Paris.

Il y a un besoin de garder des terres agricoles face à une artificialisation qui grignote du terrain et des terres qui peuvent être déjà épuisées. Alors que le prix du foncier explose déjà, « les sols non artificialisés pourront avoir une valeur supérieure aux sols artificialisés à l’avenir » assure la spécialiste du droit de l’environnement.

Dès lors, il est essentiel de respecter les objectifs de zéro artificialisation établis par la loi climat et résilience qui se décline en étape avec à mi-parcours, l’ambition de réduire de moitié l’artificialisation d’ici 2031.

Car l’urbanisation n’a pas seulement des effets sur la souveraineté alimentaire mais aussi sur l’effondrement de la biodiversité (via la destruction de l’habitat et de l’aire de vie de la faune) et la dégradation de la fonctionnalité du sol avec une moindre recharge des nappes à cause d’une mauvaise absorption des eaux pluviales.

Dynamiques d’urbanisation hétérogènes

À l’échelle nationale, plus de 60 % de l’artificialisation est imputée à la construction de logements, 20 % le sont pour les zones commerciales et 7 % pour les infrastructures routières et ferroviaires. « Mais localement, ces projets peuvent constituer des emprises au sol très importantes », remarque Hélène Arambourou, adjointe au directeur du département développement durable et numérique à France Stratégie.

« Les dynamiques de consommation de l’espace sont très hétérogènes », ajoute Coline Bouvart, coautrice des deux rapports et cheffe de projet emploi et territoires.

En réalisant une topologie des dynamiques de consommation d’espace, les autrices ont observé que l’efficacité de l’artificialisation (en fonction de l’impact sur le nombre d’emplois et de logements) était plus haute dans les lieux où les contraintes sont plus importantes. Par exemple, l’artificialisation en montagne est moindre et plus efficace à cause de la pression foncière et de la loi montagne de 1985 (restreignant déjà l’urbanisation). Pour des communes qui ont la même densité, l’artificialisation est plus ou moins efficace. « Il y a donc déjà des marges d’amélioration », assure Hélène Arambourou.

Valeur agronomique des sols

Une logique soutenue par le maire de Ris Orangis (Essonne) Stéphane Raffalli. Sa commune, qui a subi une intense artificialisation en 40 ans, développe un diagnostic poussé des sols pour observer leur valeur agronomique en partenariat avec l’Ademe (Agence de la transition écologique).

À l’avenir, le maire envisage d’intégrer ces données dans le plan local d’urbanisme. « La valeur des sols aura un impact immédiat en sortant de la logique quantitative » et en adoptant une logique qualitative. « Si on explique que le sol est protégé car il a une valeur agronomique, c’est mieux pris par la population et les élus », presse Stéphane Raffalli qui observe sur sa commune un intérêt particulier des citoyens à ces enjeux.

Un phénomène étayé par Maylis Desrousseaux : « Les sols peuvent emporter l’intérêt d’une population qui n’est pas nécessairement propriétaire des sols non artificialisés ».

Mais ces derniers ne sont pas un patrimoine commun de la nation, contrairement à l’eau et la qualité de l’air. Comment les protéger sans protéger la qualité du sol ?,  interroge la maîtresse de conférences : « Il est difficile d’avoir accès à des informations sur les sols alors qu’ils font partie intégrante de l’environnement, domaine protégé d’un droit à l’information par la charte de l’environnement », texte intégré à la Constitution en 2005.

Établir un statut juridique des sols agricoles et plus généralement tous ceux non artificialisés, permettrait de les protéger face au grignotage urbain, suggère Maylis Desrousseaux.