L’objectif du gouvernement est désormais clair : diviser par deux le rythme de l’artificialisation des sols d’ici à 2031 pour atteindre le zéro artificialisation nette en 2050. Les impacts de projets d’aménagement tels que la construction d’autoroutes ou de logements devront ainsi être compensés sur le plan écologique. Et c’est à ce niveau-là que les agriculteurs peuvent être appelés à la rescousse avec une contrepartie à négocier. Une étude publiée le 10 janvier 2024 par le centre d’études et de prospective (CEP) du ministère de l’Agriculture en explique le mécanisme.
Quatre compensations écologiques possibles pour les agriculteurs
Les deux autrices de l’étude, chercheuses à l’Inrae et au CNRS, ont étudié vingt-quatre projets donnant lieu à des mesures compensatoires portées par des agriculteurs, conduits dans six régions. En résulte que ces mesures compensatoires, qui peuvent être associées au sein d’un même projet d’aménagement, sont « peu variées ». Quatre grands types ont été identifiés :
1. Le pâturage extensif
C’est la mesure de compensation écologique la plus fréquemment rencontrée. Elle consiste à encadrer la charge en animaux par hectare, éventuellement le parcours des troupeaux, ainsi que les doses d’azote autorisées.
Gain écologique : elle permet l’entretien de milieux ouverts et peut conduire à une extensification de la production, dans le cas de parcelles déjà exploitées. Dans celui de parcelles auparavant en déprise, les pratiques pastorales permettent d’ouvrir des milieux qui étaient en voie de fermeture, associant ainsi production agricole et gain écologique.
2. La conversion d’une culture en prairie
Cette mesure consiste à replanter une prairie, permanente ou semi-permanente, sur une terre initialement affectée aux grandes cultures et donc labourée.
Gain écologique : c’est le gain le plus important grâce à la recolonisation de communautés d’espèces, notamment végétales. Inconvénient : le passage d’une production de céréales à celle de foin entraîne la plus grande perte de productivité.
3. La fauche tardive
Cette mesure est généralement proposée en compensation de la destruction de l’habitat d’oiseaux de plaine nichant dans des prairies agricoles. Elle consiste à décaler la date de première fauche après la période de nidification.
Inconvénient : la qualité du foin s’en trouve diminuée du fait de la présence d’herbes plus ligneuses. Toutefois, la baisse de productivité est plus faible que dans le cas d’une remise en prairie de terres labourées.
4. La plantation de haies ou de bandes enherbées
Cette mesure consiste à planter des espèces pérennes, généralement en bordure de parcelles. L’espace occupé est soustrait à la surface productive, d’où une réduction de la production agricole.
Gain écologique : réduction de l’érosion, protection contre le vent, participation à la lutte intégrée.
Rémunération ou obtention de terres à la clé
De manière générale, ces quatre grands types de mesures de compensation écologique entraînent une diminution de la productivité. Un constat qui peut freiner les agriculteurs, mais qui peut aussi justifier une contrepartie financière. Ainsi, « le compromis ou la convergence entre écologie et agriculture est au cœur des négociations », note l’étude. Deux cas de figure.
1. L’agriculteur est propriétaire des terres
Il perçoit alors une indemnité en échange du respect d’un cahier des charges agroécologique, généralement inspiré de celui de mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) définies dans la politique agricole commune (Pac). Dans ce cas de figure, les négociations vont également porter sur l’utilisation des terres dans les années précédant les mesures compensatoires. Par exemple, s’il s’agit de fauches tardives, les agriculteurs peuvent négocier la date de la première fauche.
2. L’agriculteur n’est pas propriétaire des terres
Il peut alors bénéficier de parcelles à titre gracieux ou recevoir une indemnité. Dans ce cas de figure, les chercheuses notent qu’il attire davantage des éleveurs à la recherche de surfaces ou des exploitants qui saisissent l’opportunité de revenus. Mais n’étant pas propriétaire, l’agriculteur aura moins de poids dans les négociations.
Au total, l’étude remarque que les acteurs du secteur agricole privilégient la mise en œuvre d’une compensation sur du foncier non productif, puis sur des espaces en friche, des prairies, et enfin sur des terres labourées. En plus de se réaliser sur des espaces agricoles marginaux, la compensation n’aboutit que très rarement à un réel changement systémique dans les exploitations.
Ainsi, conclut l’étude, la compensation écologique n’est pas « un levier de transition agroécologique efficace » et les dispositifs mis en place « peinent à répondre simultanément aux enjeux économiques et écologiques, et donc à intéresser les agriculteurs ».