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La difficile gestion de l’amiante dans les bâtiments agricoles

Avant son interdiction en 1997, l’amiante a été largement utilisée dans les bâtiments agricoles, en particulier dans les édifices destinés à l’élevage. (Photo d'illustration)

Entre une réglementation stricte et des coûts d’entretien ou de démantèlement faramineux, la présence de matériaux amiantés dans un bâtiment agricole peut virer au casse-tête. Des pistes pourraient toutefois améliorer le sort des propriétaires concernés.

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« C’est un serpent de mer, reconnaît Jacques Charlery, responsable du comité régional en charge des bâtiments au GIE Élevages de Bretagne. Sa dangerosité était connue depuis longtemps. Mais aucune fibre ne présentait des qualités similaires. » Avant son interdiction en 1997, l’amiante a été largement utilisée dans les bâtiments agricoles, en particulier dans les édifices destinés à l’élevage. Et pour cause : la taille microscopique de ses fibres — de 50 à 350 fois plus petites qu’un cheveu — en a fait un matériau de choix pour l’isolation phonique et thermique, et surtout la couverture des bâtiments, grâce à sa grande solidité.

« Comme la ferraille tient le béton, la fibre d’amiante tient la plaque de ciment », illustre Jacques Charlery. Ces caractéristiques avantageuses sur le plan technique font aussi de l’amiante une matière particulièrement dangereuse pour la santé. « L’organisme est incapable d’éliminer les fibres inhalées. Au vu de leur petite taille, elles pénètrent profondément dans l’appareil respiratoire, prévient la MSA. Le risque de maladies liées à l’amiante existe dès la première exposition. »

La formation dite de « sous-section 4 » est accessible aux agriculteurs, et permet de réaliser de petites interventions sur les matériaux amiantés. (©  DR)

« Pas formé, pas toucher »

Afin d’évaluer les quantités d’amiante présentes dans les campagnes, le ministère de l’Agriculture a sollicité la chambre régionale d’agriculture de la Bretagne. Cette dernière s’est basée sur les résultats du recensement général agricole réalisé en 2000. L’étude a été menée sur les productions bovine, porcine et avicole. Les résultats sont tombés en 2021 : le gisement d’amiante dans les bâtiments d’élevage bretons est estimé à près de 1 million de tonnes. Il est composé « à plus de 95 % de plaques de fibres-ciment ondulées pour la couverture. »

Dans la Région Pays de la Loire, l’association Elinnove (1) et la chambre régionale d’agriculture ont entrepris le même travail en 2022. Le gisement d’amiante est cette fois estimé à 806 092 tonnes, avec là aussi, une large prédominance des plaques de fibres-ciment ondulées. « Contrairement au calorifugeage ou au flocage où l’amiante est sous forme friable, il s’agit là d’amiante non friable, indique Jacques Charlery. Tant qu’on n’y touche pas et que c’est en bon état, il n’y a pas de risque sanitaire. »

Mais lorsqu’une intervention est nécessaire, les choses se compliquent. Les violentes tempêtes survenues à l’automne 2023 n’ont rien arrangé. « Pas formé, pas touché ! », martèle la MSA. Afin de pouvoir réaliser soi-même de petites interventions sur des matériaux amiantés, une formation dite « en sous-section 4 » ou « SS4 » est nécessaire.

Cette formation vise les travaux d’entretien, de maintenance et de réparation. Et pas question de réutiliser un matériau contenant de l’amiante. La réglementation est claire : « Les plaques de fibres-ciment cessent d’être utilisables à partir du moment où elles sont désinstallées ou retirées du bâtiment », souligne la MSA. Les matières amiantées doivent également être « être emballées, étiquetées et déposées dans une déchetterie spécialisée », indique Jacques Charlery.

En Bretagne comme dans les Pays de la Loire, les plaques de fibres-ciment ondulées pour la couverture représentent l'écrasante majorité du gisement d'amiante présent dans les bâtiments d'élevage. (©  Stéphane Leitenberger)

Le zéro artificialisation nette comme opportunité

S’agissant de travaux plus lourds comme la dépose totale d’une toiture ou le démantèlement d’un bâtiment, l’intervention d’une entreprise spécialisée est obligatoire. Dès lors, la note devient très salée. « Le coût du désamiantage oscille entre 45 et 100 € du m², chiffre Solenn Fassion. Il varie en fonction des entreprises et surtout de la surface à désamianter. Car le coût de mise en place et de repli du chantier est incompressible. »

Résultat, lorsqu’un atelier d’élevage cesse son activité, le bâtiment reste souvent en friche. Dans le grand ouest de la France, des centaines de poulaillers et de porcheries sont dans cette situation. « La loi visant à atteindre le zéro artificialisation nette des sols en 2050 pourrait être une opportunité de négocier des démantèlements de bâtiments avec les municipalités, poursuit le responsable du comité régional en charge des bâtiments au GIE Élevages de Bretagne. La surface d’emprise d’une friche amiantée serait alors utilisée ailleurs dans la commune, pour d’autres projets. » Pour François Kerscaven, aviculteur et membre du bureau de la chambre d’agriculture du Finistère, « cela devra d’abord servir à la modernisation ou à l’agrandissement d’ateliers d’élevage ».

Réduire la facture

Concernant les édifices voués à rester en production, l’enjeu est de réduire la facture du désamiantage. Pour ce faire, l’association Elinnove envisage la création d’une Cuma spécialisée. Le projet semble bien engagé. En parallèle, certains conseils régionaux ont décidé de donner un coup de pouce. Dans le cadre du plan France Relance, la Région Auvergne-Rhône-Alpes a lancé en 2022 un appel à projets pour expérimenter un dispositif d’aide au désamiantage des toitures en contrepartie de la pose de panneaux solaires.

Les bâtiments agricoles faisaient partie de la cible. L’aide visait à financer 50 % des travaux de désamiantage, avec un plafond de 40 €/m². Au moins 35 % de la surface désamiantée devait ensuite être couverte en panneaux photovoltaïques. « Au total, 36 exploitations agricoles ont été financées pour un montant de subvention de 1,8 million d’euros, et un total de surfaces à solariser de 45 000 m², rapporte Frédéric Poignard, du conseil régional de l'Auvergne-Rhône-Alpes. L’appel à projets ayant rencontré un fort succès, il a été bouclé très rapidement. »

En 2023, l’opération a été reconduite dans le cadre du « pack énergie et solarisation en Auvergne-Rhône-Alpes ». Sur les 42 projets retenus figurent 23 bâtiments agricoles sur lesquels 3,4 ha de panneaux photovoltaïques ont été installés, pour un montant d’aide de 1,039 million d’euros. « L’objectif en 2024 est de continuer à accompagner les agriculteurs et les entreprises pour soutenir un plus grand nombre de projets avec un budget de 2 millions d’euros », assure Frédéric Poignard.

« Les agriculteurs ne doivent pas assumer seuls »

D’après Charlotte Quenard, chargée de mission en environnement à la chambre d’agriculture de la Bretagne, « le couplage désamiantage-solarisation des bâtiments agricoles n’a pour l’heure jamais été concrétisé par le conseil régional de la Bretagne. C’est pourtant l’une des actions prévues dans la « feuille de route bretonne de l’énergie solaire photovoltaïque » élaborée en 2022 ».

Sur le terrain, les attentes de solutions pour faciliter le désamiantage sont fortes. « Les bâtiments agricoles construits avant 1997 ont respecté les réglementations française et européenne alors en vigueur, appuie François Kerscaven. Ce n’est pas aux agriculteurs d’assumer seuls le fait que les règles ont changé. »

(1) Elle regroupe constructeurs de bâtiments, installateurs, équipementiers, groupements de producteurs et organismes de recherche et de formation.

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