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La souffrance de ceux qui restent La souffrance de ceux qui restent

Pour affronter leur douleur, les familles endeuillées ont besoin d’un soutien moral et matériel.

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Le deuil après le suicide d’un parent, enfant, conjoint ou ami est un deuil à part.

« J’ai perdu ma maman quand j’avais 11 ans, se remémore Catherine Laillé, 59 ans, éleveuse en Loire-Atlantique. Elle ne voulait pas devenir agricultrice. Elle rêvait d’être couturière. Elle était très douée. Elle était malheureuse, car c’était l’époque de la modernisation des fermes à tout va. Rien n’allait pour la femme, les enfants et la maison. Ma mère en souffrait, je la voyais se cacher, pleurer. »

Odette s’est noyée une nuit de 1972, à 37 ans. Cinq ans plus tôt, alors qu’elle était enceinte de son dernier enfant, sa propre mère s’était suicidée.

« On voulait s’en sortir »

Après sa disparition, le mot suicide n’est pas prononcé. « Je disais qu’elle s’était noyée, jamais suicidée. J’ai commencé à l’exprimer à l’âge de 20 ans. »

Catherine Laillé se souvient des voisins et de la famille venus aider son père sans relâche pendant six mois. « Papa a ensuite relevé la tête. Nous ne nous sommes jamais sentis tout seuls. La solidarité existe encore aujourd’hui. Mais pas partout. Il y a aussi des “rapaces”, qui attendent pour récupérer les terres. » L’agricultrice a fait bloc avec son frère et sa sœur. « On ne voulait surtout pas que les gens aient pitié de nous. On voulait s’en sortir. C’était très douloureux de l’avoir perdue, de voir les larmes de mon père. Mais nous ne l’avons jamais jugée. »

Adultes, Catherine et sa sœur se promettent de « ne pas faire ça » à leurs enfants. « J’en ai parlé très tôt à mes trois filles, avec des mots adaptés à leur âge. On allait au cimetière porter des fleurs. Je leur expliquais que maman était mon ange gardien, qu’elle veillait sur moi. C’est ce que je m’étais mis dans la tête et ça m’a aidé. »

Les drames s’enchaînent et la famille connaît six suicides. Sans s’apitoyer sur son sort, l’éleveuse puise sa force auprès de ses filles et dans son engagement à la Coordination rurale. « Le syndicat, c’est ma bouffée d’oxygène. Défendre mon métier, les femmes, s’attaquer aux racines du mal, c’est salvateur. »

« Aller aider »

Le suicide est un séisme pour l’entourage. L’onde de choc se propage bien au-delà du premier cercle, notamment aux collègues de travail. « Il y a vingt ans, un proche voisin s’est suicidé, raconte Jean-Jacques Lahaye, élu FDSEA et vice-président de l’association Agrisolidarité de Saône-et-Loire. Ça fait vingt ans que je me demande pourquoi il a fait ça. Je me dis qu’il y a quelque chose qu’on n’a pas vu. On doit être vigilants, attentionnés, mais sans juger. » S’il conçoit d’aller « spontanément faire le boulot » chez un collègue disparu, Jean-Jacques Lahaye craint de blesser la famille par des paroles maladroites : « On n’est pas des psy. Il faut faire très attention. »

L’entourage familial et amical peut apporter une part du soutien nécessaire. Mais il peut être utile de consulter son docteur, un thérapeute - psychiatre ou psychologue - ou une association. Marie Mercier, médecin et sénatrice LR de Saône-et-Loire, rappelle que les généralistes sont formés à l’écoute. « Cela n’empêche pas de s’intéresser avec bienveillance à ceux qui restent. Leur demander : “qu’est-ce que je peux faire pour vous ?” Et les engager à aller voir leur médecin traitant qui les orientera, si nécessaire, vers des spécialistes. »

Un deuil traumatique

« L’écoute est très importante », confirme Jérémy Moulin Zbierski, psychiatre à Dracy-le-Fort (Saône-et-Loire). La découverte du corps peut entraîner l’apparition d’un syndrome de stress post-traumatique. « Il se caractérise par des images de la scène revenant en boucle et un état de stress. Il doit être pris en charge. » Le psychiatre rappelle les quatre étapes du deuil : la sidération, période où il est impossible de réaliser la mort du proche ; un stade de colère, de souffrance intense et de remise en question ; puis une phase de vécu dépressif, avant d’aller vers l’acceptation. Le processus peut prendre des années.

Une culpabilité décuplée

La mort par suicide induit chez les survivants des sentiments de culpabilité d’une intensité décuplée. Ils se demandent ce qui a provoqué le passage à l’acte, cherchent une explication. Cette quête du « pourquoi ? » favorise l’émergence de la honte, de l’autopunition, d’une baisse de l’estime de soi : « Je n’ai pas fait ce qu’il fallait, je n’ai rien vu venir. » « Mon amour n’a servi à rien. » « C’est long et difficile, mais la souffrance peut être surmontée, promet Jérémy Moulin Zbierski. Il ne faut pas réduire la personne à son acte suicidaire. C’est important qu’elle reste présente dans les mémoires. » Aurore Cœuru

À lire : Après le suicide d’un proche – Vivre le deuil et se reconstruire, de Christophe Fauré, psychiatre.

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