Login

Quand un sol vivant se transforme en réservoir d’eau

Le ruissellement lessive les terres. Au niveau mondial, l’érosion est estimée à une moyenne d’environ 30 t/ha/an, soit près de 1 cm de terre par an. Il faut 200 ans pour créer 1 cm de sol.

Face aux épisodes fortement pluvieux ou aux sécheresses, le levier agronomique et l’approche paysagère permettent de stocker davantage d’eau dans les sols.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Une forte pluie s’abat sur une parcelle. D’un côté, l’eau ruisselle à toute vitesse, créant des flaques et emportant de la terre. De l’autre côté, l’eau reste en surface, sur le mulch, et s’introduit peu à peu dans le sol. Dans le premier cas, 50 mm d’eau par heure s’infiltrent, dans le second, plus de 160 mm/h, soit trois fois plus. C’est le résultat d’essais menés par l’Inrae dans le Gers. La différence entre les deux essais ? Le premier suit un itinéraire de travail du sol classique tandis que l’autre est en agriculture de conservation des sols depuis vingt ans.

L’activité biologique structure le sol

Pluies diluviennes ou sécheresses sévères, face à ces grands écarts, où stocker l’eau quand elle est présente ? « Dans le sol ! », répondent les agronomes. Travailler la porosité verticale des sols et l’infiltration de l’eau est devenu essentiel. « Ce que prouve l’essai Inrae, c’est que l’activité mécanique n’est pas capable de structurer le sol autant que l’activité biologique », souligne Baptiste Maître, agronome indépendant.

De nombreux essais ont montré les effets néfastes d’un labour régulier, et plus largement du travail du sol, sur l’activité biologique. Néanmoins, l’agronome ne souhaite pas être dogmatique. « Il ne faut pas s’interdire le passage d’une dent de fissuration. Le principal est de s’assurer de la verticalité de la structure du sol, regarder s’il n’y a pas de point de blocage au niveau des racines. »

En céréales, un affinement excessif du lit de semences, le roulage des semis et les gros engins accroissent fortement les risques. Pascale Métais, ingénieure en R&D agronomie à Arvalis, a mesuré en 2023 les effets du tassement. « Dans des limons argileux profonds, une hausse de 0,5 % de la matière organique sur les trente premiers centimètres du sol améliore la réserve utile de 4 mm. Mais une compaction anormale dans l’horizon travaillé la dégrade de 13 mm. »

Une couverture végétale permanente

La présence des végétaux permet de maintenir l’évapotranspiration, responsable de 10 à 30 % des pluies en France. À l’échelle de l’exploitation, cette matière organique, laissée au sol, va créer un mulch qui aura un effet « anti-splatch » des gouttes de pluie sur le sol. Puis le carbone va stimuler l’activité organique en fonction de la texture du sol. L’incorporation de matière organique a bien plus d’effet dans un sol initialement sableux que dans un sol déjà bien pourvu en argile ou limons, selon l’Inrae.

Les couverts jouent un rôle essentiel dans cet apport de carbone. Baptiste Maître recommande de les stimuler avec des macérations et des acides aminés pour favoriser leur biomasse. En parallèle de la matière organique, les couverts apportent une diversité des systèmes racinaires. Ceux des crucifères vont jouer le rôle de pivot, alors que ceux des graminées ont tendance à s’étaler à la surface. « Pour les couverts, la densité racinaire peut être proche de 250 racines par mètre carré », précise Baptiste Maître.

Cette diversité, avec l’ajout de légumineuses, a également d’autres vertus, comme celle de favoriser les mycorhizes. François Hirissou, agronome spécialiste des sols vivants, explique l’importance de ces champignons du sol. « Leurs capacités à extraire l’eau sont cent à deux cents fois plus élevées que celles des racines. Avec un couvert de légumineuses associé à des noyers et du maïs, on obtient deux fois plus de mycorhizes sur les racines qu’avec un couvert de graminées. »

Couverts, prairie, plantes compagnes, semis sous couvert (trèfle sous blé ou Green Carbon Fix), haie, agroforesterie avec des arbres fruitiers… Si cette couverture diversifiée est de mise, elle n’est pas toujours simple à mettre en œuvre. « Il ne faut pas vouloir valoriser chaque culture. Certaines plantes sont présentes uniquement afin de nourrir le sol. On connaît le coût de la semence, mais il est difficile de mesurer la résilience du système », ajoute Baptiste Maître.

Pour augmenter l'efficacité hydraulique des haies, optez pour des variétés qui drageonnent (noisetier, cornouiller, prunellier...), mélangées à des arbres fruitiers pour développer la symbiose entre les mycorhizes. (©  Jean-Pierre Amet)

Façonner le paysage hydraulique

En parallèle des leviers agronomiques, l’approche paysagère, avec la création de petits aménagements sur les parcelles, aide à gérer les flux d’eau. En fonction de la pluviométrie, de la pédologie, du relief et des moyens constructifs, une palette variée d’aménagements est possible, qui pourront être également des infrastructures agroécologiques (IAE).

« Nous privilégions les ouvrages simples à mettre en œuvre, en cohérence avec la nature, comme les haies sur talus ou non, les zones enherbées, les noues (fossés infiltrants), ou les revers d’eau dans les chemins… », indique Thibaut Toussaint, conseiller en approche paysagère pour la préservation de la ressource en eau et l’agriculture (Apprea).

Dans la Drôme, le Gaec de Montlahuc s’est lancé dans le « Keyline design », méthode d’aménagement qui prend en compte les spécificités topographiques. Les associés ont réalisé à la charrue des petits canaux qui suivent les courbes de niveau, des baissières, lesquelles favorisent la répartition de l’eau sur toute la parcelle. Sur les talus, ils ont planté des arbres. L’eau est ainsi piégée dans les canaux où elle a le temps de s’infiltrer et le vent, qui assèche le sol, se brise contre la haie.

Dans les Deux-Sèvres, Antoine Pasquier, éleveur bovin bio, a recréé une zone humide (quatre mares et une haie bocagère) le long de l’Ouin. « Ces aménagements sont efficaces à l’échelle de l’exploitation, mais encore davantage à l’échelle du bassin versant », ajoute Thibaut Toussaint. En 2025, la communauté de communes Porte DrômArdèche se lancera dans ce type d’aménagement avec vingt-trois fermes. L’ensemble du cycle de l’eau pourra ainsi être restauré pour davantage de résilience face aux dérèglements climatiques.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement