Santé animale Vivre avec les épizooties
Des vagues successives de maladies animales frappent régulièrement les élevages, en France comme ailleurs.
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Le dernier cas de grippe aviaire a été détecté le 30 juin dans une basse-cour du département du Nord. Ce cas ne suscite pas d’inquiétude majeure, même s’il a entraîné l’abattage des 230 volailles de l’élevage et la mise en place d’un périmètre réglementé autour du foyer. Mais il repousse le recouvrement du statut « indemne » pour la France, donc la réouverture de tous ses marchés à l’export.
Les maladies animales sont présentes de longue date en Europe, et plus ou moins domptées. Si certaines, comme la rage ou l’ESB, sont sous contrôle, d’autres prennent les filières de court. Depuis quelque temps, des épizooties surgissent dans l’Hexagone. Certaines sont nouvelles, à l’instar de la maladie de Schmallenberg, dont on ne sait pas bien d’où elle vient. D’autres étaient plus discrètes, comme la grippe aviaire, ou endémiques de régions chaudes.
Extension des aires
Néanmoins, le sentiment d’enchaînement plus rapide des crises sanitaires ne correspond pas toujours à la réalité. « Il existe une vraie problématique nouvelle avec les maladies vectorielles (transmises par les moucherons ou autres insectes piqueurs), due à une extension des aires de vie de ces vecteurs », précise Monique Eloit, directrice de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). Le réchauffement climatique contribue à redistribuer les cartes. Ainsi, la fièvre catarrhale ovine (FCO) s’est propagée en 2007 depuis les territoires de nos voisins du nord (Pays-Bas, Belgique, Allemagne), alors qu’elle se cantonnait jusque-là aux régions chaudes - bordure sud de l’Europe, pourtour méditerranéen et Afrique. En revanche, l’ampleur des épizooties ne s’accroît pas forcément. Ainsi, « l’influenza aviaire est un problème récurrent depuis longtemps en Asie et en Asie du Sud-Est, avec des incursions plus ou moins fréquentes en Europe et en Afrique, souligne Monique Eloit. Mais la vigilance et les outils de diagnostic se sont améliorés » et la maladie a gagné en visibilité.
Les conditions d’élevage intensif favorisent également un « bouillon de culture » propice à la multiplication virale. Des populations animales génétiquement très proches sont élevées « à de très fortes densités qui augmentent la fréquence de contacts entre individus et favorisent la sélection et l’émergence des souches les plus pathogènes parmi les virus [aviaires] présents », soulignent deux chercheurs du Cirad, Nicolas Gaidet et Alexandre Caron, qui appellent à « s’interroger sur les pratiques d’élevage intensif ».
Les évolutions dans la dissémination des épizooties conduisent à adapter les stratégies. « Il y a davantage d’animaux d’élevage, ce qui complexifie la surveillance. Il est donc fondamental de maintenir un niveau élevé de vigilance en permanence. Mais la dispersion via les volailles vivantes et les oiseaux migrateurs, ce n’est pas une nouveauté », relativise Monique Eloit.
>Stratégie de lutte. Elle est plus ou moins dictée par les pouvoirs publics. Selon le niveau de danger estimé d’une maladie, elle sera volontaire ou rendue obligatoire par la réglementation. Lors de l’épisode de FCO de 2007-2008, la vaccination a été obligatoire durant deux ans, la production de vaccins ayant peine à suivre. « A l’époque, une vraie course contre la montre s’est engagée entre l’arrivée des doses et la propagation du virus, explique Françoise Dion, vétérinaire à Races de France. Certains éleveurs ont alors associé les symptômes de la maladie à des effets secondaires du vaccin. » Ce souvenir, additionné au coût de l’opération et à la faible pathogénicité apparente du virus, a conduit une partie de la profession à s’opposer à une nouvelle campagne de vaccination obligatoire, lors de la réémergence de la FCO en 2015. Certains militent même pour la déréglementation du sérotype 8 au niveau européen. « Pourtant, la baisse des performances techniques était réelle et rien ne permet de prédire quelle sera la situation cet automne », alerte Françoise Dion.
>Les outils de lutte dépendent des maladies et des connaissances acquises : abattages, vaccination, restriction de mouvements, confinement… S’il est possible de vacciner contre la FCO, ce n’est pas le cas pour d’autres maladies, comme la peste porcine africaine (PPA), la grippe aviaire… Face à la PPA, qui progresse inexorablement depuis l’Europe de l’Est (lire p. 23), les éleveurs français sont démunis. Il n’existe pas de vaccin, et les mouvements de suidés d’un bout à l’autre du Vieux Continent sont légion, sans contrôle sanitaire spécifique, qu’il s’agisse de porcelets du Danemark vers la Pologne, de porcs vers l’Allemagne, voire de sangliers importés de Pologne pour les chasses privées françaises.
Les échanges souffrent
Outre l’impact sur la santé animale et humaine, les répercussions sur les mouvements d’animaux, et par là sur le commerce international, pèsent lourd. « La gestion des épizooties avec les pays importateurs cache parfois des considérations politiques, rappelle Françoise Dion. Derrière les obligations imposées par les pays importateurs, il est difficile de faire la part des choses entre précaution sanitaire et enjeux géopolitiques. » Qui peuvent se traduire par des mesures de rétorsion commerciale.
La question de l’éradication d’une épizootie, tant qu’elle ne présente pas de danger pour l’homme, est donc une affaire de calcul économique. « En mars 2017, les experts de l’Efsa ont estimé que l’éradication de la FCO nécessiterait une vaccination pendant au moins cinq années consécutives de 95 % des bovins et ovins, associée à une surveillance épidémiologique renforcée, explique Isabelle Tourette, vétérinaire à GDS France. Étant donné que la réémergence du BVT8 n’a provoqué que peu de dégâts dans les élevages, il semble difficile d’envisager une opération aussi coûteuse. » Il faut alors apprendre à vivre avec.
Elsa Casalegno et Valérie ScarlakensPour accéder à l'ensembles nos offres :