« Guerre de l’eau » autour des réserves
En Poitou-Charentes, les projets collectifs font l’objet d’une opposition farouche, parfois même violente. À Sivens (Tarn), après huit ans de discussions, la recherche d’un compromis pour une retenue d’eau dans la vallée du Tescou entre dans le dur.
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Face à des sécheresses de plus en plus fréquentes, en Poitou-Charentes, des irrigants ont aménagé des réserves individuelles. Puis, dès les années 2000, d’autres s’organisent entre voisins pour créer des réserves communes. Enfin, dix ans plus tard, arrivent les premiers projets sur des territoires plus vastes. « Au départ, l’approche était quantitative, se souvient Thierry Boudaud, président de Coop de l’eau. Puis nous sommes partis sur l’idée d’une gestion collective. »
Le but premier est de sécuriser la ressource en eau. Le projet porte sur seize réserves et une longue réflexion est engagée, jalonnée de réunions publiques au cours desquelles on parle hydraulique, partage de l’eau, agriculture du futur… Elles aboutissent à un protocole d’accord signé en décembre 2018 qui s’appuie sur quatre fondamentaux : la nécessaire sobriété face au changement climatique, la substitution des prélèvements estivaux par du stockage de l’eau excédentaire en hiver, le maintien d’une agriculture familiale fondée sur la polyculture et l’élevage, et une gouvernance assurée par un organisme unique de gestion collective qui attribue les volumes et définit les priorités.
Recours auprès des tribunaux
« Le protocole prévoit un remplissage défini par réserve avec un suivi de la ressource, souligne Thierry Boudaud. Des seuils de remplissage et le calibrage de chaque réserve sont validés. » Le protocole prévoit aussi un engagement des agriculteurs vers l’agroécologie, avec des rotations longues, une réduction des intrants, une diversité culturale, la plantation de haies… Il donne aussi la priorité à l’installation des jeunes, à l’élevage et aux producteurs bio.
À la fin de 2018, le protocole est signé sous l’égide de la préfecture des Deux-Sèvres par les représentants des exploitants, à l’exception de la Confédération paysanne, et aussi par plusieurs associations environnementales. Mais patatras ! Quelques semaines après cette signature, un recours est formé auprès du tribunal administratif. S’en suivront autant que de nouveaux projets.
Bassines non merci commence à se faire entendre en 2019. Les premières manifestations sont organisées, avec le soutien du collectif Les Soulèvements de la Terre, connu pour ses positions radicales. En 2021, un premier rassemblement réunit dans les Deux-Sèvres plusieurs milliers de personnes du centre de Niort à la première réserve, celle de Mauzé-sur-le-Mignon, dont le chantier vient de débuter. Parmi les protestataires, certains gardent leurs visages masqués, moins intéressés par les réserves de substitution que par l’affrontement avec les forces de l’ordre.
Bataille de Sainte-Soline
Dans les semaines qui suivent, des réserves existantes sont détruites à coups de cutter. Plusieurs autres rassemblements d’opposants sont organisés, souvent violents, dont celui de Sainte- Soline, du 25 mars 2023, qui laisse un souvenir traumatisant chez les agriculteurs environnants.
Les procédures s’enchaînent devant le tribunal administratif et des juges qui ne maîtrisent pas toujours le sujet. « Nous sommes face à des associations qui refusent de se mettre autour de la table et qui préfèrent aller en justice, regrette un irrigant. Aucune discussion n’est possible. Quant aux juges, ils font leur cuisine… »
Les opposants les plus radicaux passent eux aussi devant les tribunaux, à Niort ou à La Rochelle (Charente-Maritime), épaulés par des avocats et des scientifiques militants, face à des juges qui ne connaissent pas grand-chose à l’irrigation, au débit des rivières, à leur étiage. À la fin de 2023, et pour la première fois, le tribunal de Niort condamne des opposants et reconnaît les agriculteurs comme victimes. Un soulagement pour ces derniers.
Aujourd’hui, quatre réserves sont aménagées dont trois en cours de remplissage. Un cinquième chantier démarrera en 2025. « Sur le plan hydraulique, les réserves fonctionnent, se réjouit Thierry Boudaud. Sur le plan agricole, elles permettent de maintenir les exploitations. En sécurisant l’eau, on a plus d’installations, l’élevage est maintenu, il y a plus de bio et plus de productions contractualisées à forte valeur ajoutée. »
Les irrigants du Poitou-Charentes ont cependant un regret : le manque de soutien politique. « Aujourd’hui, les gouvernants affichent leur volonté de stocker l’eau alors qu’alternent des épisodes de pluies intenses et des sécheresses, reconnaît Luc Servant, président de la chambre régionale d’agriculture de la Nouvelle-Aquitaine. Mais sur le terrain, c’est difficile d’avancer, ça prend énormément de temps. Parce que c’est un sujet sensible, il y a une accumulation de textes et d’exigences, avec des couches qui s’ajoutent les unes aux autres, avec toujours plus de précautions et d’engagements. » Le cadre réglementaire est peu clair, ce qui facilite les recours systématiques des opposants.
À Sivens, la tempête s’annonce
À Sivens, dans le Tarn, la mobilisation a viré aussi à l’affrontement, jusqu’au drame. Il y a dix ans, Rémi Fraisse, militant écologiste, était tué par l’explosion d’une grenade. Le projet initial, un lac de barrage de 1,5 million de mètres cubes, est abandonné à la fin de 2015. Aujourd’hui, l’avancée des discussions ravive les tensions. « Ça va mal se passer », estime ainsi Laurent Viguier, en charge de ce dossier pour la FDSEA. « On va au clash ! », tranche de son côté Christian Pince, représentant de l’association environnementale Lisle Environnement.
À la reprise des échanges en 2017, la préfecture a réuni tous les acteurs pour élaborer un projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) du Tescou. À coups d’études (pour plusieurs centaines de milliers d’euros) et de dizaines de réunions, le but était de parvenir à un consensus. En 2023, une régie voit le jour pour porter le projet de territoire au sein du syndicat mixte Tescou-Tescounet. Des fiches actions sont mises en place, « notamment pour les agriculteurs concernant des plantations de haies ou l’agroécologie », précise Laurent Viguier qui ajoute : « Le sujet, c’est l’eau. Donc ces actions se déploieront quand on aura du concret sur l’eau, pas avant. »
La commission de l'eau de l’instance de coconstruction du PTGE aurait préparé, à la fin de novembre, le cahier des charges relatif à la création d’une retenue en amont du projet initial. Mais les acteurs ne sont pas d’accord sur les besoins en eau. Les écologistes, à travers Christian Pince, assurent « ne pas être contre des curages. Et retenir, pour les nouvelles retenues, 290 000 m³, y compris les besoins du milieu. » De quoi faire sortir de ses gonds Laurent Viguier qui définit le besoin à 473 000 m³, sans prendre en compte les besoins du milieu. La prochaine réunion, au début de 2025, devrait être tendue.
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