« Se tourner vers le client final est majeur pour l’avenir »
Anne-Cécile Suzanne témoigne, dans Les Sillons que l’on trace (édition Fayard), de son parcours qui l’a amené à reprendre l’élevage de son père dans l’Orne à côté d’un parcours de consultante dans des cabinets internationaux.
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On peut me voir comme atypique mais mon profil est de plus en plus courant. Dès le début, je ne voulais pas trancher : j’étais agricultrice et étudiante et je continue ainsi. J’entendais souvent que ce n’était pas possible. C’est faux, à condition de s’organiser et de s’entourer. Des profils comme le mien vont se multiplier, avec le renouvellement des générations, même si j’ai appris à ne pas tirer des généralités de ma situation. Autorisons-nous à être multiple. On voit se multiplier les sens qu’on met derrière l’affirmation « je suis agriculteur ». On en vient à dépasser le modèle unique de l’agriculture. Ne serait-ce que dans les statuts, les profils se multiplient : salariés, à temps partiel, pas forcément sur le tracteur tout le temps… Est agriculteur celui qui veut l’être. Nous devons miser sur cette diversité des modèles et sur l’innovation.
Il m’a fallu tout de même dix ans pour redresser la ferme. Ce qui souligne que l’agriculture se raisonne sur le temps long. C’est l’enseignement que je retiens : faire preuve de patience et croire dans la direction qu’on a choisi. Par exemple, j’ai décidé d’engraisser tous mes animaux sur la ferme. Ce n’est pas ce qu’on me conseillait. Certaines années, ce n’est pas rentable. Mais, à long terme, c’est une orientation gagnante. Bien sûr, ma formation m’a enseigné comment présenter des budgets prévisionnels mais je reste encore surprise des défauts de considération des partenaires financiers. J’ai dû me battre contre les préjugés. Il ne faut pas se laisser faire, même s’il faut aussi savoir s’arrêter à temps.
Je suis hyperoptimiste : on n’a jamais autant parlé positivement de l’agriculture. C’est impressionnant de voir comme le monde agricole s’exprime de mieux en mieux dans les médias, avec des mots simples pour se faire comprendre du grand public qui est éloigné depuis longtemps du monde rural. Pour le séduire, il ne faut pas oublier de lui montrer ce qui est beau dans le métier, mais il ne faut pas non plus lui cacher ce qui ne va pas. Par ailleurs, le monde agricole doit se tourner vers les clients finaux en dialoguant avec la distribution alimentaire. C’est un levier majeur pour l’avenir.
Je reste humble sur cette question parce que ma conviction évolue avec le temps. A minima, les femmes ont autant à apporter que les hommes. Il faut donc que leur parole soit écoutée de façon équivalente. En corollaire, les femmes doivent prendre la parole autant que les hommes et ne pas intégrer des attitudes anciennes, parfois juste des réflexions quotidiennes banales, qui les réduisent à des rôles. J’ai vécu la maternité et je peux vous affirmer qu’il y a encore fort à faire pour qu’être femme et chef d’exploitation soit aisément conciliable ! Enfin, je pousse les femmes à avoir accès aux instances de pouvoir dans les coopératives et les interprofessions.
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