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Tout ce que posséder des chiens de protection implique

Si le patou est reconnu pour son efficacité à protéger les troupeaux contre les attaques des loups, il est à l’origine de conflits multiples. Sa mise en place contraignante demande beaucoup de temps et de rigueur.

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Max Richard n’est pas près d’oublier les heures qu’il a passées à la gendarmerie au milieu des années 2010. À la tête de 2 300 brebis mérinos d’Arles avec Jérôme Pellegrin et son épouse Stéphanie à Montjustin (Alpes-de-Haute-Provence), l’un de leurs chiens de protection avait mordu un promeneur. Celui-ci s’est tout de suite rendu chez le médecin puis à la gendarmerie pour déposer une plainte.

« J’ai dû aller au poste pour m’expliquer »

« J’étais très étonné quand les agents de la brigade sont venus à ma rencontre car je n’avais pas remarqué l’incident, relate-t-il. Pourtant, je n’avais pas quitté le troupeau de la journée. J’ai dû aller au poste pour m’expliquer et j’ai été traité comme un criminel. On a pris mes empreintes et j’ai dû me soumettre à une séance photo de face et de profil. J’ai ensuite été condamné à une mise à l’épreuve pour une période de trois ans. Au moindre problème d’excès de vitesse par exemple, j’étais susceptible de retourner devant le juge et de voir ma peine aggravée. »

Cela ne s’est pas produit, mais vivre avec cette épée de Damoclès n’a pas été facile. Avant cette mésaventure, Max était loin d’imaginer que l’exercice de son métier pouvait le mener à une situation aussi délicate.

Les chiens de protection étaient arrivés sur l’exploitation au début des années 2000. Les loups n’avaient pas encore colonisé le département. Le rôle des premiers bergers des Abruzzes était de repousser les renards, qui causaient des dégâts lors des mises bas, à l’extérieur à l’époque. « Comme nous n’y connaissions rien, nous avions pris contact avec de nombreux experts. » Encore aujourd’hui, le Gaec s’informe sur l’amélioration des techniques pour la mise en place, et il possède seize chiens.

Le directeur de la ferme expérimentale de Carmejane (Alpes-de-Haute- Provence), François Demarquet, désormais en retraite, a aussi fait les frais d’une mésaventure comparable à celle de Max. « Je gardais le troupeau en colline, se souvient Marie Marmuse, à l’époque technicienne à la ferme et aujourd’hui formatrice au CFPPA. Deux quads ont surgi sur une piste, pourtant interdite à la circulation des motos. Un chien, surpris, a mordu l’un des pilotes qui est allé déposer une plainte. »

Une charge financière élevée

Cela a valu au directeur de la ferme une convocation à la gendarmerie (avec photos et prise d’empreintes). « L’affaire a été classée sans suite, mais nous avons dû conduire le chien chez le vétérinaire pour qu’il atteste que l’animal n’était pas dangereux », souligne la formatrice. En dix ans toutefois, aucun incident n’est à déplorer sur le site de la ferme de Carmejane qui accueille de nombreux élèves (200) et candidats aux formations.

Pour Max Richard, comme pour la ferme expérimentale, les chiens de protection sont devenus un pilier de la conduite, même s’ils coûtent très cher. Les deux exploitations ont dû revoir de fond en comble leur système. Au total, la ferme de Carmejane a calculé en 2023 que le reste à charge pour l’ensemble des moyens de protection (clôture, surveillance et chiens) était d’environ 12 000 euros par an. Les huit chiens à eux seuls représentent une dépense de plus de 14 000 euros par an.

Marc Baudrey, avec ses 140 brebis laitières corses à Fresse-sur-Moselle (Vosges), n’a pas l’intention de se séparer de ses six chiens de protection non plus. Pourtant, l’arrivée des molosses n’a pas cessé de lui causer des problèmes, aussi bien avec le maire de la commune qu’avec les voisins ou les touristes. « L’édile a d’abord voulu m’obliger à pâturer certaines parcelles à des périodes bien précises, même si c’était totalement aberrant par rapport à une conduite efficace de la ressource fourragère, explique Marc, qui était à ce moment-là en charge du dossier loup pour la Confédération paysanne. J’ai fini par avoir gain de cause, mais beaucoup d’éleveurs se plient aux exigences des maires de peur de se voir retirer leurs droits de pâturage. »

Depuis, l’éleveur se sent épié sur la commune. On reproche à ses chiens d’aboyer. « On m’attend au tournant, déclare-t-il. On me reproche la moindre branche qui dépasse de ma haie par exemple. »

Du côté de la Savoie, c’est Sohane Lefloch qui a tenu tête à la mairie. Mais elle a eu bien du mal à obtenir une convention de pâturage.

Deux amendes annulées

Aussi, les chiens conservent parfois leur instinct de chasse. Cela a valu à Sébastien Bonnevie, éleveur dans la Drôme transhumant sur une estive de Champagny-en-Vanoise (Savoie), d’être verbalisé. L’un de ses bergers d’Anatolie a tué une marmotte au cours de l’été 2023. « L’agent du parc m’a appelé pour me demander de venir chercher mes chiens, mais je ne pouvais pas laisser le troupeau, relate-t-il. Il a donc à ce moment-là dressé deux procès-verbaux de 135 euros. L’un car mes chiens se trouvait dans le parc de la Vanoise, à l’écart de mon estive, et l’autre pour destruction de marmotte, une espèce protégée dans le parc. Dès le départ, j’ai contesté ces sanctions. »

Pour l’éleveur, si les chiens ont quitté le troupeau, c’est qu’ils ont probablement été entraînés par les loups, car la pression des prédateurs est forte dans ce secteur. Le temps a passé et le montant de l’amende a quadruplé pour atteindre 980 euros. Ce n’est qu’en février 2025 que Sébastien a obtenu gain de cause auprès du tribunal d’Albertville qui a annulé les amendes.

« J’ai toutefois dû prendre un avocat et nous avons perdu beaucoup de temps avec mon épouse pour mener toutes ces procédures, regrette-t-il. Personne ne mesure tout le travail que l’on doit fournir pour mettre en place ces chiens. Il nous faut les gérer toute l’année. Les miens sont gentils avec les randonneurs, je n’ai jamais de soucis, mais ils ont quand même un impact sur la faune sauvage. C’est à la société civile de faire des efforts pour en accepter les conséquences. Aujourd’hui, il est impossible d’aller en alpage sans chiens de protection. » Il existe des flyers décrivant aux promeneurs la bonne conduite à adopter en présence des chiens, mais ces règles sont trop souvent bafouées.

Dans les zones en cours de colonisation par le loup, une partie des éleveurs sont encore réticents aux chiens de protection. « C’est un métier à part entière », avance l’un d’eux. Marjorie Mérens, présidente de l’association de défense des éleveurs des Millesources, sur le plateau de Millevaches, a bien réfléchi à la question. Elle possède aujourd’hui quatre jeunes chiens et elle estime qu’il lui en faudra au minimum huit pour protéger ses différents lots de brebis et de vaches allaitantes. « J’aime les chiens et je pense maîtriser leur mise en place, mais c’est très contraignant et cela demande beaucoup de rigueur, rappelle-t-elle. Il n’existe aucun autre métier où les employés sont traités de la sorte. C’est comme si on disait : “Maintenant, si tu veux garder ton emploi, tu vas devoir apprendre le finlandais !” »

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