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Face au frelon asiatique, les moyens de lutte sont encore trop limités

Un nid de frelons asiatiques consomme environ 11 kg d’insectes par an.

Véritable fléau pour les apiculteurs, le frelon asiatique rôde près des ruchers en ce mois de novembre. Quels réflexes faut-il adopter face à cette menace ? Où en sont les initiatives nationales pour fixer un cadre commun à la lutte contre ce prédateur ? Les solutions peinent à s’installer.

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Vin blanc, bière et grenadine. Ceci n’est pas la recette d’un cocktail douteux de soirées étudiantes, mais bien l’un des appâts « faits maison » les plus recommandés sur internet pour attirer le frelon asiatique. En ce mois de novembre, la prédation de l’insecte à pattes jaunes sur les ruchers est à son pic annuel. « Avec la douceur des dernières semaines, et ce depuis plusieurs années à l’automne, le frelon persiste jusque tard dans la saison », constate Philippe Charpentier, apiculteur à Pont-Péan et président du Syndicat apicole de l’Ille-et-Vilaine.

Le retraité observe également que les frelons sont de plus en plus petits depuis deux ans, ce qui leur permet « de s’infiltrer dans les ruches et de faire un carnage, malgré les protections installées à leur entrée ». L’insecte arrivé en France en 2002 s’adapte peu à peu aux moyens mis en place contre sa prolifération, au grand désarroi des apiculteurs, qui perdent parfois jusqu’à la moitié de leurs abeilles dans les attaques.

Une enquête nationale sur les dégâts du frelon asiatique

« Un nid de frelons asiatiques consomme environ 11 kg d’insectes par an. L’hyménoptère nuit donc non seulement aux abeilles, mais aussi aux autres pollinisateurs indispensables à l’agriculture de manière générale », détaille Patrick Granziera, secrétaire général de l’Union nationale des apiculteurs de France (Unaf).

À ce jour, aucune estimation sur le nombre de nids de frelons ou sur les pertes d’abeilles conséquentes n’existe à l’échelle de l’Hexagone, mais l’Unaf s’apprête à publier pour la première fois les résultats d’une enquête nationale en décembre 2025. D’abord arrivé dans le Sud-Ouest, puis en région Paca, en Bretagne, en Normandie, dans les Hauts-de-France et le Grand Est, le redoutable prédateur s’est installé durablement sur le territoire. La France est d’ailleurs le premier foyer de frelon asiatique sur le continent, quand d’autres États européens, comme la Slovénie et la Roumanie, en ont malheureusement fait la connaissance plus récemment.

« La destruction des nids doit s’accompagner de pièges »

Plusieurs techniques existent pour lutter contre l’hyménoptère, en premier lieu desquelles la destruction des nids. Mais cette approche curative « n’a aucun effet sur la prolifération des frelons à moyen terme », souligne Denis Jaffré, retraité apiculteur dans le Finistère, qui intervient régulièrement dans son département pour déloger les nuisibles. Selon lui, le ciblage des nids doit s’accompagner de « l’utilisation de pièges tout au long de l’année, dans les exploitations, mais aussi dans les zones périurbaines, là où les frelons trouvent le gîte et le couvert ».

Si l’on piège aussi en automne, le piégeage au printemps, de mars à mai, est le plus important, car « c’est à ce moment qu’on peut espérer juguler le nombre de nids qui s’implanteront par la suite et arriveront à maturité à l’été », explique Alexandrine Brion, apicultrice dans les Alpes-Maritimes, élue à la section apicole de la FNSEA et à ce titre membre du conseil d’administration de l’interprofession apicole, InterApi. Les « trucs et astuces » relevant du système D fleurissent un peu partout sur la toile, mais ces méthodes ne sont pas adaptées à l’apiculture professionnelle et peu généralisables. Les syndicats recommandent tous de recourir aux pièges « les plus sélectifs » et de les poser à la période la plus stratégique afin de porter le moins de préjudice possible à la biodiversité alentour.

Des dispositifs de piège très divers

Patrick Granziera estime qu’une dizaine de modèles sur le marché répondent vraiment à ces critères à ce jour. En Ille-et-Vilaine, Philippe Charpentier évoque le piège « à deux oreilles », conseillé par le Muséum d’histoire naturelle et distribué aux apiculteurs dans le nord du département dans le cadre d’une expérimentation. Mais ces pièges ont un coût, « de l’ordre de 40 euros l’unité », ce qui pousse le syndicat à vouloir passer des commandes groupées pour réduire les prix.

Une fois le modèle choisi, encore faut-il savoir où placer le piège. Et sur ce point, les avis divergent. L’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation (Istap) préconise de poser les pièges « dans un rayon de 1 km autour du rucher, environ tous les 300 m », indique Alexandrine Brion. Cependant, un tel maillage est « souvent impossible en raison de la typologie de terrain, parfois accidentée, en montagne ou en zone périurbaine », reconnaît-elle. De son côté, l’Unaf ne recommande pas un tel maillage mais préconise plutôt « entre 10 et 15 pièges par exploitation, en priorisant les emplacements stratégiques », pointe Patrick Granziera.

Par exemple, il vaut mieux disposer les pièges « dans le rucher, mais aussi près des anciens nids, et dans des lieux propices à l’hivernage des fondatrices, soit dans des bâtiments anciens, des tas de bois, etc. ». De son côté dans le Finistère, Denis Jaffré a développé son propre piège, deux fois vainqueur du Concours Lépine en 2019 et 2021. Fort de son expérience, il estime que les recommandations les plus courantes ne sont pas pertinentes et qu’un seul piège suffit, « bien placé, sous le vent dominant du rucher ».

« Harmoniser nos pratiques de lutte »

Avec une telle diversité de points de vue, les plans de piégeage locaux s’avèrent assez variés, et Patrick Granziera estime que le plus important reste de les « nationaliser ». Chez InterApi, ce point fait aussi consensus : « Nous devons harmoniser nos pratiques de lutte afin de gagner en efficacité », insiste Alexandrine Brion. Car à ce stade, aucun programme commun n’est encore lancé. Une loi a été votée en mars 2025 pour « préserver la filière apicole en freinant la prolifération du frelon asiatique », mais « on attend toujours le décret d’application du gouvernement pour que ses dispositions puissent exister concrètement », déplorent à l’unisson l’Unaf et InterApi.

En attendant, un groupe de travail national piloté par GDS France et la Fédération nationale des organisations sanitaires apicoles départementales (Fnosad) réunit les organisations nationales apicoles. « On planche depuis 2020 sur un plan de lutte harmonisé pour tout le territoire », indique Alexandrine Brion. Le fonds vert destiné à financer l’acquisition de pièges, ou encore les possibles aides à la destruction des nids, sont de leur côté au point mort. « C’est pourtant le nerf de la guerre », peste Patrick Granziera.

Engager les communes

Sans budget national, les aides à la lutte contre le frelon asiatique sont très inégales selon les territoires. « Les communes ne financent pas toujours la destruction des nids, et encore moins la pose de pièges », mais selon tous les représentants apicoles interrogés, « les maires sont des partenaires ». « Il faut rendre grâce à beaucoup d’entre eux très engagés sur la question », conclut le secrétaire général de l’Unaf.

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