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« On sait mal gérer les actions collectives pour réduire les pesticides »

Les plans Ecophyto sont trop centrés sur les agriculteurs et leurs conseillers : c'est l'une des conclusions de la thèse de Viviane Trèves.

Ne pas concentrer l’action sur les agriculteurs, travailler avec plus de finesse, former les agents publics… Selon Viviane Trèves, la gestion de la transition agroécologique par l’État doit être révisée. Elle a creusé la question dans une thèse.

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Dans le cadre de sa thèse à AgroParisTech, Viviane Trèves a étudié la gestion des politiques publiques de réduction de l’usage des produits phytosanitaires, les plans Ecophyto, de 2007 à 2023. L’objectif : réfléchir à comment l’État pourrait mieux gérer des transitions systémiques. Son travail a été financé par le ministère de l’Agriculture.

Quels sont, selon vous, les freins à la transition agroécologique ?

« Les sciences sociales disent que la transition est notamment bloquée par ce que l’on appelle un “verrouillage des systèmes sociotechniques”. Les agriculteurs ne peuvent pas changer seuls leurs pratiques. De nombreux leviers nécessitent l’engagement d’autres acteurs à de nombreux autres égards. Par exemple, les cultures de diversification requièrent des filières de valorisation. Leur mise en place suppose des investissements par les organismes stockeurs, des débouchés. Elles ont aussi besoin de recherches dédiées. Or, au fil des années, la recherche s’est concentrée sur quelques grandes cultures. Cela renforce leur déploiement au détriment des plus petites, créant alors un cercle vicieux.

Ainsi, lever le verrouillage nécessite d’agir de manière systémique, en coordonnant les acteurs. Pour organiser cette action collective, de nombreux auteurs estiment qu’il faut une intervention de la puissance publique, en tant que tiers extérieur — intervention qui n’est aujourd’hui pas adaptée aux besoins. »

Viviane Trèves a réalisé une thèse qui décortique la gestion de la transition agroécologique par l’Etat. Elle a notamment étudié l'interdiction des néonicotinoïdes et le PNRI, les plans Ecophyto régionaux des Draaf et les plans de filière des EGA. (©  Viviane Trèves)

Que manque-t-il, selon vous ?

« J’ai étudié le cas de l’État au sens administratif : les ministères et ses services déconcentrés. Je n’ai pas regardé d’autres acteurs publics importants, comme les collectivités. Ce que montre l’analyse, c’est que l’État sait mal gérer les actions collectives. L’analyse des plans Ecophyto permet d’identifier plusieurs problèmes.

Tout d’abord, les plans sont principalement centrés sur les agriculteurs et leurs conseillers. Et cette situation trouve notamment ses racines dans les processus-mêmes d’élaboration des plans : les acteurs impliqués étaient principalement des acteurs de la production agricole. Il faudrait davantage impliquer les acteurs de l’agroalimentaire, les exportateurs, les banques… Il y a aussi un besoin de rentrer dans plus de finesse géographique et de filière. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas de vision globale, car les productions sont interconnectées, mais il est nécessaire de décliner les objectifs de manière à prendre en compte les spécificités des filières et des territoires.

Par ailleurs, l’État ne cherche pas suffisamment à créer du sens autour des politiques publiques de transition. On le voit avec le débat sur l’indicateur de suivi des plans Ecophyto : au bout de plus de quinze ans, les acteurs ne sont même pas d’accord sur ce sujet ! Or, si les acteurs ne sont pas d’accord sur le résultat qu’ils cherchent à atteindre, difficile de construire l’action collective nécessaire aux transitions.

Pour lever ces freins, il y a besoin d’une volonté politique. Mais ça n’est pas tout. Ce que notre analyse montre, c’est qu’il y a aussi un besoin de transformer les organisations publiques (ministères, services déconcentrés). Aujourd’hui, leurs manières de travailler ne sont pas adaptées. Malheureusement, les directions régionales du ministère de l’Agriculture manquent de moyens (humains, financiers, analytiques…). Par ailleurs, gérer des transitions demande des compétences spécifiques (diplomatie, animation de dialogue collectif, etc.) pour lesquels les agents ne sont pas toujours formés. »

Vous avez étudié trois cas concrets : l’interdiction des néonicotinoïdes en betterave à sucre et le PNRI (1), les plans Ecophyto régionaux des Draaf (2) et les plans de filière des EGA (3). Qu’en avez-vous retenu ?

« Nous avons étudié ces cas car ce sont des instruments d’Ecophyto qui nécessitaient, pour atteindre leur objectif, de faire bouger les acteurs en collectif. Notre analyse montre deux choses. Tout d’abord, que ces instruments ont un vrai potentiel : ils permettent réellement aux acteurs de se mettre collectivement en mouvement. Mais on voit aussi que l’État ne les utilise pas à leur plein potentiel.

Si on prend les cas des plans régionaux et de filière, l’analyse montre même que les gouvernements successifs ont utilisé ces outils pour déléguer leur responsabilité aux acteurs des territoires et des filières. Face à la complexité politique de fixer des objectifs de réduction des pesticides, ils ont laissé le soin aux acteurs de le faire eux-mêmes, sans s’impliquer fortement. Sauf qu’en réalité, sans appui politique fort, les personnes en charge de l’élaboration de ces plans — dans les Draaf, les interprofessions — se sont retrouvées démunies.

À l’inverse, pour le PNRI, l’action collective s’est structurée grâce à plusieurs leviers : une interdiction réglementaire, qui forçait les acteurs à agir, des financements pour des projets de recherche, et une implication directe de l’État.

Ces cas nous montrent que pour organiser des transitions, il est nécessaire de combiner les leviers. Soutenir l’action collective ne fonctionnera pas sans vision politique, et sans incitations fortes (financières, réglementaires, etc.). À l’inverse, organiser l’action collective est nécessaire pour éviter que les instruments réglementaires ou financiers ne mènent à des impasses. Ces expériences devraient servir d’apprentissage pour les efforts actuels de territorialisation de la planification écologique. »

(1) Plan national de recherche et innovation. (2) Directions régionales du ministère de l’Agriculture. (3) États-généraux de l’alimentation.

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