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3. Communiquer, ça aide ! 3. Communiquer, ça aide !

Échanger avec ses voisins, partager son expérience, jouer la transparence… Les cartes sont dans vos mains pour renouer le dialogue avec les riverains et éviter les conflits.

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Ce 13 juin 2017 à Bédée, en Ille-et-Vilaine, une dizaine d’élus, maires et adjoints ont répondu à l’invitation de deux groupes d’agriculteurs pour échanger au sujet de la réduction des phytos. Depuis 2010, ils sont engagés dans le programme national Dephy Ecophyto pour tester des pratiques plus respectueuses de l’environnement sur le bassin versant du Meu, classé captage prioritaire. « À l’origine, cette journée était organisée pour un public d’agriculteurs. Nous avons voulu y associer les élus car nous savons qu’ils sont de plus en plus interpellés par leurs administrés », ont expliqué Olivier Forest et Didier Besnard, deux agriculteurs initiateurs du projet. À Iffendic notamment, une page Facebook stigmatise la profession en mettant en ligne des photos chocs d’élagage, de rebouchage de fossé…

Traitements à mini-doses (10 % de celles homologuées), utilisation de bineuse ou de houe rotative, allongement des rotations avec du méteil ou de la luzerne, ou encore mélanges variétaux de céréales pour résister aux maladies… Les producteurs ont expliqué, avec des messages simples, l’évolution de leurs pratiques et les résultats obtenus.

La culture du risque

Toutefois, innover est une gageure ! « En faisant le choix de ne pas traiter, nous prenons des risques par rapport aux maladies, aux insectes… On dort moins bien la nuit. » C’est ce qui a le plus interpellé Armelle Basck, adjointe au maire de Mordelles et vice-présidente du syndicat mixte du bassin versant du Meu. Une station de pompage sur cette commune alimente la métropole rennaise en eau potable. « J’avais connaissance du temps de travail que ces démarches nécessitent, de l’intérêt économique de réduire les phytos pour les agriculteurs. En revanche, je n’avais pas conscience du risque. »

Une prise de conscience partagée par les autres élus, et des échanges réellement appréciés, notamment par ceux qui n’ont pas de sensibilité agricole. « C’est la première fois qu’on nous propose un tel échange sur une exploitation », reconnaît un élu visiblement satisfait.

Les exemples de fermes ouvertes aux élus et aux voisins ne manquent pas : fête des moissons chez Gilles Van Kempen, dans le Loiret (lire le témoignage p. 55), présentation de l’agriculture de conservation à l’occasion des journées du patrimoine chez Adrien Leproux, dans la Sarthe (voir la vidéo sur lafranceagricole.fr)… Même les coopératives et négoces s’y mettent. Le groupe Carré, dans le Pas-de-Calais, et Azel, en Picardie, ont récemment ouvert les portes de leurs fermes pilotes au grand public. « Une bonne occasion de communiquer sur les solutions alternatives aux phytos, comme les produits de biocontrôle sur lesquels ils travaillent », témoigne Damien Mathon, directeur général de la FC2A (Fédération du commerce agricole et agroalimentaire).

Répondre aux questions, se rencontrer, créer des espaces de partage : l’enjeu est bien là pour lever les tabous autour des phytos, qui pourraient mener vers des conflits de voisinage. Pour Christian Huyghe, de l’Inra, plus que de « communiquer » dans un seul sens, l’agriculteur doit expliquer ce qu’il fait au grand public et partager son expérience. « Qui peut mieux qu’un agriculteur expliquer son métier », estime Christian Durlain, exploitant dans le Pas-de-Calais et élu FNSEA. Face au sentiment de défiance, il faut parvenir « à renouer le dialogue au niveau local, mais aussi à l’échelle nationale pour repartir sur un climat de confiance. »

Parler au consommateur

« Aujourd’hui, les détracteurs communiquent beaucoup à travers les médias généralistes et les réseaux sociaux, alors que les agriculteurs sont dispersés sur tout le territoire, le rapport de force est inégal, constate amèrement Christian Durlain. Nous devons communiquer largement sur une agriculture qui vise le zéro impact sur la santé et l’environnement, et non sur le zéro phytos. Nous devons être le plus transparents possible sur nos pratiques et expliquer que le métier d’agriculteur, c’est protéger ses plantes, en bio comme en conventionnel, comme un éleveur protège ses animaux. »

A l’inverse, plus que le zéro impact, la Confédération paysanne vise et fait la promotion du zéro phytos. « On veut sortir des phytos sans sortir de l’agriculture », précise Emmanuel Aze, arboriculteur dans le Lot-et-Garonne. Son syndicat vient de publier un livret national sur ce thème, avec des propositions concrètes pour que les conflits avec les riverains deviennent un « levier de transformation des politiques nationales et pratiques agricoles ». « Nous proposons des zones de traitements sans phytos classés cancérogènes, mutagènes et reprotoxique (CMR) et perturbateurs endocriniens (PE) autour des écoles, hôpitaux, maisons… avec des soutiens financiers, notamment à travers une MAE sur laquelle nous travaillons, pour aller plus loin et s’affranchir des CMR/PE sur toute la ferme ». Plus largement, Emmanuel Aze estime qu’il faudrait « refonder le rapport de la société à son alimentation et aux agriculteurs, en redonnant la vraie valeur monétaire des aliments. »

Derrière le pain, du blé

Cela passe par redonner aux riverains une certaine « réalité biologique », c’est-à-dire rappeler, comme le dit Gilles Van Kempen, que derrière une baguette de pain, il y a de la farine, et donc du blé qu’un agriculteur a semé. « 80 % des gens vivent en ville, confirme Christian Huyghe, donc les consommateurs ne sont plus en contact avec les pratiques agricoles. »

Eugénia Pommaret, directrice de l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes), fait le même constat. « La population a de moins en moins d’origine agricole, il y a donc une méconnaissance de la production, qui nourrit une inquiétude grandissante. » Pour s’informer sur la réalité des conflits entre les agriculteurs et les riverains, ainsi que les attentes de chacun, l’UIPP a lancé une étude en 2014 et 2015 avec 80 agriculteurs et 80 riverains. Au final, « les relations entre agriculteurs et riverains sont globalement bonnes, peu de conflits concernant l’utilisation des phytos ressortent. Le bruit et les odeurs sont davantage mis en cause. » Si deux tiers des riverains enquêtés comprennent l’utilité des traitements phytos pour les cultures, la plupart regrettent de ne pas être mis au courant des dates et horaires de passage.

« 70 % des riverains estiment échanger avec les agriculteurs, et plus d’un tiers des agriculteurs ont parlé des traitements phytos avec leurs voisins. Toutefois, la majorité ne prévient pas les riverains avant un passage », reconnaît Eugénia Pommaret. Cette disposition est pourtant obligatoire si le voisin a demandé à être informé, selon le règlement européen de 2009.

Miser sur les labels

Plus largement, l’image de l’agriculteur est plutôt bonne. Christian Huyghe confirme : « Les agriculteurs sont applaudis mais pas les agricultures. Il faut surfer dessus, agir dans le changement de pratiques et construire ensemble. »

Mais l’utilisation des phytos s’inscrit dans des schémas techniques, avec des contrats, des normes de qualité pour l’accès à certains marchés… « Réduire leur utilisation demande d’importants changements, avec des contraintes économiques, d’organisation de travail, de marché, de matériel…, rappelle Nathalie Jas, de l’Inra. Or, en période de crise économique, ces changements ne sont pas faciles à mettre en œuvre. Discuter avec ses voisins du problème et trouver des solutions nécessite du temps, de l’énergie, de l’argent parfois et, en mauvaise santé économique, ce n’est pas la priorité. »

Une des solutions, outre les haies anti-dérive ou les chartes de bonne pratique, serait de développer les labels de qualité, tel GlobalGab, un label de commercialisation privé qui oblige à respecter la réglementation du pays et met en place des contrôles, « Vergers écoresponsables » qui ouvrent leurs portes au public en septembre ou « Demain la terre » pour les fruits et légumes (lire encadré p. 52). Un bon outil pour communiquer auprès du grand public de façon positive autour d’un label reconnu.

Un journaliste agricole sur 400

Par ailleurs, dans la presse généraliste, qui a une part de responsabilité dans le regard que porte la société à ses agriculteurs, les sujets purement agricoles laissent doucement la place aux sujets agroalimentaires. « La transparence sur l’alimentation est la seule façon de garantir un lien de confiance entre la société et ses agriculteurs, explique Virginie Garin, rédactrice en chef à la RTL. Notre radio essaie de parler avec justesse et objectivité des sujets agricoles, qu’ils soient positifs ou qu’ils dérangent. » Malheureusement, les journalistes de la presse généraliste qui suivent les sujets agricoles ne sont pas nombreux. Au Figaro, Éric de la Chesnais (lire ci-contre) est le seul sur 400 journalistes. S’il est également agriculteur, la grande majorité n’a pas d’ancrage agricole, ce qui ne les empêche pas d’être pointus sur ces sujets. Comme le dit le dirigeant d’une agence de communication qui travaille avec eux, « les journalistes qui suivent les sujets agricoles ne sont pas en bottes et sont plutôt urbains, mais ils maîtrisent leur sujet alors qu’il devient de plus en plus technique. »

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