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3. Etudes médicales : quelques réponses, 3. Etudes médicales : quelques réponses, beaucoup de questions

Aujourd'hui, la nocivité des produits n'est plus mise en doute pour la santé des agriculteurs mais des questions persistent et l'expertise reste complexe.

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En octobre 2012, une mission commune d'information du Sénat a rendu un rapport : « Pesticides : vers le risque zéro ». Cet état des lieux des impacts des pesticides sur la santé, dont le rapporteur est la sénatrice Nicole Bonnefoy (lire page 46), est le résultat de nombreuses visites sur le terrain, de tables rondes et d'auditions. Le principal constat est que « les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués ».

En juin dernier, c'est au tour de l'Inserm, Institut national de la santé et de la recherche médicale, de rendre une expertise collective intitulée « Pesticides : effets sur la santé ». Le groupe d'experts, composé de spécialistes dans différents domaines, a fait le bilan de l'ensemble des études internationales publiées au cours de ces trente dernières années. Les conclusions sont sans appel : « Il semble exister une association positive entre exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l'adulte : la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et certains cancers hématopoïétiques (lymphome non hodgkinien, myélomes multiples). » Par ailleurs, les experts expliquent que « même si la disponibilité et l'utilisation des pesticides sont encadrées par des réglementations, la question du risque demeure présente ».

DE NOMBREUSES SOURCES D'EXPOSITION

D'après le rapport de l'Inserm, les expositions peuvent se faire par voie cutanée (80 % des cas chez les applicateurs), digestive (ou orale) et respiratoire (voir l'infographie page 45). Les experts expliquent que, pour les agriculteurs, « les sources potentielles de contamination sont nombreuses et difficilement quantifiables » : à l'achat du produit, durant son transport ou son stockage, lors de l'épandage, du nettoyage du matériel, du débouchage des buses, de débordements de cuve, de travaux de ré-entrée et de la phase de préparation de la bouillie... Ces deux dernières situations sont celles où les risques d'exposition sont les plus nombreux.

Les risques sont à moduler avec le type de matériel utilisé, les caractéristiques du produit et l'équipement de protection individuel (EPI) porté. Cependant, d'après le rapport, « plusieurs études ont montré que l'usage des EPI ne garantit pas une protection absolue de l'opérateur et qu'il existe des différences majeures d'exposition entre individus indépendamment de l'usage d'EPI ».

Ces expositions peuvent entraîner des troubles à court terme, c'est-à-dire dans les heures ou les jours qui suivent, on parle alors d'intoxications aiguës. Ces dernières peuvent être dangereuses, surtout si elles se répètent mais on les connaît assez bien. En revanche, les intoxications chroniques, c'est-à-dire celles qui sont dues à des expositions répétées sur une longue période, y compris à faibles doses, sont moins bien identifiées.

DES RISQUES PLUS OU MOINS CONNUS

Les études épidémiologiques ont fourni aux experts de l'Inserm des données sur plusieurs maladies, dont des cancers ou la maladie de Parkinson (lire l'encadré ci-contre). Le rapport « Pesticide : vers le risque zéro » du Sénat évoque aussi les « effets allergisants, dermatologiques et respiratoires », ainsi que « l'hypersensibilité chimique multiple » et l'effet « perturbateur endocrinien ». Les chercheurs de l'Inserm précisent que des éléments favorisent le développement des pathologies étudiées individuellement : des matières actives spécifiques (parfois déjà interdites), des prédispositions génétiques, des métiers, des types d'expositions, des périodes de vulnérabilité... Ils nuancent aussi ces risques car les conclusions des rapports traitant du même sujet ne convergent pas toujours, comme par exemple au sujet de la maladie d'Alzheimer ou de la sclérose latérale amyotrophique.

Par ailleurs, de nombreux sujets, comme l'effet des pesticides sur la fertilité des femmes, n'ont pas fait l'objet de recherches jusqu'à aujourd'hui mais, d'après les experts, mériteraient d'être traités. Les mécanismes biologiques au niveau des cellules et des molécules ne sont pas non plus clairement identifiés. Les chercheurs insistent aussi sur le fait que « de nombreuses substances actives n'ont pas fait l'objet d'études épidémiologiques » et que « ne pas être en mesure de conclure ne veut pas dire obligatoirement qu'il n'y a pas de risque ». Une forte inquiétude est exprimée concernant la subsistance des produits dans l'organisme sur le long terme.

Les chercheurs de l'Inserm recommandent de développer des « recherches pluri- et trans-disciplinaires [...] pour permettre une caractérisation plus rapide des dangers potentiels des substances actives ». D'après eux, « une meilleure connaissance des données d'expositions anciennes et actuelles de la population professionnelle », ainsi qu'une meilleure information du public seraient nécessaires. Ces recommandations seront soutenues par le troisième Plan cancer : le rapport de la mission d'orientation, rendu le 30 août, propose notamment d'« augmenter la déclaration des cancers d'origine professionnelle » afin de « mieux connaître les risques liés à une exposition professionnelle ».

DES SUJETS DE RECHERCHE PRIORITAIRES

Les experts recommandent d'axer la recherche, entre autres, sur les effets des faibles doses et sur la question des mélanges. Ils expliquent que « ces mélanges [...] pourraient donner lieu à des impacts sanitaires difficilement prévisibles ». L'Efsa, Autorité européenne de sécurité alimentaire, a d'ailleurs publié en juillet une nouvelle approche pour l'évaluation des « risques liés à une multi-exposition des pesticides ».

Le rapport d'information du Sénat encourage à appliquer davantage le principe de précaution, en particulier en ce qui concerne les matières actives susceptibles d'être des « perturbateurs endocriniens ». En effet, les connaissances sur ces molécules qui, par définition, affectent les sécrétions hormonales, sont très lacunaires. De nombreux programmes de recherche sont en cours à l'échelle française dans le cadre du Programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens (PNRPE). Les investissements au niveau européen, voire international ne sont pas négligeables non plus.

Un groupe de travail sur les perturbateurs endocriniens a été constitué en France sur l'initiative du gouvernement. Composé de « l'ensemble des parties prenantes » telles que les parlementaires, des représentants de la recherche, des industriels ou des ONG, il avait pour objectif de faire un état des lieux des initiatives déjà menées en France et de celles qui le seront à l'avenir en termes de recherche, de surveillance, d'information du public ou encore d'expertise, puis d'en déduire une « stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens ». Le rapport publié en août considère qu'« il est essentiel de pérenniser et de renforcer les moyens consacrés tant à la recherche publique que privée, de coordonner les travaux menés et d'articuler les travaux de recherche fondamentale et appliquée ».

DES RELATIONS MALADIE ET PESTICIDES COMPLEXES

De manière générale, il est très difficile aujourd'hui d'affirmer que telle maladie chez tel patient est due à l'exposition à des produits phytosanitaires. La difficulté de cette expertise provient du fait que des personnes qui ne sont pas exposées comme les agriculteurs aux produits phytosanitaires peuvent présenter les mêmes maladies : à la différence du dossier de l'amiante, il ne s'agit pas ici d'une unique molécule qui cause une maladie « rare ».

En outre, même si les chiffres montrent qu'il existe des « maladies des agriculteurs », elles sont souvent multifactorielles : par exemple, la maladie de Parkinson ou les cancers sont causés par un ensemble d'éléments, génétiques et environnementaux, et il est parfois difficile d'identifier quelle est la part de responsabilité des produits phytosanitaires. Ceci est d'autant plus important que des activités spécifiques des agriculteurs, non liées à l'usage des phytos, peuvent favoriser le développement de ces maladies : par exemple, les mélanomes peuvent être causés par les pesticides mais aussi par des expositions répétés aux UV du soleil ; le stockage du gazole entraîne des expositions au benzène, molécule cancérigène.

Enfin, il est souvent difficile de caractériser de manière précise les expositions aux pesticides... Ainsi, même si on dispose de plus en plus de données scientifiques et si le nombre de malades ne trompe pas, les liens entre des expositions à des produits phytosanitaires et une maladie restent difficiles à démontrer : une réponse apportée par la recherche entraîne de nouvelles problématiques et questions...

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