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Commission européenne « Il faut davantage d’instruments de gestion de crise »

Le commissaire à l'agriculture européen Janusz Wojciechowski s'est exprimé en marge du Salon de l'agriculture sur le cap qu’il souhaite donner à l’agriculture européenne, .

Le commissaire européen à l’Agriculture, Janusz Wojciechowski, s’est confié à La France Agricole durant sa visite au Salon international de l’agriculture le 3 mars 2023. L’occasion pour lui de réaffirmer le cap qu’il souhaite donner à l’agriculture européenne.

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Est-ce que le budget de la politique agricole commune est suffisant compte tenu du contexte agricole actuel ?

« J’avais demandé et obtenu une augmentation du budget en 2020 car le montant initial était trop faible et nous sommes passés de 365 milliards à 387 milliards d’euros. C’était la première fois que le budget a été augmenté après la proposition initiale. Mais effectivement, ce n’est que 0,4 % du PIB de l’Union européenne, et surtout, il a été établi avant les conséquences de la crise du Covid-19 ou de l’invasion illégale et injustifiée de la Russie en Ukraine. Ces évènements ont causé beaucoup de problèmes aux agriculteurs, mais augmenter à nouveau le budget n’est politiquement pas possible avant 2027. »

« Ce qu’il faut, ce sont davantage d’instruments de gestion de crise. La réserve de crise est aujourd’hui de 500 millions d’euros, mais ce n’est pas suffisant. En ce moment, nous discutons à la Commission d’une activation à hauteur de 56 millions d’euros pour les pays limitrophes qui rencontrent des difficultés avec l’arrivée des céréales ukrainiennes. C’est une question de semaines. »

Certains pensent que la transition écologique a pris le pas sur tous les autres objectifs de la politique agricole européenne. Qu’en pensez-vous ?

« Je pense que la transition écologique est très importante pour nos perspectives à long terme. Il faut que notre agriculture soit plus durable et meilleure pour notre environnement. Mais il ne faut pas que ça aille à l’encontre des autres objectifs. Il faut que nous respections ce que j’appelle les 4 S : la durabilité (sustainability en anglais), qui est dans la stratégie "Farm to fork". Ensuite, la sécurité alimentaire pour les citoyens et la stabilité pour nos agriculteurs dans les temps de crise. Ce que fait la France avec son plan protéines par exemple est très inspirant pour nous, et nous supportons ce type de démarche. Et enfin, il faut de la solidarité avec les régions du monde qui sont confrontées à des difficultés alimentaires. »

Peut-on envisager des ajustements pour la stratégie Farm to Fork ?

« Farm to fork, c’est la stratégie politique, ce n’est pas un acte législatif. Beaucoup d’aspects ont déjà été inclus dans la Pac comme les écorégimes, le soutien à l’agriculture biologique ou le bien-être animal. Justement pour le bien-être animal, c’était 1,5 milliard d’euros sur 2014-2020 et maintenant c’est 7,5 milliards. En revanche, pour les éléments extérieurs à la stratégie comme les pesticides ou pour les émissions de l’élevage, il y a plus de controverses et j’ai déjà présenté mes réserves à ce sujet. »

Lesquelles ?

« Pour les pesticides par exemple, il me semble difficile de fixer les niveaux d’autorisation car les dosages utilisés sont encore très différents d’un pays à l’autre. Demander le même pourcentage de diminution pour tous n’est pas juste. Sur les émissions de l’élevage, je crois que nous devons arrêter le processus d’industrialisation. On doit avant tout soutenir les élevages avec une production durable et un haut niveau de bien-être animal. »

« Mais en général, nous devons utiliser les incitations et pas forcer les agriculteurs pour avoir des standards plus élevés. J’ai observé que c’était plus efficace. Le problème du renouvellement des générations n’est pas seulement dû au revenu, mais aussi à des restrictions imposées. Nous devons en finir avec les nouvelles restrictions. »

"Les traités commerciaux sont positifs pour l’agriculture européenne »

Si les accords avec le Mercosur sont mis en place, comment pensez-vous que les éleveurs peuvent résister ?

« Il faut voir les accords commerciaux comme quelque chose de positif pour l’Union européenne. Nous sommes le plus gros exportateur de nourriture au monde avec une balance excédentaire de 62 milliards d’euros. Mais les barrières fonctionnent dans les deux sens. Si nous rendons difficile l’accès à notre marché, il faut s’attendre à la même chose pour nos exportations. »

« L’élevage allaitant est un secteur sensible car nous sommes de gros producteurs et ce sont des accords avec des pays qui ont des productions similaires. La question, c’est d’exiger les mêmes standards de production mais pas nécessairement à 100 %, car ce n’est pas toujours possible. Ces accords sont maintenant entre les mains des États membres, mais nous continuons de pousser pour améliorer les questions de réciprocité. En général, les traités sont positifs pour l’agriculture européenne, c’est important de le rappeler. »

Vous avez récemment dit qu’il fallait se concentrer sur nos marchés locaux, qu’avez-vous voulu dire ?

« C’est une des réponses à la concurrence venue des produits importés. Si on organise mieux les relations entre les agriculteurs, les industriels et la distribution, l’importation ne sera tout simplement pas compétitive. Une vache en Argentine, qu’il faut transformer et ensuite transporter jusqu’en Europe ne pourra pas lutter contre une filière locale organisée et surtout plus courte. J’en suis convaincu. Il faut développer les organisations de producteurs ou le développement de la transformation locale. »

« D’ailleurs, je pense que les agriculteurs sont mieux organisés à ce niveau en France. Évidemment, nous voulons aussi exporter, mais regardez la Nouvelle-Zélande par exemple. Ils produisent l’équivalent de 15 litres de lait par habitant par jour et leur marché le plus proche est en Asie ! Ils ont une forte pression à l'exportation. En Europe, il y a 460 millions de consommateurs, ce n’est pas la même chose. Il faut avant tout, mieux organiser notre système alimentaire avec un meilleur accès au marché local. »

"On doit prendre en compte la qualité de vie, c’est une donnée importante pour installer des jeunes. »

Est-ce que le déclin du nombre d’agriculteurs en Europe vous préoccupe ?

« C’est l’une de nos principales inquiétudes. Dans le dernier recensement sur la période de 2010 à 2020, nous avons perdu 3 millions de fermes, c’est à dire 25 %. Et ça ne concerne pas seulement les exploitations les plus anciennes car si on regarde les fermes aux Pays-Bas, très modernes et intensives, ils ont perdu 27 % de leurs agriculteurs. »

« Intensifier n’est donc pas une garantie de maintenir l’activité. Je crois que l’on doit prendre en compte la qualité de vie des agriculteurs, c’est une donnée importante pour installer des jeunes. L’accès aux infrastructures, à la santé ou aux loisirs… C’est important. Nous avons 9 millions de fermes et nous devons tout faire pour arrêter la baisse. »

Le secrétaire américain à l’Agriculture, Tom Vilsack, faisait la remarque que les agriculteurs polonais et français avaient des visions très différentes. Êtes-vous d’accord avec lui ?

« Je lui ai dit que nous avions des situations différentes au sein de l’Union européenne. Par exemple sur la question du renouvellement des générations dans l’agriculture, la situation est meilleure en Pologne qu’en France. Mais sur le fait qu’il faut une politique agricole forte et un soutien européen plus important, la vision des agriculteurs polonais et français est la même. »

« Ce que j’ai souligné pendant ma visite aux États-Unis, c’est que nous devons être fiers de nos agriculteurs européens. Nous sommes très productifs et performants. Notre modèle familial ou de taille moyenne européen est très moderne et efficace. Il ne faut pas penser que si l’on veut produire plus, il faut plus de concentration, c’est faux. »

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