« Nous avons construit un abattoir à la ferme »
Depuis 2023, Nicolas et Nadine Fanjat abattent eux-mêmes leurs ovins. Leur outil est pratique et peu onéreux… Et la viande est meilleure, selon les éleveurs.
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Le transport en bétaillère, les heures d’attente sur caillebotis puis l’abattage à la chaîne : c’était avant. Avant le 6 novembre 2023. Ce jour-là, en présence de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), Nicolas et Nadine Fanjat effectuaient leur premier abattage d’agneaux à la ferme, dans leur installation neuve. Depuis, les animaux de la ferme du Soleil Levant, à Sainte-Catherine dans le Rhône, sont abattus à domicile par leur éleveur.
Installés depuis 2014 sur 50 ha avec cent brebis laitières en agnelage d’automne, Nicolas et Nadine transforment 20 000 l de lait bio. Les yaourts et fromages sont vendus sur des marchés, accompagnés de viande d’agneau de novembre à mars, puis de saucisses et merguez de brebis jusqu’en juillet. « Sur les 140 naissances, trente femelles sont gardées pour le renouvellement, le restant est valorisé en agneaux de lait, détaille Nicolas. Au départ, nous avions déjà une salle de découpe à la ferme mais les animaux étaient tués dans un abattoir à 45 minutes de route. En saison, j’amenais dix agneaux par semaine, et revenais le lendemain récupérer les carcasses. »
Ce n’est ni le temps passé (4 heures/semaine incluant le lavage du camion) ni la facture d’abattage qui a motivé les éleveurs à monter leur outil. « Le stress des animaux, pendant le transport et surtout l’attente sur place, nous insupportait », confie Nicolas. « C’était comme si le soin apporté à leur bien-être tout au long de leur vie était anéanti, abonde Nadine. Et après avoir commencé l’abattage à la ferme, nous avons vu un effet sur la viande : il n‘y a plus jamais eu de carcasse pisseuse. »
Un abattoir fixe
Au sein d’un groupe d’éleveurs animé par l’Addear, ils ont étudié des solutions collectives comme l’abattoir ou le caisson mobile. Mais deux obstacles se dressaient : la distance entre les fermes et l’épaisseur du dossier administratif. « Le dossier d’agrément d’un abattoir fixe est nettement allégé car il n’y a pas d’aire d’accueil et d’attente à prévoir, indique Nicolas. Nous n’abattons que nos animaux ; ils attendent dans l’aire paillée et c’est là que se déroule la visite ante mortem du vétérinaire de la DDPP. » À partir de l’automne 2022, accompagnés par Jacques Alvernhe, ancien directeur d’abattoir devenu consultant, les éleveurs ont travaillé leur dossier, détaillant les plans de l’outil, les protocoles d’abattage, les risques sanitaires et pour le bien-être animal, les réactions à avoir en cas d’anomalie… Le projet est minimaliste : un petit abattoir à poste fixe accueillant un opérateur et un animal à la fois.
Des contacts téléphoniques puis rendez-vous physiques ont eu lieu avec la DDPP au début de 2023. L’administration leur a réservé un bon accueil : « La DDPP a décortiqué le dossier en indiquant les points à revoir et en faisant preuve d’une grande ouverture d’esprit », apprécie l’éleveur. Le dossier instruit rapidement a permis de démarrer les travaux dès l’été. « C’est allé si vite que nous n’avons pas eu le temps de monter un dossier Feader qui aurait permis d’avoir 40 % de subvention », sourit Nadine. Ils auront tout de même 7 000 € d’aide pour 35 000 € investis — avec beaucoup d’autoconstruction.
« À la mi-octobre, la DDPP a visité l’installation pour vérifier sa conformité aux plans, reprend Nadine. Mais ce n’est qu’en assistant au premier essai d’abattage qu’elle a pu délivrer l’agrément provisoire. Jusqu’au dernier moment, on craignait que les travaux aient été faits pour rien ! » À la fin de février 2024, l’agrément définitif a été accordé — soumis à une visite de contrôle annuelle. Les deux éleveurs ont aussi suivi une formation diplômante de responsable de protection animale, sur deux jours, à renouveler tous les cinq ans. Comme dans un abattoir industriel, un technicien vétérinaire de la DDPP, financé par l’État, est systématiquement présent durant toute la session d’abattage et estampille les carcasses.
Pratique et peu onéreux
L’abattage hebdomadaire a généralement lieu le lundi. « J’y passe huit heures pour abattre dix agneaux, trier les sous-produits, remplir les registres et tout nettoyer », indique Nicolas. Les sous-produits partent à l’équarrissage pour destruction ou revalorisation en pet-food, à l’exception du contenu ruminal vidé dans le fumier.
L’outil a été voulu « pratique et peu onéreux ». D’une emprise totale de 20 m², dont 10 m² pour la salle d’abattage, il est accolé à la bergerie. Les agneaux sont amenés dans les bras de l’éleveur, puis placés en contention pour être étourdis au pistolet. « Pour les brebis, j’ai bricolé un système de contention qui s’adapte sur le quai de traite : elles y montent comme d’habitude et l’étourdissement se fait là, explique Nicolas. Ensuite je place la brebis étourdie sur une berce et l’amène à l’abattoir pour la saignée. » La salle d’abattage est divisée en une zone sale (pour les opérations allant de l’amenée à l’arrachage du cuir) et une zone propre (pour la mise en carcasse). Il n’y a pas de cloison mais l’éleveur a un tablier spécifique pour chaque zone. La carcasse est ensuite pesée – sur sa balance de marché qui est homologuée pour le commerce — et mise à ressuer. Le frigo de ressuyage sert aussi au stockage car celui-ci ne dépasse jamais une semaine et il n’y a qu’un abattage hebdomadaire.
« J’abats l’animal et vais jusqu’à la mise en carcasse avant de passer au suivant : ce n’est pas du travail à la chaîne, il se fait avec sérénité, confie Nicolas. Il n’est pas facile de tuer une brebis qu’on appelle par son nom, mais cela fait sens d’aller au bout du cycle : la mort fait partie de la vie. Et nous prenons le temps de remercier les animaux qui partent car ce ne sont ni des objets, ni des bouts de barbaque. » Les animaux le leur rendent bien par la qualité de la viande : les clients en redemandent, assurent les éleveurs.
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