« La planification écologique n’implique pas une baisse du cheptel », assure Marc Fesneau
Dans cette interview, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, évoque la planification écologique ainsi que nombre de sujets d’actualité : les enjeux de la planification écologique, la réautorisation du glyphosate, les jachères, l’augmentation de la taxation du GNR, le plan loup, la maladie hémorragique, un premier bilan de la réforme de l’assurance récolte…
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La Première ministre a fixé un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 13 millions de tonnes eqCO2 pour l’agriculture, comment arriver à cet objectif ?
Sur l’élevage, la gestion des prairies et l’alimentation animale sont les deux principaux leviers. L’Inrae nous dit que c’est un potentiel de réduction des émissions de 20 à 30 % chez les bovins à viande. Par ce simple élément, on peut atteindre la trajectoire. Et cette trajectoire tient compte de la trajectoire tendancielle de baisse du cheptel.
Donc nous n’allons pas vers une réduction de l’élevage, si ce n’est la diminution structurelle du cheptel ?
Non, nous ne sommes pas sur un objectif de baisse du cheptel, ni de décapitalisation forcée. Aujourd’hui, on décapitalise plus qu’on ne perd en consommation. Sur l’élevage en France, le sujet n’est pas qu’on produise trop mais plutôt qu’on ne produise pas assez. Ce n’est pas comme aux Pays-Bas ou en Irlande. C’est plutôt une reconquête de notre marché intérieur que l’on doit opérer.
Et sur l’azote ?
Il y a trois leviers. Le premier, c’est de retrouver de la souveraineté sur la production d’engrais de synthèse car on peut produire des engrais de synthèse avec moins de carbone. Le second, c’est que l’on sait que, notamment par la rotation des cultures et les cultures intermédiaires, on fixe mieux l’azote, donc les quantités utilisées peuvent être réduites. Les modes d’épandage comptent aussi beaucoup sur la dose utilisée. Le troisième levier, c’est de passer de l’azote minéral à l’azote organique.
Mais les deux premiers leviers sont les principaux car pour aller vers davantage d’azote organique, il faut que les zones d’élevage se situent à proximité des zones de grandes cultures, ce qui n’est pas complètement encore le cas.
Pour compenser l’augmentation de la taxe sur le gazole non routier (GNR), Bruno Le Maire a promis des compensations fiscales et des financements pour la filière des biocarburants, mais les solutions alternatives ne sont pas prêtes !
Personne n’a dit que l’objectif était d’inciter les agriculteurs à passer dès 2024 à une autre solution. Tout simplement parce que les alternatives à cette date n’existent pas. Mais on ne peut pas maintenir une fiscalité dite « brune ». Si on doit flécher de la fiscalité, c’est plus intéressant de la mettre sur autre chose, sur la compétitivité toujours et en l’occurrence pour cette année sur des mesures de compensations fiscales. Elles sont inscrites dans le projet de loi de finances pour 2024.
Mais l’idée, c’est de regarder s’il y a d’autres mécanismes qui pourraient être mis en œuvre, comme inciter au développement de filières des biocarburants, notamment en effectuant un travail sur l’équipement des matériels agricoles pour utiliser les biocarburants.
Vous avez présenté les premières mesures du pacte d’orientation et d’avenir agricoles le 10 septembre, quelles sont les prochaines étapes ?
Je continue les échanges avec les organisations professionnelles agricoles et les parlementaires. L’objectif est que le projet de loi soit déposé au Conseil d’État à la mi-octobre et sur les bureaux des assemblées d’ici à décembre.
La partie pacte est quasiment rédigée, et viendront s’adosser à la loi, la planification, le budget et les autres stratégies comme celle sur la biodiversité, pour que le monde agricole ait une vision de la stratégie globale avec la question de la souveraineté au cœur de l’enjeu.
Pourrait-il y avoir dans la loi des mesures concernant l’attractivité du bail rural ?
Beaucoup de gens disent que le statut du fermage n’est pas le sujet principal. Je pense que l’important c’est plutôt le contrôle des structures qui n’est pas exercé pareil partout, la question de l’accès au foncier qui peut être un frein ou l’articulation entre le bail rural et le photovoltaïque au sol qu’il faut essayer de traiter.
Pouvez-vous donner un premier bilan chiffré de l’assurance récolte, réformée en 2023 ?
C’est une réussite dès la première année. Au total, on est passé de 4,8 millions d’hectares assurés en 2022 à 6,5 millions, c’est 36 % de surfaces supplémentaires. En prairie et arboriculture, ce qui était l’un des objectifs, on passe de 0,5 % de surfaces assurées à 9 %, en arboriculture de 1,5 à 11,2 % et en viticulture de 31 % à 43 %. En grandes cultures, c’est plutôt stable mais les niveaux de couverture étaient déjà plus élevés. On passe de 31,6 % des surfaces à 35,3 %. On est bien au-dessus de la trajectoire qu’on s’était fixée. On espérait ces taux-là à trois ans. Cela montre l’engagement des agriculteurs.
Il reste des points de vigilance sur l’arboriculture et en maraîchage. Dans un certain nombre de départements, pas partout, on nous remonte que les offres ne sont pas attractives. Par exemple dans le Tarn-et-Garonne, seulement 5 % des surfaces sont assurées en arboriculture. Le groupement que doivent constituer les assureurs devrait régler ça. Les assureurs historiques reconnaissent qu’ils doivent encore documenter leur système et que sur certains sujets arboricoles, ils ont eu des difficultés.
Par ailleurs, des cerisiers couverts en filets paragrêle, cela ne peut pas être le même prix qu’une parcelle qui n’est pas équipée. Ce sont des éléments à affiner, pour l’instant les assureurs n’en tiennent pas encore compte dans leurs tarifs. On va « travailler en marchant », en bonne intelligence avec les assureurs.
L’agriculture peut-elle faire partie des métiers en tension dans la loi sur l’immigration ?
Je pense qu’on peut à la fois essayer de rendre plus attractifs nos métiers, il y a sans doute un travail à faire sur la question de la pénibilité, et se poser la question d’inscrire l’agriculture dans les métiers en tension. On regardera la question avec les filières, mais il y a une espèce d’hypocrisie collective sur le sujet. Il faut que tout le monde l’assume : on ne peut pas demander au Gouvernement de faire des choses et ne pas l’assumer publiquement après.
La question migratoire est plus large que ça, et le sujet de la souveraineté alimentaire y est central. Si tous ces pays ne se nourrissent pas et qu’on n’est pas capable de les nourrir et d’avoir des modalités d’échanges, on n’arrêtera pas le flux de personnes qui émigrent parce qu’ils meurent de faim.
Vous avez présenté le 29 septembre le pacte en faveur de la haie. Quel est l’objectif de ce plan ?
L’objectif est de compter 50 000 km linéaires de haies supplémentaires à l’horizon de 2030. Cela fait partie de la stratégie de planification écologique, cela représente 1 million de tonnes de stockage de carbone. Il me semble que remettre de la haie y compris dans des systèmes de grandes cultures, c’est utile en termes d’auxiliaires de cultures, de rétention d’eau dans les sols, de lutte contre l’érosion et de biodiversité, de stockage du carbone.
C’est une marche importante et pour cela on se fixe l’objectif de ne pas voir disparaître un mètre linéaire de haie et on assouplit la réglementation. C’est-à-dire qu’on permet à l’agriculteur, dans son parcellaire, de réorganiser dans une certaine limite mais pas de réduire.
Mais la question des haies, ce n’est pas que la question des agriculteurs. On doit embarquer tout le monde. Je compte travailler avec les collectivités. On a 30 000 communes rurales qui ont des bordures de champ, des petites surfaces qui pourraient accueillir peut-être 2 ou 3 kilomètres de haies. Je veux aussi qu’on construise des filières de valorisation avec les Régions. J’ai monté dans mon département une filière de production de plaquettes forestières. C’est sans doute la valorisation la plus évidente et c’est intéressant parce que c’est à la fois du stockage de carbone, de la décarbonation de l’énergie, de l’entretien et du revenu pour les agriculteurs.
La jachère sera-t-elle obligatoire pour la campagne de 2024 ?
À la date d’aujourd’hui, l’obligation de disposer de 4 % d’éléments d’infrastructure écologique et de jachère demeure. Mais je fais tout pour que l’on réinterroge cette question. Une première dérogation a été produite en mars 2022 et une deuxième en 2023. Je rappelle que l’on ne peut pas faire une troisième dérogation car cela nécessiterait de changer le règlement de la Pac. On va néanmoins formuler une proposition. En essayant d’incrémenter des éléments nouveaux, ce qui ferait une dérogation de nature nouvelle, qui ne consisterait pas simplement à se libérer de la jachère. Quelles sont les vocations supplémentaires que l’on peut donner à la jachère ? Car aujourd’hui une jachère n’en a aucune. Peut-être que sur certains usages, cela pourrait prendre une forme utile. C’est là-dessus que l’on travaille. J’y verrai plus clair à la fin d'octobre ou au début de novembre.
Quand il y a eu le Covid, la Commission s’est adaptée. Or, je considère que la question de la sécurité alimentaire est aussi un sujet de crise.
Si la Commission ne modifie pas sa proposition dans votre sens, la France votera-t-elle quand même la réautorisation du glyphosate ? Y aura-t-il de nouvelles restrictions d’usage ?
Le président de la République l’a dit : « Pas d’interdictions sans solutions. » Partout où l’on peut se passer de l’usage du glyphosate, on le fait. Ce n’est pas une interdiction, c’est une évolution. C’est ainsi que l’on a réduit l’utilisation de 25 à 30 %. Il n’est pas question d’aller jusqu’à l’interdiction, encore moins si l’Europe vote le renouvellement du glyphosate. La trajectoire choisie, c’est de ne pas créer d’impasse, mais c’est quand même mieux de se passer de l’herbicide. C’est notre doctrine.
Après, au fur et à mesure de l’évolution de la technique, pourquoi pas réduire, mais on ne va pas retomber dans une interdiction sans solution. En agriculture de conservation des sols par exemple, il n’existe pas d’alternative au glyphosate. Jusqu’au vote du 13 octobre — on verra d’ailleurs si ce n’est pas repoussé — on va essayer de convaincre tout le monde du bien-fondé de notre position.
Quand sera présenté le plan Ecophyto 2030 ? Quels objectifs de réduction des produits phytos sont prévus ? Avec quels accompagnements ?
Il sera présenté à la mi-octobre. S’agissant des objectifs, on est encore en train d’y travailler. Une partie des moyens de la planification écologique et de France 2030 sont pour les métaprojets de recherche et le matériel. L’idée, c’est que l’on travaille en termes de méthode : on prend les classes de produits par grand type de cultures et on identifie quelles sont les alternatives, quels sont les programmes de recherche qu’il faut lancer, etc. Une autre partie sera consacrée à l’accompagnement des agriculteurs et à la massification des usages des alternatives.
Nous avions des solutions simples mais nous devons évoluer vers des combinaisons de solutions. Il faut qu’économiquement cela soit faisable et gérable en termes de temps.
Quelles sont les chances de succès des discussions européennes sur la question des NBT avant les élections de 2024 ?
Je voudrais que nous avancions bien sous la présidence espagnole (du Conseil de l’UE) car sur ce sujet ils veulent progresser. Et si on pouvait avoir un texte avant la fin de la mandature du Parlement européen, ce serait bien, c’est-à-dire d’ici à avril 2024.
Un arrêté sur la réutilisation des eaux usées pour l’irrigation agricole doit bientôt paraître. Avez-vous une échéance ?
C’est pour cette semaine, il est à la signature.
Y a-t-il un volet sur les micropolluants ? Car pour l’instant, les stations d’épuration ne les traitent pas, à commencer par les résidus de médicaments.
Les Espagnols sont à 10 % de réutilisation, les Italiens à 8 %, on ne peut pas rester à 1 %. Je dis simplement que l’on doit faire comme tous nos voisins et sortir des peurs qui nous empêchent d’être plus sobres sur l’eau.
Faisant suite à l’arrivée de la maladie hémorragique épizootique (MHE), des négociations sont-elles en cours pour faciliter le recouvrement de flux commerciaux ? Avec quels pays ?
La MHE est une maladie réglementée car jusqu’à peu, elle n’existait pas en Europe. Nous avons donc des contraintes réglementaires qui étaient en cours de négociation pour être levées au printemps prochain. Nous sommes un pays sérieux sur le plan sanitaire, et faisons œuvre de transparence. Je compte bien que l’on reste crédible sur ces sujets à l’avenir pour pouvoir continuer à exporter des bovins. Nous avons immédiatement pris contact avec l’Italie et l’Espagne, en transparence avec la Commission européenne, pour ne pas se trouver dans une situation de blocage. Les discussions se font actuellement entre organisations sanitaires – DGAL et chef des services vétérinaires du côté français. Il faut aller vite. Nous faisons aussi de la diplomatie avec les pays du Maghreb. Ils ne représentent pas la majorité des volumes, mais ce sont aussi des partenaires importants.
L’indemnisation des moyens de protection a été beaucoup critiquée lors du précédent plan loup, en raison de ses retards. Que pourront espérer les éleveurs concernés dans le cadre du nouveau plan ?
D’ici au premier janvier, on doit trouver des solutions opérationnelles. Aujourd’hui, les délais sont compris entre 90 et 120 jours. L’objectif est de les réduire à 60 jours. Le problème de ces indemnisations, c’est qu’il s’agit de crédits Pac avec lesquels on ne peut pas faire ce que l’on veut. Si ce n’est pas possible sous ce format parce que la Pac nous contraindrait, nous devons réfléchir à d’autres mécanismes pour accélérer les paiements.
Les éleveurs des nouvelles zones bocagères, celles en cours de colonisation, affirment que les moyens de protection ne sont pas adaptés à leur conduite en lots. Cette non-protégeabilité sera-t-elle reconnue ?
Oui, la non-protégeabilité sera reconnue plus facilement, dès lors qu’elle est avérée. Mais il faudra aussi expérimenter d’autres techniques de protection, car on ne peut pas juste dire partout « c’est non protégeable ». Et ce n’est pas une satisfaction d’avoir des éleveurs qui ne peuvent pas se protéger.
La création d’un statut pour le chien de protection est souvent évoquée, et depuis longtemps. À quelle échéance est-elle envisageable ?
Il y aura un texte législatif sur le statut du chien patou. Je vais essayer de le produire à l’automne. Il faut en faire un chien de travail, ce qui permettrait de dire que ça ne peut pas être un chien en divagation. C’est sur cette piste-là que nous travaillons juridiquement. Cela permettrait de limiter la responsabilité de l’éleveur en cas d’accident. Par ailleurs, nous avons aussi besoin d’avoir des filières d’élevage de chiens de protection. Ce type d’animal, ça se sélectionne et ça s’éduque.
Un budget de 500 000 € par an a été cité pour le renforcement de la recherche scientifique. À quoi servira-t-il ?
Ces fonds seront utilisés pour le suivi de l’espèce et l’étude de son comportement, car il y a des choses que l’on ne sait pas. Pourquoi certains loups attaquent et d’autres non ? Peut-on « dresser » un loup, c’est-à-dire créer le sentiment que l’on ne peut attaquer un élevage sans prendre un risque ?
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