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Les romanciers reprennent goût à la terr Les romanciers reprennent goût à la terre

Longtemps cantonnés au rayon régionaliste des librairies, la ruralité et le monde agricole inspirent à nouveau les romanciers français. Et les divisent.

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Il est devenu le livre de chevet du gouvernement, jusqu’à être cité par Emmanuel Macron dans ses vœux de 2020. « C’est le livre macronien par excellence ! », s’est enthousiasmé, le 30 décembre 2019, le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, alors en charge de la Ville. Dans Leurs enfants après eux (Actes sud), le Vosgien Nicolas Mathieu raconte la vie de trois adolescents dans une vallée isolée de la Lorraine, dans les années 1990. Ces jeunes « à l’écart de la mondialisation » rêvent de « foutre le camp ». Le gagnant du prix Goncourt 2018 y décrit une région sans travail, sans cabinets médicaux, sans écoles et sans trains. Alors, forcément, défendre ce roman social en plein mouvement des gilets jaunes relevait surtout de la gageure pour la Macronie, en butte à tous les fléaux­ condensés dans ce livre.

Un rempart au désert

Comme Nicolas Mathieu, d’autres romanciers ont choisi d’emprunter le chemin délaissé des campagnes. Le mouvement reste discret, mais des auteurs parviennent à se distinguer et à renouveler le genre, observe Pauline Vergnaud, de la librairie l’Usage du monde, à Paris, dont le père, éleveur en Charente, vient de prendre sa retraite. « Ces auteurs décrivent en général des villages qui se meurent et des habitants qui partent, du fait de la centralisation très bien décrite par Nicolas Mathieu. »

Dans Légende (Gallimard) paru en 2016, Sylvain Prudhomme se fait ainsi l’écho de cette ruralité. Il a choisi la plaine de la Crau, dans le Haut-Verdon, pour raconter le destin de deux frères, sur fond d’estive. L’agriculture y est présente comme le dernier rempart au désert. Mais l’isolement de ceux qui restent vivre dans la vallée se ressent croissant, et même les éleveurs s’interrogent sur cet ancrage. Quand les loups s’en prennent au troupeau et que la sharka s’installe, l’héritage se fait pesant.

Face aux friches invasives­

Dans le même registre, le Corrézien Franck Bouysse, signe en 2016 avec Plateau (La Manufacture de livres) un roman noir qui se déroule dans un hameau du plateau de Millevaches. Pour s’y rendre, il faut s’engager sur des routes « non recensées » et le train, pas assez rentable, ne passera bientôt plus. « On te parle de préservation de l’environnement à longueur de temps, à la télé, dans les journaux, ce genre de conneries, mais ici, c’est pas l’environnement qui a besoin d’être préservé. L’environnement, il a gagné depuis longtemps et c’est pas près de changer. Les hommes appartiennent à ce royaume et pas l’inverse », décrit le narrateur. Dans le même temps, le village est le seul apte à accueillir une femme de la ville qui fuit son mari violent.

Écorces vives (Actes sud) d’Alexandre Lénot nous entraîne de la même façon dans le Cantal dans un village piégé entre forêts et montagnes, qui doit faire face à l’absence de médecin, et à cette « odeur de l’essence qu’il faut brûler chaque jour pour arracher au monde de quoi survivre ». Les jeunes sont poussés vers la ville. Et les nouveaux arrivants, au rang desquels « un militant associatif qui adorait le vélo mais qui peinait sur les pentes de ce pays », repartent très vite. Ainsi, même la fromagère bio n’a jamais trouvé de mari. Comme ses collègues, elle galère parce que tout ce qui tient son monde se décide à Bruxelles. Un excès de centralisation également dénoncée par Marie-Hélène Lafon, dans L’annonce (Buchet-Chastel) : « Au fond ils voulaient peut-être ça, en haut lieu, que les paysans disparaissent, que tout s’arrête et que la friche mange le pays. »

Gloire au ranch

« Les représentations enthousiastes du métier et de la ruralité sont rares dans la littérature française d’aujourd’hui, reprend la libraire Pauline Vergnaud. Ce n’est pas le cas aux États-Unis où paraissent des romans à la gloire des ranchs. » Dans Là où les rivières se séparent (Gallmeister), qui se déroule dans une ferme, près du parc de Yellowstone, Mark Spragg, chef de file du mouvement dit de « nature writing », dédié aux grands espaces, décrit la vie « extraordinaire et libre » d’un agriculteur dans son ranch, respectueux de ces bêtes et de la nature. Le feu sur la montagne(Gallmeister) d’Edward Abbey est aussi une ode à la vie agricole… menacée par les velléités de préemption du gouvernement. « Aux États-Unis, on glorifie cette nature, agricole ou non, on la défend. »

Au nom des origines

Dans une autre veine, les romans « des origines » consacrés à un « retour aux sources » se multiplient ces dernières années. « Ils expriment une idée très romantique du milieu rural », constate Pauline Vergnaud. Ces contes néo-ruraux traitent d’autosuffisance alimentaire, d’origine du monde, d’une nature brute, de végétarisme et de rupture avec l’humanité, à l’image d’Arcadie (P.O.L) d’Emmanuelle Bayamack-Tam. Tous les clichés sont servis dans ce livre pourtant distingué par le prix du livre Inter 2019. Le bien-être animal a aussi ses auteurs et donne lieu à des positions catégoriques : Règne Animal (Gallimard) de Jean-Baptiste Del Amo, qui prête sa voix aux vidéos de L214, est un réquisitoire contre l’élevage intensif. Il a également reçu le prix du livre Inter, en 2017. Sur le même thème, Michel Houellebecq soutient de son côté les éleveurs, dans Sérotonine (Flammarion) paru en 2019. Il est aussi l’un des rares à se confronter au thème du suicide : « Ce qui se passe en ce moment avec l’agriculture en France […] c’est un plan social secret, invisible, où les gens disparaissent individuellement dans leur coin. »

À contre-courant

Alors que les médias généralistes privilégient les sujets sur les citadins souhaitant partir à la campagne, la littérature a fait le choix de rapporter la prééminence des départs vers les villes, tout comme elle donne à voir les régions les moins denses, comme les plus inspirantes. Leurs enfants après eux s’est vendu à près de 300 000 exemplaires sa première année de sortie et Sérotonine, à près de 400 000 exemplaires. Preuve que la société est prête à en savoir davantage sur les enjeux de la ruralité et de l’agriculture, mais pas n’importe comment.

Rosanne Aries

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