Mercosur : pourquoi les garanties de la Commission européenne ne convainquent pas
La Commission européenne a promis trois garanties aux agriculteurs pour les protéger contre l’accord avec les pays du Mercosur : le durcissement de la clause de sauvegarde, un contrôle accru aux frontières, et la mise en place de mesures miroirs pour les produits phytosanitaires. Des mesures qui ne rassurent pas. Analyse de l’opposition qui s’exprime unanimement en France, des agriculteurs aux politiques, en passant par la société civile.
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À quelques jours d’une potentielle signature par la Commission européenne de l’accord commercial avec le Mercosur au Brésil, la colère agricole continue de gronder. Pour enrayer la protestation et tenter de rassurer les agriculteurs, trois garanties ont été proposées cet automne par la Commission européenne en charge de la négociation : le durcissement de la clause de sauvegarde, un contrôle accru aux frontières des produits importés et la mise en place de mesures miroirs pour les produits phytosanitaires interdits dans l’Union européenne. Mais ces mesures ne convainquent ni le monde agricole, ni la société civile.
1. Les clauses de sauvegarde : « exceptionnelles » et « difficiles à mettre en œuvre » ?
En quoi cela consiste ?
Les clauses de sauvegarde existent « dans quasiment tous les accords de libre-échange », explique Maximes Combes, économiste et co-animateur du collectif Stop-Mercosur lors d’une conférence de presse sur le sujet mardi 16 décembre 2025. Elles sont « mises en œuvre de manière exceptionnelle, temporaires, doivent être dûment justifiées et fondées sur une évaluation d’un préjudice spécifique ». Pourquoi ? Parce qu’elles peuvent être considérées comme des barrières commerciales qui contreviendraient aux règles du commerce international. Ces dernières sont régies par l’Organisation mondiale du commerce. Elles visent à « organiser l’accès aux marchés internationaux sur la base d’une concurrence commerciale loyale », d’après le ministère de l’Économie.
L’accord commercial avec le Mercosur dispose déjà d’une clause de sauvegarde depuis 2019, inchangés à ce jour d’après l’Aitec (l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs). Cette clause de sauvegarde prévoit, en cas de préjudice grave, de réduire la préférence tarifaire (soit une suspension de la baisse des droits de douane) sur une durée maximale de deux ans (sauf exception) et sera possible pendant les douze premières années de l’accord.
La Commission européenne a annoncé en septembre la mise en place d’un règlement européen pour améliorer le recours aux clauses de sauvegarde de manière unilatérale (l’accord ne pouvant pas être modifiée puisque déjà signé par les pays du Mercosur). Il a été discuté ce mardi par les députés qui ont renforcé en partie ces modalités.
Pourquoi c’est compliqué selon les opposants ?
Pour Maxime Combes, les clauses de sauvegarde prévues dans les traités, sont en général « des mesures d’urgence extrêmement difficiles à mettre en œuvre ». Signe qu’elles le sont, elles n’ont été activées seulement deux fois par l’Union européenne : en 1995 et en 2019, fait remarquer l’économiste. Sur le Mercosur, « la grande majorité des modifications proposées [par les députés mardi] ne sont pas recevables car elles proposent de modifier des éléments (définition de “préjudice grave”, seuils d’application, limitation dans la durée, etc.) qui sont définis par l’accord [avec le Mercosur, NDLR] lui-même », observe Maxime Combes dans un document du 15 décembre rédigé pour l’Aitec.
Malgré les ajustements obtenus au Parlement européen — notamment l’abaissement à 5 % du seuil d’augmentation des importations déclenchant une enquête, contre 10 % initialement —, la FNSEA et Jeunes Agriculteurs (JA) demeurent inflexibles : ces dispositifs ne changeront rien sur le terrain.
En conférence de presse le 16 décembre, ils assènent que ces clauses relèvent davantage de l’exercice de communication politique que d’une véritable protection. « Tout ce qui est sur la table, c’est fait pour endormir les uns et les autres, a lancé le vice-président de la FNSEA, Franck Sander. C’est pour donner des garanties qui ne seront pas applicables du tout. » Il dénonce un mécanisme rongé par la lenteur. Entre la détection d’une distorsion de marché, le lancement d’une enquête et la mise en œuvre effective d’une mesure correctrice, « il y aura trop de temps qui sera passé », estime-t-il, rendant toute intervention inopérante face à des crises qui, elles, se déploieraient en temps réel.
2. Les mesures miroirs : « unilatérales » et sous le coup de l’OMC ?
En quoi cela consiste ?
À ne pas confondre avec les clauses miroirs (intégrées dans l’accord et visent à interdire directement l’importation de produits ne respectant pas les normes européennes) ou les clauses de sauvegarde (des clauses visant à protéger de manière exceptionnelle certaines productions, lire plus haut).
Les mesures miroirs « visent à restreindre les importations de produits par des mesures réglementaires unilatérales », d’après Maxime Combes. Il faut « que les processus de production des produits importés suivent les mêmes règles que celles appliquées » dans l’UE. Elles sont prises en dehors de l’accord commercial. Concrètement sur l’accord avec le Mercosur, ce peut être l’interdiction par l’Union européenne d’importer des cultures traitées avec des pesticides interdits en France par exemple.
Comme ces interdictions risquent de contrevenir aux règles du commerce international, il faut pouvoir feinter. Par exemple, l’importation de produits issus de pesticides prohibés dans l’UE peut être interdit en imposant des limites maximales de résidus (LMR) de pesticides à zéro. C’est ce qui est en cours de réflexion pour l’accord avec le Mercosur.
Pourquoi c’est compliqué selon les opposants ?
« En février 2023, on comptait plus de 3 000 pesticides autorisés au Brésil, et dont 63 % des ingrédients actifs n’ont pas d’autorisation correspondante dans l’UE. Interdire l’importation de tous les produits sud-américains ayant nécessité l’utilisation de substances interdites d’usage en Europe reviendrait à interdire la quasi-totalité des importations », étaye Maxime Combes avec une conséquence : « Si vous n’avez quasiment plus d’importation, l’accord est mort. » La réflexion européenne actuelle de ne viser seulement certains produits par les LMR serait par ailleurs anecdotique, juge l’économiste, arguant qu’il n’y a actuellement « pas d’engagement ferme de la Commission » sur ce point.
3. Augmenter les contrôles aux frontières : faillible et matériellement impossible
En quoi cela consiste ?
La dernière proposition de la Commission réside dans la hausse des contrôles aux frontières sur le respect de l’accord.
Pourquoi c’est compliqué selon les opposants ?
« Il est strictement impossible de contrôler l’ensemble des importations », tance Maxime Combes.
À l’approche de la signature définitive de l’accord voulue par Ursula von der Leyen au Brésil le 20 décembre, le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a prévenu sur France Inter le 17 décembre : « Évidemment, on se mobilisera. On appellera nos réseaux à se mobiliser, à la discrétion des départements car tout le monde n’a pas les mêmes contraintes. Chacun décidera d’aller contrôler les importations, faire en sorte d’alerter l’opinion publique. »
Le spectre d’une nouvelle mobilisation se dessinerait donc. Le Salon international de l’agriculture (Sia), prévu à la fin de février, pourrait en faire les frais. « Si c’était le chaos d’ici au Sia, je doute qu’il se passe bien », a averti Arnaud Rousseau, même s’il dit souhaiter une édition “la plus apaisée possible” après le salon “cataclysmique” de 2024.
(1) Les règles du commerce international sont régies par l’Organisation mondiale du commerce. Elles visent à « organiser l’accès aux marchés internationaux sur la base d’une concurrence commerciale loyale », d’après le ministère de l’Économie.
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