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Fin du XVIIIe siècle La guerre des farines

Les émeutes sont survenues d’avril à mai 1775. © AKG-images

La question de la liberté du commerce des grains a traversé bien des époques. À la fin du XVIIIe siècle, avec l’essor de la pensée économique, elle a gagné la sphère du pouvoir.

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Le 13 septembre 1774, le ministre Turgot supprime la réglementation frumentaire à l’intérieur du royaume. Il est défendu « de contraindre aucun marchand-fermier, laboureur ou autres, de porter des grains ou farines au marché, ou de les empêcher de vendre partout ». Or, cette liberté de stocker et de transporter les céréa­les s’applique en période de forte tension : la récolte de l’été 1774 s’avérant médiocre, les prix montent et la cherté aggrave des pratiques spéculatives désormais légales. Au printemps 1775, les tensions éclatent dans le Vexin, la plaine de France, la Brie, la Beauce, le Beauvaisis, ainsi que dans les provinces de Normandie, Picardie et Champagne, régions de grande culture qui contribuent directement à l’approvisionnement céréalier­ de Paris.

Fermiers et laboureurs sont les premières cibles

Le 29 avril, dans les paroisses de Bernes-sur-Oise, Morancy, Bruyères et Boran (Oise), fermiers et laboureurs sont les premières cibles des émeutiers. À Montsoult (Val-d’Oise), le fermier Louis Delacour voit le 1er mai des gens monter dans son grenier pour prendre 100 setiers (11,75 quintaux), à douze Louis le setier, beaucoup moins que le cours marchand. Une deuxième bande brise la porte de la bergerie et emporte neuf moutons. Tout près de là, son fils Étienne, fermier-laboureur à Maffliers, rapporte que le 2 mai des émeutiers « avaient pillé une quantité de blé qu’ils n’ont payé qu’en partie […] ».

Les troubles se poursuivent au quotidien jusqu’au dernier incident connu le 11 mai. Entre le 5 et le 7 mai, plus de trente fermes sont « visitées ». La revendication populaire, qui émane des petits laboureurs laminés et des manouvriers victimes de la hausse du prix des grains, s’exprime sur le même mode : des bandes d’émeutiers se présentent à la porte des fermes, demandant des grains à un prix très réduit, fouillant les greniers et distribuant ce qu’ils ont découvert. La netteté des revendications économiques et de l’opposition entre classes, l’inscription et la diffusion du mouvement dans le Bassin parisien, la violence instaurée sur les marchés font de la guerre des farines une révolte sans précédent. L’effarement des contemporains à Paris et à Versailles sonne comme une alerte. Le choc est visible chez les notables. À Melun, des furieux déclarent que si le pain ne baisse pas, il y aura « 4 000 hommes dans Paris qui mettront le feu et que le roi sera “foutu” ».

Malgré l’étendue des troubles, les victimes rurales de la guerre des farines s’en tirent sans trop de dommages. En vertu des dépositions des « victimes », marchands ou fermiers, la maréchaussée arrête 548 suspects, dont 62 sont condamnés. Des restitutions sont imposées et une ordonnance royale promet le pardon à tous les émeutiers qui rendraient « en nature ou en argent suivant la véritable valeur » les grains qu’ils ont pris. Le mécontentement révèle au grand jour les tensions latentes dans les régions de grande culture.

Jean-MArc Moriceau, Pôle rural, MRSH-Caen

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