Quand le défrichement ravageait la Provence sous l’Ancien Régime
Dans les Alpes du Sud, les paysans sont les premières victimes du ravinement des terres, des torrents et des éboulements.
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La surexploitation des versants méditerranéens entraîne depuis longtemps une destruction écologique. L’abus du pâturage par les communautés et la pratique de l’écobuage (1) fragilisent les sols exposés de plein fouet à la torrentialité. Dans plusieurs villages du département actuel des Alpes-de-Haute-Provence, le sieur de Daluys, chargé par Louis XIV de lutter contre les défrichements interdits, alerte les autorités. En 1657, il dénonce la disparition d’une végétation qu’il décrit comme spécifique. Ce ne sont pas les paysans qu’il incrimine au premier chef mais les grands propriétaires, détenteurs de capitaux ou les chefs des communautés.
L’année suivante, la communauté de Chaudon adresse une supplique au Parlement d’Aix sur les défrichements sauvages qui dégradent leur terroir, en particulier sur les pentes : « En dépit des règlements et défenses à tous les habitants de la Provence de dépeupler aucun bois public et particulier, depuis plus de trente ans, divers particuliers de Chaudon et de Norante (aujourd’hui Chaudon-Norante) auraient rompu, défriché et fait de grandes dégradations dans le terroir […]. Toute la terre qui est aux lieux défrichés, qui sont en pente et ardus, est presque déjà venue en ravins et a gâté la plus grande partie des propriétés inférieures » Des experts se déplacent du 26 avril au 16 mai 1658. « Ils ont remarqué des défrichements fort étranges qui vont jusqu’à l’extrémité des montagnes : on a arraché les buis dans les lieux penchants et ardus qui ne peuvent souffrir aucune culture ; dans ce même lieu, il s’est formé des vallons qui vont dégorger dans le village et sur la plaine. »
Un siècle plus tard, alors que les besoins économiques se sont accrus, la situation est encore plus alarmante. En 1774-1775, un tableau précis des villages des secteurs de Digne, Moustiers et Seyne signale même des désertions d’habitants. Les maisons abandonnées tombent en ruines. Dans le village d’Entrages, « situé à la partie moyenne d’une montagne fort élevée faisant face au levant », on en signale quatorze. De fait, le séjour y devient impossible « par la difficulté des chemins souvent impraticables par les différents torrents qui les traversent ». Non loin de là, le village de Feissal (commune d’Authon, Hautes-Alpes), bâti sur un terrain peu solide, a ressenti les secousses d’un éboulement. Huit maisons sont abandonnées.
Tout près de Digne, l’un des hameaux de la communauté de Gaubert reste « exposé à un torrent qui le traverse dans des temps orageux ». Les maisons sont en mauvais état, les rues ne sont point pavées, et l’on compte six maisons abandonnées. Enfin, le village de Mariaud (localité de Prads-Haute-Bléone), bâti dans une gorge « entre des montagnes fort élevées » ne connaît pas meilleur sort. Deux de ses quatre hameaux viennent d’être submergés par un torrent qui a couvert de graviers la plus grande partie des terres, et même « jusque dans les rues ». Parmi les maisons en fort mauvais état, à toits de chaume, quatre sont à l’état d’abandon Aux yeux des pouvoirs publics, le souci de la « conservation et de la bonté du sol » est d’actualité. La prise de conscience du risque remonte à l’Ancien Régime.
(1) Technique agricole ancestrale de débroussaillement par le feu.
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