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La guerre des arbres

Au XVIIe siècle, les droits d'usage des forêts (pacage, bois, cueillette...) commencent à être attaqués.

L’utilisation des forêts et des ressources locales exacerbent les concurrences entre privilégiés et petites gens.

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Plus que le blé, c’est l’usage de la forêt et des jardins qui suscitait la colère dans le tournant des années 1640. Dans le Val-d’Oise, à quelques encablures de Maffliers, la paroisse de Viarmes entre en ébullition : le procureur Jean Le Bel est visé par une accumulation de malveillances. Le 10 août 1637, les « jambes arrière » de son cheval sont coupées tout comme ses jeunes arbres fruitiers. Dans ses vignes et autres héritages, les dommages se multiplient. C’est alors que la révolte gronde à Saint-Martin-du-Tertre. En octobre 1638, maître Claude Imbert, un avocat parisien qui avait acquis sur place sa « maison des champs », est violemment pris à partie. Fort entreprenant, ce bourgeois avait érigé des bâtiments et notamment un colombier. Trois jours durant, à coups de fusil ou d’arquebuse, des bandits abattent ses pigeons avant de les plumer pour les manger.

Ce symbole de puissance cristallise le mécontentement. Mais les coupables ont d’autres intentions. Ils veulent empêcher ce Parisien de s’implanter au village : on menace d’incendier la maison, de tuer le jardinier et de couper le jarret des chevaux de quiconque voudrait labourer les terres de l’avocat mis au ban. Au même moment, à Presles, Guillaume Delafosse, sieur de Valpendant, subit des vols et des déprédations durant plusieurs nuits. Le 9 novembre 1639, avant le point du jour, divers quidams arrachent ormeaux, poiriers nains et pieds de muscat dans ses jardins.

En Île-de-France, les villageois veulent empêcher les nantis, notamment parisiens, de s’implanter.

Sans organiser une guerre des Demoiselles (1) comme le Midi en connaîtra plus tard, la guérilla est l’arme des usagers. Des mécontents en tout genre agissent de nuit. Leur lutte n’est pas sans annoncer celle des « tenanciers coutumiers » – les « Blacks » – de certaines forêts royales anglaises contre l’avidité de grands propriétaires à partir de 1723. L’organisation qu’impliquent de tels délits, qui atteignent leur paroxysme au début de l’année 1640, signale l’activité de bandes de quelques individus associant menu peuple, modestes paysans et marchands. L’essor de l’arboriculture fruitière dont profitent quelques spéculateurs, souvent des propriétaires privilégiés, attise les convoitises. Nul doute qu’une partie des populations rurales, en relation avec des élites parisiennes, ne cherche à profiter aussi des trafics clandestins.

La contestation rencontre des questions existentielles pour les riverains de la forêt. Alors que le fisc s’abat sur les communautés rurales, l’utilisation des ressources locales exacerbe les concurrences. Alors, on menace un jardinier de l’estropier ou de le tuer s’il ne quitte pas le service de son maître. On intimide quiconque voudrait prendre des terres à ferme en annonçant publiquement qu’on s’en prendrait à ses chevaux. À trois siècles de distance, s’annonce l’intrusion de 700 agriculteurs dans la propriété de Jean Gabin dans l’Orne, dans la nuit du 27 au 28 juillet 1962. Les gros, et notamment certains Parisiens, sont exposés à la rancune des petits. Au sein des campagnes du nord-ouest de l’Île-de-France, la répétition des exactions signale une opposition structurelle.

(1) Rébellion en Ariège de 1829 à 1832, avec des prolongations jusqu’en 1872, en réaction au code forestier de 1827.

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