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Dans le Midi, les fleuves divaguent

Pau, musée des Beaux-Arts.

La pluviométrie change le cours des fleuves entraînant des conflits entre les paysans qui se servaient de ces rives comme des lieux de pacage.

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Depuis longtemps, les crises hydrologiques apparaissent comme un indicateur des mutations de l’environnement. À la fin du Moyen Âge, les étés frais et la pluviosité accrue, les inondations catastrophiques et le détournement de l’Aude au nord du massif de la Clape, condamnent en bas Languedoc les salines médiévales de Coursan et de Capestang, qui prospéraient depuis l’an mil. Une nouvelle géographie se met alors en place : l’activité salicole se déplace, jusqu’à l’époque contemporaine, vers le sud et la mer, tout en concentrant ses structures. Depuis le « long hiver » de 1740, la Lorraine a connu une série d’inondations qui auraient emporté les terres et raviné les sols. Jusqu’à la généralisation du chaulage après Mathieu de Dombasle, au XIXe siècle, les précipitations excessives semblent avoir joué un rôle dans l’infertilité des sols.

Dans ces périodes excessivement pluvieuses, la variation du lit mineur des fleuves perturbe l’organisation des zones humides avec d’évidentes conséquences sociales : les pacages changent de rive au détriment de leurs usagers antérieurs, déclenchant de sévères conflits entre communautés rurales. Selon les influences propres aux bassins-versants, les variations hydrologiques peuvent entraîner de véritables crises. Pour l’Allier et la Dore, trois vagues de crises sont décelables, marquées par la destruction des ponts et les divagations : la première moitié du XVe siècle, la seconde du XVIe et les dernières décennies du XVIIIe. En Béarn, la divagation du gave de Pau suscite des conflits immémoriaux entre les villages d’Assat et de Narcastet. Les eaux constituaient le principal agent de mutation des finages (1). L’extension ou, à l’inverse, la dévastation de la zone inondable du gave — la « saligue » (2) — exposait les communautés riveraines à des variations considérables de revenus.

Les pertes de terres, et en particulier de pacages, dues aux changements du cours des fleuves, ont des retombées fiscalessur les communautés qui en sont victimes, notamment en pays de taille réelle puisque la masse cadastrale en est diminuée d’autant. La situation est particulièrement visible lorsque l’action des hommes renforce indirectement les effets de la nature. Ainsi, la réalisation de digues fait disparaître des îles entières, souvent subrepticement, car le processus s’étalait sur une longue durée. Dans le bas Rhône, les endiguements réalisés aux XVIIe et XVIIIe siècles perturbent les équilibres agricoles des communautés riveraines où l’élevage tient une place importante comme celles de Mornas, de Lapalud et de Caderousse.

Sur certaines côtes, la désorganisation du système hydrologique ac­centue le caractère répulsif de sites en proie aux miasmes de la malaria : certains villages languedociens ou provençaux sont désertés. Mais dans ces zones paludéennes, les abandons s’effectuent souvent très progressivement. Pour le village de La Napoule dans la basse plaine de la Siagne, comme pour celui de Vic dans celle de Montpellier, la crise du tournant des XVIIe et XVIIIe siècles porte un coup de grâce à une évolution vieille de plus d’un siècle.

(1) Territoire exploité par une communauté villageoise. (2) Terme local qui désigne la végétation typique bordant les rives du gave, autrefois lieu de pacage pour les animaux.

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